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Avec sa réforme judiciaire, Benyamin Nétanyahou consolide son héritage politique

Benjamin Netanyahou devant deux drapeaux israéliens
Le premier ministre israélien lors d'une réunion du gouvernement. Abir Sultan/AFP

Le 24 juillet 2023, le Parlement israélien a adopté une loi limitant le contrôle de la Cour suprême sur l’action du gouvernement, dans le cadre d’un projet plus large du cabinet du premier ministre Benyamin Nétanyahou visant à renforcer le pouvoir de la branche exécutive du pays.

Cette loi divise le pays depuis des mois, entraînant des manifestations massives. Ses opposants affirment qu’elle menace la démocratie ; ses partisans soutiennent qu’elle protège la volonté de la majorité électorale.

Benyamin Nétanyahou est une force politique et un personnage emblématique de la politique israélienne depuis les années 1990. Son héritage à long terme se caractérisera par trois aspects majeurs : l’évolution de la politique israélienne vers la droite, son action pour prévenir l’émergence d’un État palestinien et le renforcement des liens d’Israël avec des gouvernements étrangers non démocratiques.

De la démocratie à la théocratie

Nétanyahou exerça une première fois la fonction de premier ministre de 1996 à 1999. Il est revenu au pouvoir de 2009 à 2021, puis à nouveau en 2022.

Le pays, autrefois connu pour sa politique de gauche, a maintenant un gouvernement de droite dominé par des nationalistes religieux juifs, fer de lance des efforts visant à limiter les contrôles judiciaires sur le pouvoir exécutif.

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En 1996, Benyamin Nétanyahou avait entamé son premier mandat avec deux atouts principaux : une expérience de vie et de travail aux États-Unis et une biographie axée sur la sécurité militaire d’Israël.

Des personnes en uniforme transportent un individu récalcitrant pour l’éloigner d’un groupe qui l’entoure
La police israélienne disperse les manifestants qui bloquent l’entrée du Parlement israélien lors d’une manifestation contre les projets de réforme du système judiciaire à Jérusalem, le 24 juillet 2023. AP Photo/Mahmoud Illean

Le premier atout signifiait qu’il comprenait la politique américaine et celle de ses groupes d’intérêt, permettant à Israël de conserver et de renforcer le soutien historique du gouvernement de Washington. Le second l’a mis sur la voie du succès politique dans un pays où l’armée est une institution clé – et vénérée.

L’aide étrangère et militaire massive accordée par les États-Unis depuis de nombreuses années, ainsi que le soutien politique de Benyamin Nétanyahou, ont permis à l’armée israélienne d’être bien plus puissante et bien mieux équipée que les forces armées de n’importe quel autre pays voisin.

Benyamin Nétanyahou s’est généralement présenté comme le seul dirigeant capable de garantir la sécurité de son pays et de son économie. À l’instar d’autres puissants hommes politiques, lui et ses alliés ont obtenu le soutien des nationalistes de droite et encouragé les politiques de division.

Pour le premier ministre, cela est passé par des alliances fortes avec les colons juifs – dont beaucoup sont orthodoxes – en Cisjordanie, considérée par la communauté internationale comme un territoire palestinien occupé.

Il a dès lors profité d’une démographie électorale favorable, les communautés juives orthodoxes ayant connu une croissance rapide ces dernières années en Israël.

Lors de ses mandats, Nétanyahou a été de plus en plus confronté à des allégations de corruption et de conduite criminelle. Sa vulnérabilité juridique personnelle a probablement renforcé ses tendances autocratiques. En 2022, son gouvernement a démontré son penchant autoritaire en faisant avancer le projet de réforme judiciaire visant à entraver la capacité du système judiciaire israélien à contrôler la législation et l’action du gouvernement.

Une femme assise à l’extérieur d’une maison incendiée, vue à travers une voiture brûlée
Une femme palestinienne est assise devant sa maison incendiée par des colons juifs après que quatre Israéliens ont été tués par des Palestiniens armés, en Cisjordanie le 24 juin 2023. AP Photo/Mahmoud Illean

Cette réforme séduit d’importants pans de partisans de Nétanyahou, qui considèrent le pouvoir de la Cour suprême comme un contrôle laïque injustifié sur le gouvernement israélien. Mais la réforme a surtout profondément divisé le pays, en conduisant même d’éminents militaires à se joindre aux manifestations de masse.

Israël est aujourd’hui marqué par des divisions croissantes entre les citoyens laïques et urbanisés près de la côte méditerranéenne et les orthodoxes et autres colons résidant en Cisjordanie ou à proximité. Ces deux groupes ont des visions différentes de l’avenir du pays, les derniers le poussant dans une direction plus théocratique. Cette bataille très clivante sur la nature d’Israël tient beaucoup à la politique de Benyamin Nétanyahou.

