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Acteurs financiers publics, un rôle stratégique face à la transition énergétique

Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, dévoile des propositions visant à régir la transition vers une économie à faible émission de carbone, baptisée « European Green Deal », lors d’une conférence de presse au Parlement européen à Bruxelles, le 14 juillet 2021. John Thys / AFP

La transition écologique soumet les systèmes financiers à un triple défi : le changement climatique et ses effets prennent en premier lieu place à très long terme au regard de l’horizon décisionnel de la plupart des acteurs financiers – c’est « la tragédie de l’horizon » soulignée par l’économiste et banquier Mark Carney en 2015.

Ensuite, la dimension systémique du risque climat, est susceptible d’affecter le fonctionnement global du système financier comme lors de la crise financière de 2008.

Enfin, la transition climatique nécessite des investissements considérables, estimés à environ 2 % à 3 % du PIB chaque année selon les Nations unies. Ce qui pose la question de leur financement et des acteurs qui en sont à l’origine.

Des missions confiées par l’État

Les intermédiaires financiers publics (IFP) – plus connus sous le nom de banques publiques ou de développement – ont un rôle stratégique à jouer face à ces défis. Comme l’ont montré les économistes, ils ont une place essentielle dans de nombreux pays pour leur capacité à financer des projets de taille importante, à maturité longue et générateurs d’externalités positives.

Leurs missions leur sont confiées par l’État et consistent notamment à mener une politique de financement contra-cyclique dans une logique keynésienne de stabilisation, et à contribuer au financement d’opérations risquées et d’entreprises innovantes suivant une logique schumpétérienne de soutien à l’innovation.

Enfin, dans la mesure où la transition climatique requiert des financements massifs que les banques et les investisseurs privés ne peuvent réaliser seuls, elles ont aussi un rôle stratégique de « catalyseurs » des financements.

Selon l’économiste Mazzucato, ces acteurs financiers publics font partie des leviers dont dispose l’État pour remplir ses fonctions d’assureur et de preneur de risque, parmi d’autres outils tels que la régulation financière et prudentielle, et la planification écologique.

Une importance historique

L’analyse historique montre que ces entités ont accompagné notre développement économique. Au XIXe siècle, l’État a créé des institutions financières publiques telles que la Caisse des Dépôts pour financer des projets de grande ampleur.

Dans la période d’après-guerre, les banques publiques se sont déployées aux différentes échelles géographiques, à l’instar de la Banque mondiale pour la reconstruction et le développement, fondée dans le cadre des Accords de Bretton Woods de 1944, et de la Banque européenne d’investissement (BEI) qui a vu le jour en 1958.

À partir des années 1970, les politiques néolibérales, en conduisant à la privatisation du système bancaire, ont mené au recul des banques publiques. Jusqu’à ce que la crise financière de 2008 et les impératifs écologiques leur redonnent un rôle stratégique, par exemple à travers le « Green deal européen » lancé en septembre 2019.

Aujourd’hui, la situation apparaît toutefois paradoxale. Malgré leur reconnaissance officielle, ces acteurs ne font pas l’objet d’une définition claire et consensuelle et leur diversité est mal répertoriée.

Quelles caractéristiques ?

En l’absence d’acception commune, nous avons procédé à une analyse fondée sur plusieurs critères parmi lesquels la propriété et le contrôle publics, l’existence de missions d’intérêt général, la nature des ressources et des instruments de financement et les types d’emprunteurs et de secteurs visés.

En combinant les deux premiers critères, les intermédiaires financiers publics peuvent être définis comme toute institution financière qu’au moins un État ou une collectivité publique possède ou contrôle avec un mandat légal explicite pour atteindre des objectifs socio-économiques plus ou moins larges dans une région ou un secteur.

La prise en compte d’un troisième critère lié à la nature des instruments de financement permet de distinguer deux principales catégories d’IFP :

  • les banques publiques, qui octroient des crédits, sont composées de banques multilatérales de développement (BMD) à l’image de la BEI et les banques nationales de développement (BND) comme la banque allemande KfW, les banques d’investissement vert telles que la New York Green Bank, les banques commerciales sous contrôle public.

  • les fonds d’investissement publics, qui achètent des titres, englobent les fonds de pension publics, les fonds souverains et les fonds de dotations universitaires publics.

