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Après la primaire de la droite, la grande bataille idéologique se prépare

Jeudi 24 novembre, le dernier débat de la primaire de la droite et du centre. Eric Feferberg / POOL / AFP

La dramaturgie qui convient à un grand débat politique n’a pas été aussi agressive que les dernières déclarations des deux finalistes de la primaire le laisser augurer. Mais elle a gagné en intensité : le débat du 24 novembre entre Alain Juppé et François Fillon fut riche en contenu, notamment dans sa première moitié où les questions de société – mariage pour tous, avortement – et de politiques publiques – notamment la santé, le temps de travail et les réductions d’effectifs dans la fonction publique – furent traités.

Si l’on peut, à raison, souligner les convergences et les accords entre Alain Juppé et François Fillon sur un modèle politique fondé sur le libéralisme économique, le moins d’impôts et d’État, nous avons néanmoins assisté jeudi à un débat montrant deux projets politiques différents au sein d’un même « paradigme » libéral. Si l’on ne lit les choses qu’à la surface des déclarations, on ne remarque que les différences sur le rythme et la méthode des réformes proposées. Mais au-delà de ces différences, parfois sur-jouées, comme à propos de la suppression de l’ISF, une différence plus sourde et moins visible s’est exprimée.

Le registre de la « dernière chance »

Cette différence sous-jacente tout au long du débat s’est clairement exprimée dans les deux minutes de conclusion dont disposait chaque candidat. François Fillon a exprimé « la fierté d’avoir imposé une certaine partie des thèmes de campagne et d’avoir gagné une bataille idéologique. » Il a ajouté qu’« il n’y a pas de victoire électorale sans victoire idéologique ». En concluant ainsi, François Fillon a, d’une certaine manière, livré le verbatim le plus significatif de toute sa campagne et du projet politique dont il est le porteur.

Parlant de son programme comme d’un « projet précis, puissant, de transformation du pays », il a présenté la « radicalité » de ses propositions de réformes comme la dernière chance d’un pays « au bord de la révolte » : « Si nous ne sommes pas capables de faire bouger les choses dans les trois premiers mois du quinquennat, les Français se détourneront de la politique, et se laisseront tenter par les extrémismes », a-t-il ainsi déclaré.

La conclusion livrée quelques minutes plus tôt par Alain Juppé a également emprunté au registre de la « dernière chance » pour la France : « D’une certaine manière, c’est le dernier rendez-vous, il ne faudra pas le manquer. Il faut un Président prêt à faire des réformes rapides, courageuses. »

Girondin versus Jacobin

Mais Alain Juppé a souhaité aussi souligner et même fortement accentuer sa différence avec le député de Paris. Son discours a alors clairement puisé dans le répertoire rhétorique « girondin » du maire de Bordeaux, renvoyant l’ancien élu de la Sarthe au modèle de la réforme venu d’en haut, trop « brutale » (un mot qu’il avait utilisé avant le débat pour parler du projet de François Fillon) et sans doute trop typiquement « jacobine » aux yeux du grand élu local : « Je voudrais être un président girondin : un Président qui soit fort, facilitateur, qui respecte les initiatives du terrain » résuma Alain Juppé tout en indiquant qu’il s’engageait à « agir vite ».

L’un des énoncés les plus significatifs de cette conclusion fut d’ailleurs prononcé au moment où Alain Juppé voulut résumer cette synthèse bordelaise : « La réforme ce n’est pas la pénitence, c’est l’espérance. Je veux être un Président qui soit celui de tous les Français. Un Président qui ouvre les voies de l’avenir. »

On retrouve ici le biographe de Montesquieu qui, dans la préface à la seconde édition de son livre remarquait, non sans arrière-pensées en vue de la primaire : « À l’heure où les tenants de la rupture cèdent à la tentation de la table rase, l’esprit de modération de Montesquieu, “attitude qui rend possible la plus vaste ouverture sur le monde et le plus large accueil”, est une leçon pour nous tous », écrivait-il dans ce texte.

