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À Rezé, habitants, chercheurs et élus à l’écoute des sons de la ville

Toni Torfer, tous droits réservés.

Une simple déambulation d’une quinzaine de minutes dans une ville peut suffire à en percevoir la richesse sonore : bruits lointains ou omniprésents des transports routiers, auxquels se joignent éventuellement des bruits de tramway ou des bruits aériens ; chants d’oiseaux, d’alyte accoucheurs, vent dans les feuillages ; bruits de travaux, voix d’adultes, jeux d’enfants…

Cette diversité sonore accompagne et façonne notre relation à la ville ; elle est également un élément révélateur des dynamiques urbaines et des politiques publiques de mobilité ou d’aménagement. Les journées sans voitures mises en place par certaines métropoles, ou plus encore le confinement du printemps 2020, ont fait prendre conscience de la place du bruit dans nos villes.

Développer un environnement sonore de qualité est un enjeu majeur de la fabrique de la ville. Les impacts sanitaires d’une exposition prolongée à des niveaux sonores trop élevés sont démontrés. Ils sont du même ordre de grandeur que ceux de la pollution de l’air : chaque année, plus de 1,5 million d’années de vie en bonne santé sont perdues à l’échelle de l’Union européenne.

À l’inverse, des études ont montré qu’avoir accès à des zones calmes permet un ressourcement bénéfique.

Seulement, établir un diagnostic des environnements sonores d’une ville n’est pas chose aisée. La diversité des sons entendus, et la forte variabilité des niveaux sonores compliquent les estimations que peuvent fournir les modèles développés par les chercheurs.

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Des habitants expriment souvent l’écart entre leur sentiment de gêne et les cartes d’exposition au bruit construites par modélisation, document que chaque agglomération européenne de plus de 100 000 habitants doit produire et mettre à disposition des habitants (voir par exemple celle de Nantes).

Les environnements sonores sont donc de difficiles diagnostics, ce qui engendre des difficultés dans leur prise en compte par les politiques publiques. Dès lors, il apparaît nécessaire de s’atteler à la question du bruit dans la ville de façon transversale.

Convoquer l’expertise des habitants

Pour cela, l’expertise d’usage des habitants doit être convoquée. En effet, qui est mieux placé pour concevoir ce diagnostic, pour porter des suggestions allant vers des environnements sonores de meilleure qualité ?

Comment valoriser leur connaissance du territoire ? Telle est la question posée par le projet SonoRezé, co-construit par l’Université Gustave Eiffel et la Ville de Rezé.

Les habitants de cette commune de 43 000 habitants située dans la métropole de Nantes ont été invités à contribuer au premier diagnostic citoyen des environnements sonores à l’échelle d’une ville.

La première question posée a été celle d’une cartographie participative des environnements sonores des lieux. Pour cela, les Rezéens ont été invités à télécharger l’application Android gratuite et open-source NoiseCapture, développée à l’Université Gustave Eiffel, qui permet d’effectuer des mesures de niveau sonore depuis un téléphone.

Toni Torfer, tous droits réservés. Author provided

Chaque mesure de bruit est combinée avec la trace GPS du mobile. Les données sont ensuite traitées pour créer une carte interactive du bruit qui peut être consultée en ligne.

Pour mieux appréhender la diversité des sons entendus, un mode « tag » permet également aux participants de renseigner les sources sonores.

Au cours des 7 mois qu’a duré l’expérimentation, de décembre 2021 à juin 2022, plus de 130 personnes ont contribué à collecter près de 100h de données réparties dans les différents quartiers de la ville. Les mesures étaient réalisées soit librement au cours de leur vie quotidienne, soit lors de séances de mesures collectives suivies d’un moment d’échange informel et convivial.

Des groupes de discussion pour apporter de la nuance

Les données ont permis l’élaboration d’une carte de niveaux sonores, ainsi que des cartes de bruit par source sonore, mettant en évidence la prégnance des bruits d’avion, de nature, ou de tramway dans les différents quartiers.