Des acteurs hétérogènes

Les IFP ne constituent pas un groupe homogène d’institutions, à l’instar de leurs homologues privés. Le poids des fonds d’investissement publics (environ 25 trillions de dollars) est bien supérieur à celui des banques publiques (6,5 trillions). Les actifs sous gestion des IFP sont quant à eux très inférieurs à ceux des investisseurs institutionnels (90 trillions) et des grandes banques privées (95 trillions).

En matière géographique, les fonds privés/publics et les banques privées sont l’apanage des pays développés, alors que les banques publiques se trouvent majoritairement dans les pays à revenus intermédiaires. Les banques vertes concernent quant à elles principalement les pays développés.

Concernant leurs ressources, les fonds publics ont moins de contraintes de liquidité à court terme liées à leur épargne longue, que les banques commerciales et mutual funds. Enfin, la plupart des banques publiques bénéficient de la garantie de l’État pour obtenir des ressources bon marché.

Un engagement climatique tardif et inégal

Au regard de leurs missions, l’engagement des IFP dans la lutte contre le changement climatique est assez inégal. Concernant les banques publiques, il apparaît comme une priorité pour certaines BND quand les BMD priorisent plutôt la lutte contre la pauvreté, la faim, la santé et l’éducation. Seules les banques vertes ont un mandat exclusivement dédié à l’environnement : leur domaine d’intervention est toutefois limité car local et de faible taille. De leur côté, les fonds publics ne sont pas explicitement missionnés sur le climat mais ils ont été progressivement incités à intégrer des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) suite à des initiatives internationales (PRI en 2006, COP21 en 2015).

Un état des lieux des politiques d’investissement en matière climatique des IFP leaders européens révèle un engagement inégal mais aussi tardif. Il est ancien sur les Objectifs de développement durable (ODD) pour la KfW (1980’s) et le fonds souverain norvégien en matière d’investissement responsable (2004) et plutôt récent pour le fonds de pension néerlandais ABP et l’université d’Oxford et la BEI avec plan climat (2015).

Dans l’ensemble, les IFP affichent des objectifs d’investissement plus ou moins chiffrés et font des déclarations d’intention. Par exemple, la BEI s’est engagée à consacrer 25 % de ses investissements pour atténuer le changement climatique sur la période 2015-2020. Et le fonds ABP a annoncé l’objectif de réduction d’empreinte carbone de son portefeuille à 30 %.

Des écarts entre déclarations et pratiques réelles_

À comparer les déclarations d’intention avec les pratiques, quelques écarts apparaissent toutefois.

En effet, si le fonds souverain norvégien affiche une politique d’investissement responsable, il poursuit toujours l’exploitation de gisements pétroliers, notamment dans l’Arctique. De même, il possède un portefeuille substantiel dans le secteur du pétrole et du gaz fin 2018 – 37 milliards de dollars. Quant aux cessions d’actifs carbonés, ils ne concernent que les compagnies pétrolières qui n’investissent pas dans les énergies renouvelables : les majors pétrolières comme Total, BP ou ExxonMobil sont donc épargnées.

La BEI de son côté a continué, en parallèle de ses investissements verts, à prêter 13,5 milliards d’euros à des activités liées aux combustibles fossiles. Avec environ 25 milliards d’euros, le secteur des transports a en outre dominé le volume des prêts de 2015 à 2018, soit le même volume que l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables réunies.

Au final, un des obstacles majeurs auxquels se heurte l’analyse des stratégies d’investissement climatiques des IFP européens est le manque de transparence. La mise en œuvre des engagements pris depuis 2015 n’est en effet pas vérifiable, du fait du caractère volontaire et facultatif de la publication d’informations financières et extra-financières sur les investissements verts par rapport à ceux des secteurs fossiles, sur les cessions d’actifs ou l’engagement actionnarial…

Plusieurs pistes sont possibles pour renforcer l’action des IFP en matière de climat. Certaines recommandations de la Task Force on Climate Related Financial Disclosures pourraient être rendues obligatoires et leur mise en œuvre rendue publique dans les rapports annuels de ces institutions afin d’améliorer la transparence. Par ailleurs, les banques centrales pourraient avoir un rôle important pour accélérer le financement de la transition énergétique en refinançant les banques publiques, ce qui les rendrait moins dépendantes des marchés.

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