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2017, Année de l’Olympisme ?

La tradition du relais de la flamme olympique, une invention des nazis. Bundesarchiv

À l’initiative du Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et par le biais d’une circulaire envoyée le 22 août 2016 à tous les établissements scolaires français, l’année 2017 est appelée à être l’« Année de l’olympisme, de l’école à l’Université ». Afin de motiver les établissements scolaires, quatre grands objectifs ont été retenus : « valoriser les pratiques sportives à l’École […] ; valoriser le sport comme outil pédagogique […] ; valoriser la dimension culturelle du sport […] ; mobiliser le sport comme un outil permettant de renforcer les liens entre les établissements d’enseignement, leur environnement et le milieu associatif […]. »

Le label « Année de l’Olympisme, de l’école à l’université » sera attribué par ce même ministère aux actions qui remplissent entre autres la condition d’un partenariat entre établissement scolaire (ou universitaire) et un acteur du sport scolaire et/ou du mouvement sportif. Il ira aussi aux actions qui lient la pratique sportive à une ambition éducative, culturelle ou citoyenne autour de l’Olympisme et de ses valeurs sur le modèle des Classes olympiques, une action éducative proposée par le CNOSF (Comité national olympique et sportif français).

Les établissements, classes et groupes d’étudiants labellisés pourront participer à cinq défis organisés par « Paris 2024 », lui-même partenaire de l’« Année de l’Olympisme, de l’école à l’université ». Quelques questions face à cette déferlante.

Les thèmes des défis proposés à la jeunesse scolarisée sont-ils, d’une part, si stimulants pour l’esprit par le biais de : la réalisation de la carte de vœux de « Paris 2024 », la rédaction de lettres aux membres du Comité international olympique, le concours artistique « Cultures du monde », le concours photo/vidéo « Partageons Paris 2024 », la mise en place d’une journée « Sport campus » dans les universités, la promotion d’une « semaine olympique et paralympique » sur « l’ensemble du territoire » et l’apothéose d’une « Journée olympique », le 23 juin 2017. D’autre part, on perçoit très vite que la thématique générale de ces défis et leur organisation sont d’emblée liées à une adhésion aux valeurs de l’Olympisme, orientées par une soumission aux idéaux olympiques acceptés sans aucun recul critique.

Le réseau CANOPE, un établissement public, est mis à contribution par le biais d’une plate-forme, « la grande école du sport aux couleurs de l’Olympisme », intégrant de nombreuses ressources (textes, images, vidéos) mises en ligne. L’ancien nageur Alain Bernard tente de nous convaincre dans une interview didactique qu’il faut sans cesse chercher à se dépasser mais que : « se dépasser, c’est du travail ». Pourquoi faudrait-il d’ailleurs se dépasser ? Pour quoi et pour qui ? Se dépasser n’est-il pas lié à ce point à la compétition que certains la refusent parce que dangereuse (élimination des faibles, tricherie généralisée, lutte de tous contre tous… ) ?

Lavage de cerveaux

Ne remettra-t-on donc jamais en cause ce thème du « dépassement de soi » lorsqu’il s’agit d’entraînements démentiels liés à la fréquence infernale des longueurs de bassin de piscine sur un rythme soutenu par l’exigence du chronomètre ? Est-ce là un si bel idéal pour la jeunesse ? Quelles valeurs et idéaux humains (émancipation, autonomie, liberté… ) seraient ainsi mises en œuvre à nager dix heures par jour pendant plusieurs années ? Quelle intelligence cherche-t-on à développer lorsqu’on répète pendant toute sa jeunesse et des années durant les mêmes gestes ?

L’école et l’université doivent-elles devenir, elles aussi, les lieux d’intégration et de promotion de la grande mystification que sont les fausses valeurs ou les pseudo-valeurs de l’Olympisme bien souvent contredites par la réalité : esprit de compétition, excellence, fair-play, tolérance et refus de toute discrimination, esprit d’amitié et de fraternité, solidarité, compréhension mutuelle, paix dans le monde, construction d’un monde meilleur ?

