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Aux Pays-Bas, Geert Wilders a déjà gagné la bataille des idées

Geert Wilders (de dos) au soir des législatives du 15 mars : « Le génie ne retournera pas dans la lampe. » Robin Utrecht /AFP

Les Néerlandais étaient les premiers, mercredi 15 mars, à voter dans une année électorale décisive en Europe. Tandis que le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders était en tête des sondages jusqu’à fin février, ce mouvement allié du Front national de Marine Le Pen est finalement arrivé en seconde position, avec 20 sièges. Il est devancé par le parti de centre droit du premier ministre Mark Rutte, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD), qui remporte la victoire avec 33 sièges sur les 150 de la Chambre basse.

Ces résultats, dans des élections considérées comme le baromètre du populisme en Europe, ont rassuré les homologues de Mark Rutte en Europe. Le Président Hollande l’a félicité pour sa « nette victoire contre l’extrémisme ». Le ministère allemand des Affaires étrangères estime que « les Néerlandais ont rejeté le populiste antieuropéen ». Les médias, de leur côté, parlent d’une défaite pour Geert Wilders et se réjouissent que la montée des populistes en Europe ne soit pas une « fatalité ».

« Le génie ne retournera pas dans la lampe »

Néanmoins, le soupir de soulagement poussé par l’Europe semble mal avisé. Que le PVV soit le premier parti ou non, le populisme identitaire est le seul vrai gagnant des élections néerlandaises. Devant une salle bondée, le premier ministre Mark Rutte a salué la victoire de son parti contre ce qu’il appelle « le populisme de mauvais aloi ». Sa déclaration sous-entend l’existence d’un « bon populisme », que Mark Rutte a défini comme l’engagement des hommes politiques « pour leur pays, et non pour eux-mêmes. Un bon populiste propose des solutions ».

De fait, les Néerlandais n’ont pas rejeté le populisme. Au contraire, l’ascension de Geert Wilders a rendu le populisme indissociable de la politique néerlandaise. Comme l’a dit le leader du PVV lui-même, « le génie ne retournera pas dans la lampe ».

Le PVV, parti ouvertement xénophobe et islamophobe, et qui a exprimé le souhait d’un « Nexit » de l’Union européenne, a obtenu 13 % des votes. Mais au-delà, et malgré des propositions pour le moins extrêmes – il veut interdire le Coran et fermer toutes les mosquées aux Pays-Bas –, Geert Wilders a nettement réussi à imposer ses idées et ses thèmes dans le paysage politique néerlandais. Les autres partis politiques, dont ceux du centre et de centre droit, ont intégré son discours populiste. Le premier ministre Mark Rutte, notamment, a opéré un glissement vers les idées de Geert Wilders afin de courtiser les électeurs.

Des valeurs universelles devenues « néerlandaises »

La montée du populisme, où que ce soit, est souvent attribuée à des causes économiques. Or, comparée aux autres pays de l’Union européenne, la situation économique aux Pays-Bas est solide. La reprise de l’économie néerlandaise se confirme avec une croissance de 2,1 % du PIB en 2016. L’indice de satisfaction de la vie est à 7.3 et, au sein des pays de l’OCDE, les Néerlandais sont ceux qui passent le plus de temps hors de leur bureau.

Comment expliquer, dès lors, la popularité d’un parti comme le PVV qui veut sortir de l’UE un pays si fortement dépendant du commerce international, et qui propose d’abandonner la monnaie commune ? Comment expliquer le succès des partis politiques de droite qui ont intégré un discours identitaire ?

Le premier ministre néerlandais Mark Rutte l’a emporté, en chassant sur les terres populistes. John Thys/AFP

Aux Pays-Bas la montée du populisme est liée principalement à une exploitation politique de certains thèmes sociaux par les partis.

Le populisme en Europe, comme d’autres analyses l’ont déjà souligné, suit des tendances nationales spécifiques. Aux Pays-Bas, comme l’explique Ian Buruma, écrivain britanico-néerlandais, le populisme s’exprime à travers une rhétorique politique qui cible l’islam et l’immigration via une appropriation et un « détournement » des valeurs, le tout dans un contexte de crise qui a entraîné une forte disparité entre les régions.

« Sois normal ! »

Les hommes et femmes politiques brandissent leur attachement à des valeurs des Lumières tels que la liberté d’expression, l’individualisme ou encore l’égalité entre hommes et femmes comme un signe d’identité national et culturel. Mais en assimilant « néerlandais » à ce qui est « moralement juste », ces valeurs perdent paradoxalement leur universalité, devenant synonymes de l’identité nationale.

Le slogan du VVD (Centre-droit) est très révélateur de ce type de discours : « Agir. Normalement ». Autrement dit : « Comportez-vous normalement, comme tout le monde ». « Sois normal » – suivi généralement par la phrase « C’est déjà bien assez dingue comme ça ! » – est aujourd’hui l’une des expressions favorites des Néerlandais. Une expression dans laquelle est ancrée une vision normative et homogène qui incarne un rejet masqué de chaque expression d’identité s’écartant de la norme. Dans le discours du VVD, cette expression sert ainsi à marquer la différence entre l’identité néerlandaise et celle des immigrés.

« À tous les Néerlandais »

Fin janvier, le premier ministre a écrit une lettre ouverte publiée dans plusieurs quotidiens intitulée « À tous les Néerlandais ». Dans sa lettre, Mark Rutte courtise ouvertement l’électorat d’extrême droite en affirmant que les Néerlandais « se sentent de moins en moins à l’aise quand il y a des étrangers qui viennent abuser notre liberté pour gâcher les choses ». Il invite les gens qui rejettent les valeurs des Pays-Bas à quitter le pays.

Et ses homologues ont entonné le même discours : le leader des chrétiens-démocrates Sybrand Buma a proclamé que « les Néerlandais ont peur de l’islam ». Même le président du Parti travailliste (PvdA) a lancé dans une interview : « Les Marocains bons à rien, ceux-là il faut les humilier devant les yeux de leur propre peuple ». Le populisme aux Pays-Bas a donc largement dépassé les limites du parti de Geert Wilders.

Dans le discours populiste qui a cours aux Pays-Bas, l’identité occidentale et néerlandaise est donc clairement perçue comme étant radicalement différente de celle des immigrés. La première est présentée comme étant homogène, composée des valeurs des Lumières. À l’inverse, dans la vision de Geert Wilders, mais aussi au sein d’autres partis de droite (tels le VVD ou le Forum pour la démocratie ; le FvD), de centre droit (les Chrétiens-démocrates) ou même au sein du Parti socialiste (SP), les immigrés – et notamment les musulmans – sont considérés comme éloignés de ces valeurs.

Censé défendre les valeurs néerlandaises, ce discours met, au contraire, à l’épreuve l’une des valeurs conçues autrefois comme typiquement néerlandaise : la tolérance.

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