Prendre ses distances avec les Palestiniens

Nétanyahou s’est depuis toujours positionné sur un refus de tout compromis avec les Palestiniens quant au contrôle du territoire et à la sécurité en Cisjordanie et à Gaza, zones sous contrôle militaire israélien depuis 1967. Il a également autorisé l’expansion rapide des colonies juives en Cisjordanie. Il a rarement dérogé à ces deux politiques.

L’un de ses héritages les plus tangibles est la barrière physique séparant désormais les Palestiniens de Cisjordanie des Israéliens, qui permet aux autorités israéliennes de contrôler étroitement les entrées des Palestiniens de Cisjordanie en Israël. Cette barrière a par ailleurs empêché les Juifs israéliens d’entretenir tout contact avec les Palestiniens, sauf pendant le service militaire.

Cette séparation physique et la forte présence militaire israélienne ont réduit les attaques palestiniennes en Israël mais augmenté la misère dans les zones contrôlées par les Palestiniens, par exemple en rendant difficiles les déplacements en Israël et dans d’autres pays.

L’approche de Nétanyahou a permis de minimiser la pression exercée sur les Israéliens juifs pour parvenir à un accord final qui instaurerait une paix plus large basée sur l’existence d’États israélien et palestinien distincts. Elle a parallèlement privé les Palestiniens de certaines libertés et opportunités fondamentales, en particulier à Gaza, que des ONG de défense des droits de l’homme qualifient de « prison à ciel ouvert ».

En fait, Nétanyahou utilise son armée pour, quand il le juge nécessaire, attaquer Gaza, zone située entre l’Égypte et Israël que l’État juif a unilatéralement remise sous le contrôle palestinien en 2004. Le Hamas, un groupe palestinien prônant la lutte militaire contre Israël, a aujourd’hui le contrôle de Gaza.

Fidèle aux convictions de sa base électorale de droite, Nétanyahou n’a guère varié dans sa politique à l’égard du Hamas et des Palestiniens en général. Israël, dit-il, attend un consensus palestinien sur le fait qu’Israël est un État juif, avec Jérusalem pour capitale, et sans possibilité pour les Palestiniens de retrouver leur territoire d’avant 1948.

De nombreux Palestiniens contestent ces exigences, en particulier si elles sont posées comme une condition préalable à toute négociation.

Si l’on ajoute à cela la vaste expansion des colonies juives par le gouvernement Nétanyahou, on comprend que de nombreux observateurs doutent qu’une solution à deux États, israélien et palestinien, reste possible.

Redéfinir les alliances d’Israël

Le renforcement de la droite israélienne et le rejet du statut d’État de la Palestine ont donc servi les efforts déployés par Nétanyahou pour remodeler la politique étrangère d’Israël, notamment dans sa lutte pour réduire l’influence de l’Iran au Moyen-Orient.

Les dirigeants de Téhéran sont inlassablement hostiles à Israël. Et Nétanyahou a joué de cette hostilité auprès de son public national et international, allant même jusqu’à exhorter les États-Unis à attaquer l’Iran.

La campagne anti-iranienne du premier ministre explique par exemple le renforcement des liens avec plusieurs pays, qu’ils soient démocratiques ou non, dans le seul but de lutter contre Téhéran, qui finance dans plusieurs pays étranger des groupes militants pro-iraniens ouvertement anti-israéliens. C’est parce qu’ils partagent des objectifs sécuritaires communs que les Émirats arabes unis et plusieurs autres nations arabes ont fait montre de leur volonté d’établir des liens diplomatiques avec Israël par le biais des accords d’Abraham de 2020.

De façon plus générale, la longue durée du mandat de Nétanyahou et sa volonté d’attiser les divisions l’ont rapproché d’autres dirigeants décrits comme autoritaires, tels que Vladimir Poutine, Viktor Orban et Donald Trump.


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Toutefois, les politiques conduites par Nétanyahou ont également provoqué des fissures importantes dans le soutien apporté à Israël par son principal allié, les États-Unis. Ces dernières années, les Juifs israéliens et américains ont de plus en plus divergé sur les questions éthiques et sur l’importance de l’autonomie palestinienne. De son côté, l’entourage du gouvernement israélien a tenté de faire taire les voix pro-palestiniennes aux États-Unis, souvent en les qualifiant d’antisémites.

En outre, les tendances autoritaires de Nétanyahou et celles, droitières et théocratiques, de son gouvernement ont amplifié les voix américaines manifestant leur scepticisme quant au caractère démocratique d’Israël et appelant à une atténuation du soutien des États-Unis.

Nétanyahou a contribué à remodeler profondément Israël et le reste du monde. Il est clair que la sécurité militaire du pays et la coopération avec les principaux États arabes du Moyen-Orient se sont renforcées.

Mais le côté sombre est l’accent mis par le premier ministre sur les solutions militaires et sécuritaires. Cela a entraîné l’érosion des espoirs des Palestiniens et interroge de plus en plus sur la volonté actuelle d’Israël de rester une puissance démocratique.

Cette page contient des passages d’une article publié le 14 juin 2021.

This article was originally published in English

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