À la logique du « désétatiser » (notamment le système de santé) et de la réforme en profondeur que François Fillon propose pour l’action publique et le périmètre d’action de l’État, Alain Juppé a opposé son triptyque habituel du « rassurer, rassembler, réformer ». Si les différences entre les deux candidats se sont manifestées à propos des thèmes sociétaux, elles sont en effet apparues plus fortes sur la question centrale de la réforme de l’action publique, de son ampleur, de son rythme, de sa méthode et, en filigrane, de sa finalité.

Si l’on était dans un débat entre candidats d’un même camp politique – posant comme acquis que l’action publique doit être revue à la baisse, ce qui pourrait être hautement contesté dans un débat gauche-droite –, la primaire a néanmoins exercé un effet de zoom sur des différences que l’on pensait plus faibles à la seule lecture des livres publiés par les candidats avant celle-ci.

La mise au jour des grands clivages politiques

Dans notre histoire électorale, cette primaire restera comme un exercice de débat démocratique réussi. Cette réussite, au-delà de la participation de plus de 4 millions d’électeurs au premier tour du dimanche 20 novembre, est ainsi d’avoir mis au jour et même révélé (au-delà de ce que les candidats auraient peut-être même souhaité) des différences qui puisent leurs racines dans l’histoire de longue durée de notre pays.

Des différences marquées sont apparues entre les deux candidats. Eric Feferberg/POOL/AFP

Les signaux faibles des différences entre deux candidats et deux personnalités qui partagent aussi beaucoup en commun nous parlent en effet des grands clivages sur lesquels la politique en France s’est construite et structurée : la question religieuse, la question du rôle et de la place de l’État, la question nationale et identitaire et même la question centre-périphérie.

En prônant une France « heureuse et fière de son identité », identité définie par sa diversité « sans s’enfermer dans le communautarisme » et sous-tendue par « l’amour de la patrie », Alain Juppé a tenté de proposer une synthèse fidèle à son triptyque. François Fillon, lui, a opposé une autre vision, qui passe par le retour aux fondamentaux de la droite que sont le travail, le mérite, l’effort, la nation, les « valeurs chrétiennes » et la réduction du périmètre d’influence de l’État dans la société. Durant la campagne, François Fillon s’était d’ailleurs fait le porte-parole d’une France de ceux qui veulent « que l’État leur foute la paix ».

Réformer le compromis de l’après-guerre

Les résultats du premier tour ont, en tout cas, montré qu’une importante partie de l’électorat de la droite avait voulu saisir l’opportunité historique de réaliser un projet qu’elle porte depuis que la crise économique s’est durablement installée dans notre pays : « réformer » le compromis français issu de l’après-guerre quant au modèle de l’action publique et de l’État-providence.

Sa précédente fenêtre d’opportunité avait été la courte cohabitation 1986-1988, mais la droite avait rencontré sur son chemin un obstacle insurmontable en la personne d’un François Mitterrand au sommet de son art. Même la présidence Sarkozy n’avait pas donné à la droite une telle «fenêtre de tir» car entre 2007 et 2012 la gauche n’était pas affaiblie au point où elle l’est aujourd’hui. Elle avait même engrangé des succès électoraux, comme lors des régionales de 2010.

La gauche va-t-elle trouver dans la primaire de la droite le même élan mobilisateur que l’ancien Président socialiste avait alors puisé dans la cohabitation ? Est-elle trop faible et trop divisée pour cela ? Le combat s’annonce plus passionnant que jamais et la présidentielle 2017 pourrait avoir un fort prisme gauche-droite, perturbé néanmoins par le Front national.

Si François Fillon gagne la primaire le dimanche 27 novembre, la grande bataille idéologique dont il a parlé dans la conclusion de son débat avec Alain Juppé pourrait bien être devant lui.

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