Les symboles de l’Olympisme doivent-ils également servir de référence à la jeunesse : la terrible devise (« Citius, altius, fortius ») qui est le pendant sportif de la lutte de tous contre tous du système capitaliste actuel, le credo mensonger (« Le plus important aux Jeux olympiques n’est pas de gagner mais de participer… »), les anneaux si purs (des cercles aux couleurs des continents sur un fond blanc censé représenter la paix), le serment toujours contredit par les faits, la flamme et le relais de la flamme (inventé par les nazis pour les JO de 1936), l’hymne si désuet ?

Lors du serment olympique, l’athlète récite en effet des propos lénifiants : « Au nom de tous les concurrents, je promets que nous prendrons part à ces jeux olympiques en respectant et suivant les règles qui les régissent, en nous engageant pour un sport sans dopage et sans drogues, dans un esprit chevaleresque, pour la gloire du sport et l’honneur de nos équipes. » Là encore : mythe, légende, bref idéologie coriace du rêve olympique.

Sur le site du Ministère de l’’Education Nationale.

Se souvenir de l’histoire des JO

Le 31 décembre dernier, sur les Champs-Élysées, la foule rassemblée pour fêter le Nouvel An a pu constater avec surprise que l’Arc de triomphe, un édifice public, avait été privatisé par l’entreprise « # Paris 2024 ». D’autres sites culturels emblématiques de Paris seront associés à l’entreprise olympique : Notre-Dame, l’Hôtel de Ville, le Musée du Louvre, le musée d’Orsay, les Grand et Petit Palais, le Trocadéro, la Tour Eiffel et la Bibliothèque nationale. Des monuments qui n’ont pourtant aucun rapport avec les Jeux olympiques.

Ainsi fut projetée sur sa façade la « merveilleuse histoire » des JO dont on avait soigneusement expurgé les côtés sombres : son histoire coloniale (aux JO de Saint-Louis, en 1904, des « Jeux anthropologiques » réservés aux non-blancs voulaient faire la démonstration in situ de l’existence de races inférieures… ), ses présidents du CIO racistes (Pierre de Coubertin), xénophobes voire antisémites (Avery Brundage, Henri de Baillet-Latour, fascisants (Juan Antonio Samaranch). L’actuel président du CIO, Thomas Bach, fut aussi président du Ghorfa, une chambre de commerce germano-arabe qui organise la vente des armes et boycotte les produits israéliens.

On y omettait les tentatives de boycott (Jeux de Berlin en 1936) et les boycotts effectifs (de 1976 à 1988), le dopage généralisé des athlètes (après les athlètes américains, les jamaïcains, les chinois puis toute la fédération russe), les malversations, la prévarication et la concussion au sein du CIO (scandale des pots-de-vin de Salt Lake City). Preuves que l’on ressasse les valeurs olympiques sans chercher à analyser leurs réalités ni à comprendre l’histoire qui les sous-tend.

Face à un Olympisme omnipotent, une Université qui ne joue pas son rôle

Toute l’organisation autour de « Paris 2024 » a pour but de susciter un vaste mouvement populaire et jeune, puis de le maintenir pour lui instiller l’« idéal olympique », cette « philosophie de vie », et même ce « style de vie fondé sur la joie dans l’effort » tel que le promeut la Charte dans les cinq « Principes fondamentaux de l’Olympisme ». Coubertin parlait de l’« Olympisation » de nos sociétés…

Quant au CIO, on est en droit de se demander comment une organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif a tant de facilité à s’introduire dans toute l’institution scolaire. Il y a bien sûr la puissance intrinsèque du CIO, et plus largement du Mouvement olympique, devenu une institution comparable en terme d’échelle (économique et politique) à un État et dont les dirigeants (une centaine de membres dont deux-tiers d’hommes) ne sont pas élus mais cooptés. Un CIO autour duquel se rassemblent les plus grandes compagnies internationales (Visa, Coca-Cola, McDonald’s, Toyota, Samsung, etc.), les sponsors officiels, auxquels s’associe, à chaque édition des JO, une quarantaine d’entreprises locales. Un CIO dont la trésorerie est alimentée pour plus de la moitié par les droits télévisés.

Cette puissance n’explique cependant pas tout. Nos établissements scolaires, et surtout l’Université, ont toujours refusé d’analyser la réalité par trop opaque d’un Olympisme pas si immaculé.

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