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À Calais, un fiasco très politique

Des migrants soudanais s'abritent de la pluie dans la « Nouvelle jungle ». Septembre 2015. Philippe Huguen/AFP

Alors qu’une vague de solidarité avec les migrants, dénonçant les conséquences tragiques du renforcement des frontières de l’Union européenne, se fait entendre à travers l’Europe, les migrants de Calais s’organisent à nouveau. Au cours des deux premières semaines de septembre, au moins huit manifestations regroupant migrants et militants ont eu lieu sur place. Les manifestants réclament des conditions de vie décentes et la possibilité pour ceux qui le souhaitent de continuer leur voyage vers l’Angleterre.

Ces manifestations ont lieu à peine deux mois après que la situation à Calais a été de nouveau au centre de l’attention médiatique : fin juillet 2015, des milliers de migrants ont tenté de passer en Angleterre en empruntant l’Eurotunnel. Depuis juin dernier, plus d’une dizaine de personnes aurait trouvé la mort lors de ces tentatives.

Les efforts déployés par les migrants pour franchir les barrières de l’Eurotunnel ne résultent pas uniquement d’une hausse temporaire du nombre de réfugiés arrivant en Europe depuis les zones de guerre. Ils ont surtout été provoqués par une série de décisions politiques de la part des gouvernements français successifs (de gauche comme de droite), dont le but était de rendre les migrants de Calais et ses alentours de plus en plus vulnérables.

Ni eau ni électricité

En avril 2015, les autorités locales ont déplacé des milliers de sans-papiers qui vivaient dans différents squats de Calais vers un site unique appelé la « Nouvelle Jungle ». Le site se situe à 7 kilomètres de la ville elle-même, sur une ancienne décharge. Les migrants n’y ont accès ni à l’eau ni à l’électricité.

Déplacer les migrants de Calais vers ce bidonville a été présenté comme une réponse de l’Etat français suite à plusieurs échauffourées entre groupes au cours des mois précédents. Avec environ 3000 personnes vivant dans des squats aux conditions insalubres, des tensions commençaient à se faire sentir.

Or, loin d’être une réponse ou une solution, la création du bidonville de la « Nouvelle Jungle » par les autorités françaises est un exemple supplémentaire de l’attitude purement réactive et répressive qui caractérise la gestion des immigrés à Calais depuis la fin des années 1990. Il s’agit là d’une stratégie dont les objectifs sont doubles : éloigner les migrants des rues de Calais et briser les efforts de solidarité dont font montre les citoyens.

Des Kosovars aux Erythréens

La présence de migrants sans-papiers attendant de pouvoir traverser la Manche est attestée à Calais depuis 1986. Leur nombre et leur origine ont évolué au gré de la situation géopolitique en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Les Kosovars du début des années quatre-vingt-dix ont été remplacés par des Somaliens, des Afghans, des Soudanais, des Iraniens, des Irakiens et des Erythréens.

Après une décennie de politique de laissez-faire, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Lionel Jospin, développe une stratégie de mise à l’écart et d’invisibilisation des migrants en ouvrant le centre de rétention de Sangatte en 1999. Situé à 9 km de Calais, il est installé dans un ancien entrepôt utilisé lors du creusement du tunnel sous la Manche.

Des policiers traquent les candidats à la traversée de la Manche. Philippe Huguen/AFP

Le nombre de personnes hébergées dans le centre fluctue entre 800 et 1400. Lorsque Sangatte est fermé en 2002 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, les migrants sont dispersés dans toute la région. Des camps informels sont alors signalés près des routes menant aux zones portuaires de Calais, ainsi qu’à Cherbourg, Grande Synthe, Norrent Fontes, Angres et Steenvoorde. Alors que les conditions sanitaires des populations migrantes se détériorent, le harcèlement policier lui ne cesse de croître.

Les gouvernements successifs ne procèdent à aucune autre intervention jusqu’en 2009, lorsqu’Eric Besson, Ministre de l’immigration et de l’Identité nationale dans le gouvernement du Premier ministre François Fillon, et Nicolas Sarkozy, devenu Président, ordonne l’évacuation de ce que ce dernier désigne comme « jungle » – les camps éparpillés autour de Calais.

