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1,5 °C, un objectif irréaliste ?

Le 28 novembre 2015, à Dacca, des manifestants participent à une marche pour le climat. Le Bangladesh est l’un des pays les plus vulnérables face au changement climatique. Munir Uz Zaman/AFP

Initialement portée par les petits États insulaires (AOSIS), la revendication d’inscrire plus fortement dans l’accord de Paris le chiffre de 1,5 °C a connu des avancées qui ont pu surprendre. Alors que l’objectif d’une limitation de la température globale à 2 °C avait été adopté à grande peine à Copenhague en 2009, exiger de relever le niveau d’ambition semble, pour beaucoup, irréaliste. Cet enjeu constitue un nœud scientifique et politique tout à fait caractéristique du régime climatique.

Nombre de travaux montrent, en effet, que l’objectif de 2 °C lui-même est en passe de devenir hors de portée, tant il demanderait des transformations extrêmement profondes des économies et des sociétés dès aujourd’hui. Or, les engagements nationaux soumis en vue de la COP – les « contributions prévues déterminées au niveau national » ou CPDN – ont montré que cette trajectoire radicale n’était pas suivie. Si tant est que ces engagements soient effectivement tenus par la suite, ils induisent un réchauffement global estimé par le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à au moins 2,7 °C.

Sauf à considérer des dispositifs de géo-ingénierie, qui relèvent, au stade actuel, d’une foi immodérée dans la technique, voire d’une irresponsabilité pure et simple tant des actions techniques à grande échelle sur des phénomènes aussi complexes que le climat sont vouées à des effets imprévisibles.

Une exigence paradoxale

Politiquement, le chiffre de 1,5 °C est également sensible. Le groupe AOSIS était ainsi seul à porter cette revendication à Copenhague. Même les ONG (notamment la coalition Climate Action Network) s’étaient précédemment accordées sur 2 °C et s’étaient félicitées de son inscription dans l’accord de Copenhague comme l’un des rares éléments positifs, voire historique, du Sommet. Des mentions relativement souples de cet objectif avaient été ensuite adoptées dès l’accord de Cancún en 2010, puis conservées par la suite. En vue de la COP21, certains pays considérés comme parmi « les plus vulnérables », désormais soutenu par les ONG, ont durci leur position et exigé une référence claire à ce « seuil » de 1,5 °C comme condition nécessaire à tout accord, rencontrant les résistances de pays développés, mais également des émergents.

Le paradoxe a ainsi été de constater la progression de ce chiffre dans l’arène politique alors que les conditions de sa concrétisation dans les faits semblaient encore moins atteignables que lors du sommet de Copenhague. D’après certains climatologues, il est même d’ores et déjà dépassé du fait des concentrations actuelles de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les négociateurs en oublieraient-il la science ? Quel est, alors, le sens de vouloir inscrire un objectif plus strict de limitation à 1,5 °C des températures globales ?

Protéger les plus vulnérables

Tout d’abord, le cinquième rapport du GIEC, tout en confirmant qu’une limitation à 1,5 °C est peu atteignable et dépendrait de dispositifs de capture et stockages de carbone, montre clairement que des impacts significatifs affecteraient les écosystèmes et populations les plus vulnérables au-delà de cette température globale. Les risques sont élevés, en particulier concernant les écosystèmes uniques et menacés, les événements climatiques extrêmes, les risques de malnutrition, les vagues de chaleur, ou encore les infections liées à l’eau et à la nourriture. Juridiquement, il n’y a donc aucune raison de disqualifier ce chiffre, car il est en ligne avec l’objectif ultime de la Convention climat stipulé dans son article 2 de « stabiliser […] les concentrations de gaz a effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».

En second lieu, si le « seuil » de 2 °C était une construction plus politique que scientifique, son étayage scientifique à Copenhague se voulait correspondre aux risques de « tipping point » (« points de bascule ») qui pourraient survenir autour de ce seuil : de multiples phénomènes de rétroactions provoqueraient alors un emballement du « système terre », qui deviendrait alors incontrôlable.

Viser un déplacement du curseur de 2 °C à 1,5 °C consiste donc à acter le fait que l’objectif collectif n’est pas seulement d’éviter un climat ingouvernable, mais d’éviter les impacts sur les écosystèmes et populations les plus vulnérables. À l’inverse, conserver 2 °C comme référence principale reviendrait à conserver un objectif collectif qui sacrifie explicitement une partie des territoires de la planète et de leurs habitants. Certes, c’est, de fait, ce qui se produit implicitement au travers des rapports de forces étatiques parcourant les négociations. Néanmoins cela est difficilement justifiable d’un point de vue éthique dans un texte sous l’égide de la Convention climat, de surcroît censé faire date.

Le « réalisme scientifique » avancé pour justifier le maintien d’une référence à 2 °C est lui-même discutable. Dans le cas où les négociateurs souhaiteraient suivre une ligne de la plus grande robustesse scientifique possible, ils devraient en fait s’abstenir de mentionner un quelconque chiffre. C’est précisément la position de l’Arabie Saoudite, moins du fait d’un souci de précision scientifique que d’un travail de démobilisation politique.

Susciter des mesures plus ambitieuses

Enfin, au-delà de sa valeur symbolique, le renforcement de la référence à 1,5 °C à Paris peut avoir des effets induits à plus long terme. D’un côté, l’instance des pays « les plus vulnérables » est parfois perçu comme risquant d’obscurcir les débats politique : en adoptant un objectif impossible à atteindre, voire déjà dépassé, du fait de la physique du climat, le sommet de Paris risquerait d’accroître la perception d’une « politique du faire semblant ». De l’autre, on peut considérer qu’insister sur 1,5 °C est, au contraire, un moyen de souligner un peu plus les inerties et blocages politiques : la trajectoire de + 2,7 °C dans laquelle les contributions nationales nous engage en devient d’autant plus inacceptable qu’elle n’est plus éloignée de 0,7 °C de l’objectif, mais de 1,2 °C.

En ce sens, mentionner plus explicitement qu’auparavant un objectif de 1,5 °C permet donc de renforcer les exigences de mesures ambitieuses, et de mettre encore plus crûment en lumière les responsabilités. Celles-ci ne doivent plus être jugées à l’aune des risques de tipping points, mais bien à l’aune des impacts sur les écosystèmes et populations les plus vulnérables.

Deux limites importantes en restent néanmoins à souligner, en premier lieu sa « valeur d’échange » dans les négociations : dans quelle mesure les pays portant l’étendard de 1,5 °C ont-ils laissé de côté d’autres points tout aussi cruciaux (concernant notamment les financements ou les pertes et dommages) pour voir figurer ce chiffre dans l’accord ? La seconde limite est tout aussi cruciale : au-delà du symbole et de l’utilité politique, viser concrètement une quelconque mise en œuvre d’un objectif à 1,5 °C impliquerait nécessairement d’ouvrir la voie à des « solutions » de captation et capture du carbone.

Éviter des technologies potentiellement dangereuses ou sauver les petits États insulaires ? Ce dilemme, exprimé ici crûment, reste pour l’instant confiné aux cercles d’experts, ou commodément obéré dans les cercles militants. Il ne pourra qu’aller croissant au fur et à mesure des impacts constatés au fil des années.

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