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Au chevet de la recherche en management : Academic All-Star Game, épisode 3

Nathalie Fabbe-Costes et Eve Chiapello, sur scène, pour l'épisode 3 de l'Academic All-Star Game. Author provided

Ce texte de Marine Stampfli, Baptiste Brossillon et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la faculté Jean Monnet (droit, économie, gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programme complet de l’Academic All-Star Game.

Jeudi 14 février 2019 a pris place la troisième conférence de l’Academic All-Star Game qui vise, rappelons-le, à s’interroger sur l’avenir de la recherche en management. Nathalie Fabbe-Costes et Eve Chiapello, les deux chercheuses réunies pour l’occasion, ont interrogé les notions de valeur et de performance mais aussi la portée des outils de gestion.

Avant tout chose, une brève présentation des deux intervenantes est de rigueur.

Nathalie Fabbe-Costes est professeure à la Faculté d’Économie et de Gestion d’Aix-Marseille Université (AMU) et directrice du CRET-LOG (Centre de recherche sur le transport et la logistique). Parmi les différents objets de recherche auxquels elle s’est intéressée, on trouve notamment la logistique. Elle vient de coordonner (avec Laurent Livolsi et Sabine Sépari) le numéro spécial de fin d’année 2018 de la Revue française de gestion sur le thème : « Supply Chain Management. Décloisonner pour créer de la valeur » (n° 277).

https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-8.htm

Elle vient également de publier un ouvrage collectif, Stratégie organisationnelle par le dialogue (Éditions Economica), coordonné avec Laurence Gialdini.

Eve Chiapello, docteur en science de gestion, est directrice d’études à l’EHESS. Ses travaux sont à la croisés des sciences de gestion et de la sociologie (Baud C., Chiapello E. 2015 « Comment les firmes se financiarisent : sous le marché, les règles ? Le cas de la financiarisation du crédit bancaire », Revue Française de Sociologie, 2015, vol. 56, N°3). Elle a publié un ouvrage qui s’est imposé comme une référence incontournable, « Le nouvel esprit du capitalisme », écrit avec Luc Boltanski (éditions Gallimard).

Logistique, le vilain petit canard

Logistique et sociologie… A priori, les deux sciences semblent difficilement compatibles, pour ne pas dire diamétralement opposées tant dans leurs approches que dans leurs objets. Voyons ce qu’il ressort d’une telle « confrontation ».

« L’intendance suivra ». Cette phrase, que l’on prête au général de Gaulle, résume à elle seule toute une vision qui longtemps a eu cours quant à la science de la logistique. Ainsi, pendant de nombreuses années, l’idée dominante au sein des organisations était que les moyens devaient s’adapter à la décision de la direction et non l’inverse. La logistique s’est donc positionnée, dans l’entreprise mais également dans le monde académique, comme une simple variable d’ajustement. Mais, d’un centre de coût n’ayant qu’une vocation de fonction support dans les années 1970, la logistique, de nos jours, est revalorisée à un rôle plus transversal et surtout stratégique pour les organisations.

Nathalie Fabbe-Costes nous a invités par la suite à prendre un recul historique pour redécouvrir les débats qui ont émaillé, et émaillent encore pour la plupart, les sciences de gestion. Parmi ceux-ci se trouve, en gestion comme en économie d’ailleurs, celui de la valeur : vers qui la gestion de la valeur doit-elle être orientée ? Ce recul historique a aussi été l’occasion d’adopter un regard critique sur les outils de la logistique, et de la gestion plus globalement, ainsi que leur évolution.

Et la logistique dans tout ça ? La réponse de cette dernière aux enjeux actuels se borne encore dans l’esprit de beaucoup à l’écoulement de l’offre pour satisfaire la demande. L’avenir radieux de la logistique reste donc encore à écrire.

Comptabilité, ratios et sociologie

Faire des sciences sociales et parler d’entreprise ? Voici la voie choisie par Eve Chiapello. Très peu, voire trop peu, suivent cette voie. Pourtant, les sciences de gestion et les organisations gagneraient à ce que ces profils se démocratisent.

Force est de constater que les sciences sociales se sont déjà attaquées aux outils et pratiques de gestion. En s’appuyant sur les travaux de Jacques Richard, Eve Chiapello nous montre comment certains outils comme la comptabilité ou le bénéfice sont totalement construits selon des visions politiques : la comptabilité d’un pays retranscrit l’acteur dominant du système économique. Par exemple, dans un modèle communiste, l’État est l’acteur le plus fort, la comptabilité s’adapte donc pour retranscrire l’information la plus utile pour ce dernier. Il y a donc autant de calcul du bénéfice et de forme de comptabilité qu’il y a d’idéologies politiques.

Un autre apport des sciences sociales concerne les ratios de stabilité bancaire. En effet, au fil des accords de Bâle, le contrôle du risque est passé d’un critère arbitraire, exogène, à l’assimilation en interne par les banques. Eve Chiapello montre ainsi que la stabilité bancaire confiée aux banques atteste d’une croyance dans les mathématiques et surtout d’une volonté de favoriser les acteurs financiers.

Si l’apport des sciences sociales en management apparaît enrichissant, elles sont, hélas, encore trop peu reconnues. Les sciences sociales doivent donc redoubler d’efforts pour être considérées. L’enjeu est d’avoir une résonance sur le fonctionnement des organisations mais également dans le monde de la recherche en gestion, discipline fondant en effet une partie de sa légitimité dans sa transdisciplinarité.

David contre Goliath

Les métiers liés au conseil apparaissent actuellement de plus en plus attrayants aux yeux des jeunes diplômés, mais pas seulement. En effet, les entreprises semblent guidées par les standards et normes érigés par les cabinets de conseil. La quasi-dominance des grands cabinets de conseil connus de tous, conduit à une harmonisation des indicateurs cibles, donc des procédés et par là même des organisations. Ainsi, comme le rappelle Armand Hatchuel dans un article récent publié dans Le Monde, cette influence peut s’avérer néfaste pour les entreprises.

Il existe toutefois des solutions. La première apparaît d’elle-même, lorsque les étudiants sortants d’école prennent conscience de ce que sont les métiers du conseil : des emplois conduisant à un stress élevé et des tâches, au début, que l’on pourrait qualifier d’ingrates. La seconde solution est la recherche en gestion. Celle-ci a trop longtemps été évincée, non écoutée. Il apparaît, après les conférences de l’Academic All-Star Game, que cette époque semble révolue. Les chercheurs en gestion ont peu à peu commencé à occuper la place publique en s’emparant de grands sujets de débat actuel (loi Pacte, géopolitique, etc.). Nous y reviendrons dans les chroniques suivantes.


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Nathalie Fabbe-Costes rappelle enfin qu’il est important que la recherche en gestion, pour renouer avec sa légitimité, ne se détourne pas de son sujet principal : l’organisation. Les chercheurs doivent ancrer leur recherche sur le terrain tout en ayant conscience que la recherche en management ne vit pas non plus par le terrain. Il s’agit en effet d’une science interdisciplinaire où les grandes idées gardent une place fondamentale. D’ailleurs, les idées ne sont-elles pas un préalable à une prise de position ? L’empirisme ne doit pas s’effectuer au détriment du normatif, concept inéluctable lorsque l’on s’intéresse à l’organisation et donc aux femmes et hommes.


À voir, l’interview de Nathalie Fabbe-Costes et Eve Chiapello par Enora Pennec et Martin Poubeau, élèves de l’ENS Paris-Saclay.

À visionner également, l’intégralité de l’épisode 3 de l’Academic All-Star Game avec Nathalie Fabbe-Costes et Eve Chiapello.

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