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Arthur Groussier et la lente élaboration du code du travail

24-5-14, manifestation du Père Lachaise, Groussier. Retronews

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


En France, le code du travail résulte d’un long processus. Il se constitue par strates successives, en fonction de l’évolution des rapports de forces politiques, économiques et sociaux. Lente maturation qui tranche par exemple avec l’adoption précoce du code civil napoléonien ou avec les processus à l’œuvre dans d’autres pays comme l’Allemagne, où le cadre général d’une législation du travail fut élaboré beaucoup plus tôt.

Parmi les initiateurs du code du travail, figure le député socialiste Arthur Groussier (1863-1957). Originaire d’Orléans, fils d’un facteur enregistrant, diplômé de l’École des arts et métiers, Arthur Groussier est dessinateur industriel. Malgré sa profession, il s’engage aux côtés de l’Union des mécaniciens de la Seine. Militant du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire de Jean Allemane, il est élu député de Paris en 1893.

En mars 1896, Arthur Groussier dépose, avec le soutien de députés issus de toutes les tendances socialistes, une proposition de résolution « tendant à charger la Commission du travail de la Chambre des députés de rassembler et de réviser toutes les lois concernant la défense des intérêts des travailleurs […] afin d’en former un corps complet, sous le nom de code du travail » (Journal officiel, débats parlementaires, 14 mars 1896, p. 501). Le texte de la résolution déposé par Arthur Groussier affirme : « De même que nous avons un code de commerce qui règle les rapports des commerçants, un code rural qui règle les rapports des agriculteurs, nous demandons un code du travail qui règle les rapports des travailleurs et de leurs employeurs » (Projet de résolution n°1845, 14 mars 1896).

Mais le projet est immédiatement contrarié, car lors de cette même séance à la Chambre, Groussier et son collègue Victor Dejeante, en conflit avec leur parti, sont contraints de démissionner. Le lendemain, seul ce second événement semble retenir l’attention de la presse. Mais, quelques semaines plus tard, L’Avenir de la Mayenne rappelle l’urgence de la constitution d’un code du travail :

« Ajoutons que les lois sur le travail sont souvent incomplètes, ne traitant la question que par un côté et n’intéressant qu’une profession ou qu’une catégorie de travailleurs. Aucune vue d’ensemble ne s’en dégage et l’on comprend que non seulement il est nécessaire d’avoir ce code que les travailleurs réclament depuis si longtemps, mais qu’en outre il est urgent de hâter la solution définitive de toutes les questions ouvrières qui préoccupent à si juste titre le monde des salariés. »

Ayant retrouvé son siège de député sous la bannière de l’Alliance communiste révolutionnaire, Arthur Groussier continue de défendre son projet, à travers une proposition de loi le 11 novembre 1897, puis l’année suivante par une résolution insistant sur l’urgence de la constitution des commissions du travail et de la prévoyance, en vue d’une uniformisation de la législation.

Mais ce n’est qu’en novembre 1901 qu’Alexandre Millerand, alors ministre du Commerce, crée une commission de « codification des lois ouvrières », à laquelle appartient Arthur Groussier.

Comme le soulignent alors Le Siècle ou encore L’Aurore, l’objectif n’est pas de faire évoluer la législation sociale, mais avant tout de rassembler un ensemble de lois et de décrets qui s’enrichit sans cesse. Et l’on note que déjà, à cette époque, l’un des arguments avancés est de s’aligner sur l’exemple des voisins européens ; Le Siècle, 1ᵉʳ décembre 1901 :

« Il parait donc nécessaire, pour éviter toutes ces difficultés, de rassembler dans un texte unique, présentant un ordre méthodique, les dispositions éparses dans les différentes lois de protection ouvrière actuellement en vigueur. Il ne s’agit pas d’introduire dans la législation une disposition nouvelle. Le travail consisterait uniquement à rapprocher les uns des autres les divers articles régissant la même matière et à les simplifier en fondant dans un même texte, les dispositions identiques éparses.

En un mot, il s’agit uniquement d’un travail de rédaction, de mise en ordre, et non de modification ou d’extension de la législation actuelle. La nécessité de ce travail est évidente et se justifie par ce qui se passe au-dehors. La plupart des pays étrangers en ont donné l’exemple. C’est ainsi que l’Allemagne, l’Angleterre, la Russie ont rédigé des codes industriels. »

Quelques mois plus tard, en mai 1902, Arthur Groussier perd à nouveau son mandat de député. Son camarade Victor Dejeante continue de suivre le projet à la Chambre mais l’achèvement du code du travail se fait toujours attendre.

Un projet de loi est finalement déposé en février 1905 par Fernand Dubief, ministre du Commerce. L’occasion de rappeler, à nouveau, le rôle d’Arthur Groussier.