Cette opération réussit à démonter temporairement les réseaux associatifs et informels de soutien et les migrants se trouvent davantage éloignés de la ville. Un nouveau camp voit le jour à Calais, derrière une usine de la société chimique Tixoide. Plusieurs centaines de personnes y sont hébergées. D’autres se forment sur la plage et dans des squats de Calais. Ce sont tous ces groupes qui ont été de nouveau évacués en avril, et déplacés vers la « Nouvelle Jungle ».

Des réseaux de soutien pris pour cible

Les politiques gouvernementales ne ciblent pas seulement les populations migrantes mais aussi leurs réseaux de solidarité. Depuis les années 1990, le nombre d’organisations et de personnes leur apportant de l’aide en distribuant de la nourriture et des produits de première nécessité, en proposant un logement ou bien, tout simplement, en permettant de passer un appel téléphonique, ne cesse de croître. L’Auberge des Migrants a ainsi été créé en 2008 pour fournir des repas quotidiens et des vêtements aux migrants. Depuis 2009, le réseau No Border est présent à Calais et fait connaître les conditions de vie des migrants.

Suite à la médiatisation des tentatives de passage de l’Eurotunnel, cet été, de nouvelles organisations se sont investies à Calais. Il s’agit surtout de groupes militants locaux ou des pays proches – tels que l’Angleterre, l’Irlande et la Belgique – qui viennent répondre aux besoins quotidiens des migrants face à l’absence de réponse du gouvernement et de la plupart des organisations humanitaires les plus importantes.

Des réfugiés syriens dans l’attente de pouvoir passer en Angleterre. Septembre 2015. Philippe Huguen/AFP

En réaction à cette multiplication d’associations petites et grandes, le gouvernement tente de criminaliser les activités de soutien. Une loi, conçue en 2004 et mise en œuvre de 2006 à 2012, stipule que toute personne aidant directement au séjour irrégulier d’un étranger ferait l’objet d’une amende allant jusqu’à 30 000 euros et d’une peine pouvant atteindre cinq ans de prison. Des militants des organisations de solidarité présentes à Calais, tels que les activistes du réseau No Border, ont également été victimes de violences policières.

Une série de procès a reçu une large couverture médiatique dans la presse française. Le film Welcome, sorti en 2009, a contribué à la sensibilisation de la population au sujet de cette criminalisation.

Produit du système européen

Cette double stratégie du gouvernement – invisibilisation des migrants et délégitimisation des réseaux de solidarité – a permis la mise en place d’une politique d’expulsion de facto. Les immigrants sont présentés par les acteurs politiques et médiatiques comme étant en transit, ne souhaitant pas s’installer en France et n’ayant ainsi aucune volonté de s’intégrer à la société française.

En réalité, cette situation est en majeure partie la conséquence d’un accord européen appelé Dublin III, qui oblige les demandeurs d’asile à ne solliciter le statut de réfugié que dans le premier pays par lequel ils arrivent. Beaucoup arrivent par l’Italie, Malte ou la Grèce – des pays où le processus de demande d’asile peut prendre très longtemps, où les taux d’acceptation sont bas et où les conditions de vie sont dures. Cela les incite à continuer leur chemin vers d’autres pays.

L’opacité qui entoure la procédure d’asile aggrave la situation à Calais et ailleurs. Il est probable que beaucoup de migrants ignorent, par exemple, que la France octroie le statut de réfugié à la quasi-totalité des Erythréens et des Syriens qui le demandent. Le taux d’acceptation des Syriens était de 96 % en 2014 et les demandes d’asile de la part des Erythréens sont traitées rapidement à Calais.

Lorsque les migrants sont correctement informés, beaucoup décident de rester en France. L’Office Français pour les Réfugiés et Apatrides (OFPRA) a ouvert un centre d’information à Calais en juin 2014. Au cours de la seconde moitié de l’année 2014, 437 demandes d’asile, provenant en majorité de Soudanais et d’Erythréens, ont été déposées, avec un taux d’acceptation de 48 %.

Les immigrants ne désirent pas tous traverser la Manche par simple désir personnel d’aller au Royaume Uni. Ils essaient avant tout de se frayer un chemin dans le système d’asile de l’UE, qui les condamne à une vie clandestine, passée à éviter les expulsions.

Co-auteure de cet article, Céline Cantat, docteur de l’University of East London et de Migrinter (Université de Poitiers), travaille notamment sur les mouvements de soutien aux migrants.

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