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Avec Furiosa et Rey, c’en est fini de l’exil des spectatrices

Charlize Theron est la Furiosa du dernier « Mad Max » et Daisy Ridley, la Rey de l’épisode 7 de « Star Wars ». Village Roadshow Films (BVI) Limited/The Walt Disney Company France

Deux héroïnes, deux silhouettes inoubliables, hurlant rage et désespoir sur les dunes de leur désert respectif. À l’affiche des films parmi les plus attendus de 2015 (Mad Max : Fury Road et Star Wars : Le Réveil de la Force), Furiosa et Rey incarnent une sorte de réparation, via le renouveau des héroïnes. Bien plus qu’un Mad Max au féminin ou un « jedi avec des seins », elles proposent une nouvelle configuration de l’héroïsme cinématographique et, par conséquent, la fin de « l’exil des spectatrices ».

Si les critiques s’intéressent en général au dispositif du remake, tout particulièrement pour Le Réveil de la Force, l’émergence d’un rôle principal féminin apparaît ici tout aussi essentiel. Alors que les personnages féminins parlants ne représentent que 30 % des castings, et seulement 21 % lorsqu’il s’agit de films d’action et d’aventure américains (voir à ce propos l’étude USC Annenberg ou l’infographie de la New York Film Academy), Rey et Furiosa ne constituent pas seulement les éléments constitutifs du remake, elles en sont les figures rares et précieuses.

La bande-annonce de « Star Wars : Le Réveil de la Force ».

De l’anonyme à l’héroïne

Deux héroïnes d’autant plus passionnantes qu’elles parviennent à s’insérer dans une mythologie éminement masculine, pour mieux en reconfigurer les rapports de genre. Poursuivant des quêtes à la fois personnelles et universelles (prérogative jusqu’alors réservée au héros masculin), elles font correspondre redéfinition du féminin et recherche d’un monde meilleur.

Les trois premiers Mad Max, tous réalisés par George Miller, sont l’expression d’une folie masculine : les femmes apparaissent en victimes anonymes, marchandises muettes, violées, assassinées. Même la « méchante », incarnée par Tina Turner dans Mad Max : Beyond the Thunderdome, n’est que la « tante », Auntie Entity, figure maternelle et dominatrice régnant sur un peuple infantilisé.

Leïa (première trilogie Star Wars), malgré tous ses efforts, demeure dans l’imaginaire collectif la princesse aux macarons, enchaînée en bikini à l’immonde et visqueux Jabba. Han Solo (Le Réveil de la Force) se charge d’ailleurs de rappeler l’importance de ce carcan esthétique en soulignant le changement de coiffure de Leïa, plutôt que le fait qu’elle dirige une armée rebelle !

La bande-annonce de « Mad Max : Fury Road »

Des modèles pour toutes les autres

Furiosa et Rey, faisant fi de ces injonctions esthétiques et symboliques, incarnent une féminité conquérante et indépendante, insufflant cet idéal aux autres personnages féminins. L’héroïne de Mad Max se voit ainsi rejointe par un groupe de jeunes femmes destinées à la reproduction, puis par un clan féminin plus âgé.

Ce gynécée guerrier n’a pas d’équivalent dans Le Réveil de la Force, dont les personnages répondent moins à la logique de bande qu’à celle de l’infiltration stratégique. La force du groupe de femmes dans Fury Road, auquel est bien obligé de se soumettre Max, plus solitaire que fou, est compensée par l’occupation de postes symboliques dans Star Wars.

Rey est celle qui maîtrise la technique – elle désosse des épaves et conduit les vaisseaux – et fait preuve d’une condition physique hors normes, au grand étonnement des personnages masculins auxquels elle ne cesse de rappeler qu’elle sait courir, conduire, et se servir d’une arme. La princesse Leïa, devenue la générale Organa, dirige la Résistance, arbitrant les questions stratégiques, politiques et militaires, tandis que les héros masculins errent dans la galaxie (Han Solo et Chewbacca) ou sur une île déserte (Luke).

