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Deux membres de l'équipe olympique canadienne de nage synchronisée se produisent lors des Jeux olympiques d'été de 2016. Le sport est au centre d'allégations d'abus et de harcèlement. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Allégations d’abus en natation artistique : comment mieux encadrer le sport d’élite

Le centre d’entraînement de Montréal de l’équipe nationale senior de Natation artistique Canada (auparavant appelée nage synchronisée) a été fermé récemment à la suite d’allégations d’abus et de harcèlement.

Radio-Canada Sports a obtenu un enregistrement de Julie Healy, directrice du sport de Natation artistique Canada, répondant aux allégations d’abus psychologiques et de commentaires discriminatoires aux athlètes : « Nous suspendons temporairement nos activités. Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner dans un environnement où des athlètes ne se sentent pas en sécurité, où les entraîneurs ne sentent pas qu’ils peuvent travailler sans se faire accuser d’être hostile, harcelant, abusif. »

Bien que Julie Healy affirme que les abus allégués se sont produits depuis 2019, les nageuses artistiques ont exprimé des préoccupations concernant des abus lors d’entraînement pendant des années, comme le montrent les récents messages sur les médias sociaux d’anciennes membres de l’équipe nationale. Et une récente déclaration de l’organisation de natation artistique de l’Ontario indique qu’il s’agit plutôt d’un problème à l’échelle du sport.

La honte du corps

Nos recherches ont montré que les athlètes féminines pratiquant des sports esthétiques — ceux qui exigent des capacités physiques en plus de l’habileté et du talent artistique, comme la natation artistique — font état d’expériences répétées de violence psychologique, y compris de pratiques de honte corporelle. La natation artistique exige un physique mince, long et élancé. Les athlètes de l’équipe doivent se ressembler. Pour répondre à ces attentes, de nombreux entraîneurs se sont engagés dans des pratiques telles que des pesées régulières, des déclarations désobligeantes sur le corps des athlètes et des recommandations de pratiques alimentaires malsaines.

Une membre de l’équipe nationale senior de Natation artistique Canada performe durant les Championnats mondiaux en Corée du Sud, le 14 juillet 2019. (AP Photo/Mark Baker)

Ne pas se soumettre à ces diktats a des répercussions très réelles, comme d’être retiré de l’équipe. Les athlètes apprennent ainsi à se conformer et font des compromis sur leur santé afin de rester dans l’équipe. Certaines finissent par abandonner complètement le sport.

Des problèmes de coaching

Curieusement, Julie Healy fait référence aux inquiétudes des entraîneurs. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir faire leur travail sans craindre d’être accusés d’être hostile, de harceler ou d’abuser. Il faut se demander quelles sont ces pratiques de coaching qui peuvent faire craindre de telles accusations.

Comment ces professionnels responsables de surveiller la santé et le développement des adolescentes et des adultes en devenir peuvent-ils être perçus comme abusifs ou harcelants ?

Les recherches indiquent qu’une culture de contrôle persiste dans le monde du sport d’élite, une culture dans laquelle les commentaires désobligeants et humiliants et la honte du corps sont des pratiques normalisées. Dans ces milieux, les athlètes apprennent rapidement que pour exploiter leurs talents et leur passion pour le sport, ils doivent tolérer ces pratiques ; en fait, de nombreux athlètes sont socialisés dans ces milieux de manière à accepter ces pratiques comme normales et nécessaires pour une performance optimale.

Malheureusement, ces pratiques normalisées sont préjudiciables à leur santé et à leur bien-être à long terme. Les plaintes concernant Natation artistique Canada sont un autre rappel que les pratiques archaïques d’entraînement doivent être remplacées par des méthodes fondées sur l’apprentissage et le développement, et par un environnement dans lequel les athlètes ont un droit de regard sur leurs expériences et les décisions qui les concernent.

Un documentaire de 2018 par CBC sur l’équipe canadienne de nage synchronisée.

Une nouvelle surveillance

Heureusement, une firme externe a été mandatée afin d’enquêter sur les préoccupations et le climat dans lequel travaillent les athlètes et les entraîneurs de Natation artistique Canada. C’est un grand pas en avant.

Jusqu’à maintenant, les athlètes qui souhaitaient faire part de leurs préoccupations n’avaient qu’un recours possible : en parler à la direction de l’organisme — la même qui embauche les entraîneurs, prend les décisions concernant la composition et le financement de l’équipe olympique et définit le climat général de l’organisation tout entière. Compte tenu des possibles conflits d’intérêts, il n’est pas étonnant que les athlètes aient été réticentes à faire part de leurs préoccupations, ou qu’elles les aient vues ignorées.

Au cours des dernières années, de nombreux chercheurs, athlètes et autres membres de l’écosystème sportif canadien ont plaidé en faveur d’un mécanisme indépendant, extérieur aux organisations sportives, pour recevoir et examiner les plaintes de mauvais traitements infligés aux athlètes. Actuellement, McLaren Global Sport Solutions — un groupe de consultants basé à Toronto — a été chargé de recommander des structures et des processus pour garantir un tel mécanisme indépendant. Un rapport final est attendu sous peu.

Les allégations au sein de Natation artistique Canada renforcent encore une fois la nécessité d’un organisme indépendant où les athlètes peuvent faire part de leurs préoccupations sans crainte de représailles.

La situation au sein de cette discipline sportive nous rappelle que le temps est venu pour le sport de compétition de changer des pratiques qui ne correspondent plus aux attentes et aux normes des Canadiens en matière de traitement des jeunes.

This article was originally published in English

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