Mais, l’examen du projet s’éternise. En août 1905, L’Intransigeant, journal pourtant ancré dans le camp de la droite nationaliste, se plaint de la lenteur du processus et en profite surtout pour dénoncer les députés socialistes, accusés tout à la fois de freiner le processus et de vouloir dépouiller Arthur Groussier de la paternité du projet :

« Donc, un code du travail s’impose et nous n’aurions qu’à louer les susdits députés, si leur acte législatif n’était pas une sombre fumisterie, s’il n’y avait pas là, comme toujours, l’apparence d’une bonne intention et non pas la bonne intention elle-même. Il suffit d’ailleurs, pour se renseigner sur la valeur intrinsèque et la portée efficace de leur proposition de lire leur exposé des motifs. L’aveu est dépouillé de tout artifice : “Messieurs, la proposition de loi sur le code du travail que nous avons l’honneur de vous présenter avait été déposée dans les deux précédentes législatives par notre ancien collègue, M. Arthur Groussier.” C’est un nouvel avortement qui se prépare. […]

MM. Dejeante et consorts n’auront pas encore leur code du travail en cette législature. Et ils l’espèrent bien. Je dis “leur” code bien improprement puisque l’idée première en a été émise il y aura bientôt douze années, par M. Arthur Groussier que l’ingratitude des électeurs a renvoyé à ses chères études. En gens pratiques, les Dejeante, les Chauvière, les Vaillant et les Sembat se sont appropriés l’utile proposition. Ils ne mettront pas sur leurs prochaines affiches que c’est un simple plagiat. Ils seront les auteurs du Code du Travail. »

De fait, la loi ne sera finalement présentée à la Chambre qu’en octobre 1910 car le projet doit régulièrement être modifié pour tenir compte d’une législation sociale qui continue d’évoluer. Arthur Groussier, de nouveau député depuis 1906, sous la bannière de la SFIO, présente le rapport sur la dernière version du projet de loi. Le 28 décembre 1910, est promulgué le premier des quatre livres du code du travail, portant sur les « conventions relatives au travail » (contrats de travail et d’apprentissage, salaires, placement). Il faudra attendre 1912 pour l’adoption du deuxième livre, sur la « réglementation du travail » (conditions de travail, hygiène, sécurité, etc.), puis 1924 pour le livre IV (de la juridiction, de la conciliation et de l’arbitrage, de la représentation professionnelle) et enfin 1927 pour le troisième, sur les groupements professionnels.

À cette époque, le rôle d’Arthur Groussier dans l’élaboration du code du travail passe parfois au second plan car il s’est aussi fait connaître comme l’un des plus fervents défenseurs d’un mode de scrutin proportionnel, projet désigné dans la presse par le sigle de « RP » pour « représentation proportionnelle ». Ainsi, le militant socialiste Paul Melgrani lui consacre un long article en 1908 dans Les hommes du jour.

En 1913, lorsque Groussier présente une nouvelle proposition de loi sur les conventions collectives, La Lanterne rappelle que son combat pour la « RP » occulte son « labeur jusqu’alors consacré aux questions ouvrières » :

« Quand on écrira l’histoire politique de ces derniers temps, une place sera faite à l’œuvre de M. Groussier et si quelques illustrations fixent pour la postérité l’image des héros de la R. P., M. Arthur Groussier sera en belle place, avec sa grande barbe de Père éternel bon et obstiné.

Et cependant M. Groussier ne sera pas content. Parce que justice ne lui sera point rendue, et que la R. P. n’est qu’un accident dans son labeur consacré jusqu’alors aux questions ouvrières. […]

Et, en vérité, si on méconnaissait le grand et continu effort de M. Groussier en faveur des lois ouvrières, on récompenserait bien mal les services qu’il a rendus. M. Groussier est moins l’homme de la R.P. que l’auteur du code du travail. De cela, toute la démocratie laborieuse doit lui être reconnaissante. »

Après la Première guerre mondiale, au sein de la SFIO, Arthur Groussier fut souvent érigé en patriarche du parti, figure en accord avec sa longue barbe blanche. Ainsi, en 1923, il est fêté par son parti comme le dernier représentant du groupe des députés socialistes de 1893.

Et, en 1938, à l’occasion de ses 75 ans, Léon Blum et Paul Faure président au banquet en son honneur. Le Populaire du 8 juillet retranscrit des extraits de son intervention. Et, en 1938, à l’occasion de ses 75 ans, Léon Blum et Paul Faure président au banquet en son honneur. Le Populaire du 8 juillet retranscrit des extraits de son intervention :

« Le progrès, dit-il, ne vient pas aussi vite qu’on le souhaite. Malgré tout, le monde avance ; on ne recule pas, où l’on ne recule qu’apparemment, provisoirement, pour repartir en avant. »

Article réalisé en collaboration avec le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social.

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