Autre personnage marquant du film : Maz Kanata. Dotée d’une apparence proche de celle de Yoda, Maz s'en distingue par la clarté de son expression et sa sociabilité. Parfois décrite comme une pirate, elle est avant tout la tenancière d’un point de ravitaillement vieux de mille ans. Espace stratégique où se nouent les alliances commerciales et politiques, le château de Maz est aussi un lieu de mémoire où reposent bien à l’abri les secrets de la Force.

Maz Kanata.

Trouble dans le genre

Maz, Leïa, Rey, ces trois personnages féminins se répartissent les pouvoirs économique, symbolique et politique autour desquels s’épanouissent les arches narratives et les personnages.

Cette reprise du pouvoir symbolique et numérique est rendue encore plus opérante par la construction du féminin dans ces deux films, qui dépassent de loin le simple remake. Rey et Furiosa nous apparaissent l’une et l’autre masquées et camouflées, pour des raisons pratiques (se protéger du sable, du vent ou des attaques possibles), mais également esthétiques.

Provoquant un trouble dans le genre, ce premier contact asexué avec les personnages principaux souligne leur caractère inhabituel. Ce trouble est savamment entretenu par la réalisation, qui s’attache à mettre en avant les compétences techniques (conduite, mécanique) et physiques des personnages (endurance, force), avant de révéler que ce sont des femmes qui les détiennent.

Une stratégie marketing, et alors ?

Les esprits chagrins opposeront au portrait enthousiaste de ces deux héroïnes qu’elles ne sont que le produit d’une industrie dont l’objectif est bien de faire des profits et non de lutter contre les stéréotypes. Furiosa et Rey, armes d’une stratégie marketing visant à attirer un nouveau public ? On peut opposer à cela deux arguments, l’un à l’échelle de l’histoire du cinéma, l’autre à l’échelle du film.

Il est bon, d’autre part, de rappeler que les femmes constituent depuis toujours au moins la moitié des spectateurs en salles, sans rapport donc avec les inégalités visibles sur les écrans et dans l’industrie du cinéma (2 % de femmes réalisatrices aux États-Unis en 2014, par exemple).

D’autre part, cette lecture « réparatrice » des films ne s’opère qu’a posteriori, et dans le discours critique et public. De récents articles sur Le Réveil de la Force montrent par exemple la volonté de Disney de ne surtout pas capitaliser sur le personnage de Rey. Double peine pour l’héroïne, considérée non seulement comme inadaptée pour les jeunes garçons (parce que féminine), et, pire encore, impensable pour les filles qui, dans l’esprit des producteurs, ne semblent pas exister. Le design des affiches du Réveil de la Force comme de Mad Max : Fury Road finit d’attester de la frilosité des producteurs à mettre en avant les personnages principaux de leurs films : Rey et Furiosa. Quitte à brouiller le message du film, le masculin sera coûte que coûte mis en avant, Furiosa paraissant (notamment sur les affiches américaines) se cacher derrière les épaules protectrices de Max, revirilisé par la magie du papier glacé.

Mais surtout, pourquoi bouder son plaisir, en tant que spectatrice, à voir enfin des héroïnes qui mènent l’action, et prennent place dans une mythologie jusque-là masculine, tant à l’écran que dans l’univers des fans ? Toujours à la marge et ne dispensant pas des analyses et productions contrefactuelles, les nouvelles héroïnes comme Rey et Furiosa proposent des modèles inédits de féminité et d’héroïsme, sans sacrifier aucun élément constitutif de l’un ou de l’autre. Autant voir le verre à moitié plein, et constater qu’il faut bien que le changement des représentations du féminin commence quelque part ! Suivons donc le conseil de Carrie Fisher énoncé dans une lettre de 2013 adressée à son personnage de Leïa : « Laissez tomber la coiffure, mais profitez du voyage ! »

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