Cartes d’environnements sonores produites. Niveaux LA50 : c’est le niveau sonore dépassé pendant 50 % du temps en un point. Author provided

Ces cartes ont été complétées par les témoignages des habitants, essentiels pour nuancer et contextualiser les données objectives collectées. Au cours de groupes de discussion associant élus, chercheurs et habitants, ces derniers ont pu s’exprimer librement sur les ambiances sonores relevées, dans leurs composantes positives ou négatives.

Toni Torfer, tous droits réservés. Author provided

Deux sources sonores ont émergé et ont fait l’objet d’un consensus : le trafic routier et le trafic aérien. Ce consensus illustre les préoccupations des habitants d’une localité traversée par un important trafic pendulaire (déplacements quotidiens pour des motifs de travail) et située sous le couloir aérien de l’aéroport Nantes-Atlantique, à moins de 5 km.

« J’ai vraiment l’impression que maintenant, peut-être encore plus au sud du périphérique, il y a du trafic tout le temps ! Tout le temps ! A toute heure de la journée… et puis le matin, c’est incroyable ».

Toni Torfer, tous droits réservés. Author provided

Les entretiens ont mis en évidence la diversité des ambiances sonores de la ville, mais aussi les différences de perception : le bruit d’un stade ou d’un café peut par exemple ne pas faire consensus.

La dimension psychologique du bruit est également un élément qui ressort de la discussion, en particulier pour le bruit des avions :

« Quand je pense après, tous les citoyens de Nantes qui disent OK il faut réduire le CO2, et puis ils prennent l’avion le week-end pour aller au Portugal boire un verre avec des amis. Ce n’est pas cohérent pour moi, et peut-être que ça ajoute à l’agressivité contre le bruit ».

Les groupes de discussion ont également permis de dresser le portrait d’une ville dotée d’environnements sonores de qualité, avec des espaces verts et des zones résidentielles préservées : « Après y a 3 parcs là-bas […] qui sont plutôt agréables […] assez protégés de tout ce qui est bruit routier… et quand on est là-bas, on n’a pas l’impression d’être en ville ».

Carte de présence des sources de bruit « trafic aérien ». Author provided

Les échanges ont également montré que la participation à l’expérimentation modifie la relation aux environnements sonores :

« Le fait d’enregistrer nous ouvre à tous les bruits qui nous entourent, ce qui fait que, sur le plan personnel, c’est plutôt agréable parce que ça renforce le sens de l’ouïe et de l’écoute ».

Améliorer l’environnement sonore sur d’autres territoires

Enfin, participer à un collectif favorise une certaine empathie entre les participants, leur permettant de relativiser leur cas personnel, d’extrapoler les expériences et d’avoir une vision plus globale de la perception du bruit dans leur ville, afin d’élaborer un diagnostic collectif.

Ceux qui ont participé au processus ont également fait preuve de lucidité quant aux mutations passées et actuelles de la ville ainsi qu’à leurs répercussions sur l’environnement sonore quotidien.

« Pour moi, l’axe principal qui pourrait faire évoluer le son dans la ville, c’est vraiment de ne pas faire du 100 % routier. »

Le dispositif permet aussi de sensibiliser les participants aux pratiques qui conduisent à un environnement sonore de qualité.

Car, pour la collectivité, c’est bien l’autre enjeu d’une telle démarche : constituer un groupe d’habitants « oreille », éduqué à la problématique du bruit et capable de porter des actions pour une amélioration des environnements sonores.

C’est la question désormais posée collectivement par le projet SonoRezé II, financé par l’Agence nationale de la recherche. Les objectifs sont multiples : étendre les séances de mesures collectives pour affiner le diagnostic, accentuer les actions de sensibilisation au bruit, co-construire des actions portées par les habitants pour améliorer les environnements sonores. Il s’agit aussi de réfléchir à la manière d’étendre la démarche d’autres territoires, petites villes ou métropoles.


Cet article a été co-écrit avec Philippe Audubert, adjoint « Politique publique en faveur des personnes âgées et de la prévention de la santé » de la Ville de Rezé, et Claire Guiu, adjointe « Pôle Aménagement – Paysages et écologie ». L’équipe SonoRezé souhaite remercier chaleureusement tous les participants ayant effectué des mesures ou participé aux groupes de discussion. Si vous habitez Rezé et souhaitez participer à ce projet de recherche, rendez-vous ici

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