Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
Que nomme-t-on précisément Belle Époque ?
Ce qu’on s’accorde à nommer la Belle Époque, c’est l’entrée dans le XXe siècle, les quinze années qui ont précédé la Première Guerre mondiale. C’est le temps des inventions techniques, technologiques, industrielles, de l’aviation, du téléphone, du cinéma… Des inventions majeures se mettent en place. C’est aussi une période de forte créativité intellectuelle et artistique, dans la peinture, la littérature, la musique. Aujourd’hui, on est frappé par la concentration en innovations. Cela doit beaucoup au fait que ces inventions ont gagné par la suite. Il y a eu bien d’autres moments riches en innovations mais ces innovations n’ont pas réussi à s’imposer, alors que les avant-gardes de la Belle Epoque ont triomphé.
Les gens avaient-ils conscience de vivre une époque aussi riche ?
Il ne faut pas oublier que le monde rural et le monde ouvrier étaient confrontés à des situations très dures, et que c’était aussi une période d’inégalités – il n’y a jamais eu autant de grèves avec morts d’homme qu’à ce moment-là…
On est dans un moment très dur mais, par ailleurs, c’est aussi une période de croissance économique assez forte, de stabilité monétaire, qui permet une hausse relative du niveau de vie. Toute une petite bourgeoisie populaire, qu’on appellera plus tard les classes moyennes, commence à connaître une forme de prospérité.
Un exemple frappant : la bicyclette. Elle se développe énormément, son prix baisse beaucoup, et cela a deux conséquences importantes : quand on est ouvrier, on se rend compte que l’industrie ce n’est pas seulement le bagne industriel, c’est aussi quelque chose qui peut produire des choses utiles, que l’on peut acheter. Et pour les adolescents et les femmes, la bicyclette est synonyme de liberté.
Il y a aussi une certaine liberté de mœurs, la sexualité est plus permissive. La prostitution est très développée, il y a une légèreté de la vie sexuelle, un rapport polisson. Et puis les gens rient. Que ça soit dans les classes supérieures – c’est la grande époque des bons mots – ou dans les classes populaires, où l’on rigole franchement au café-concert ou à écouter le pétomane Pujol. Ça peut paraître trivial, mais il y a un côté de saine et bonne gaieté franchouillarde. C’est une société qui s’amuse et qui a confiance en l’avenir. La notion de progrès est présente partout.
De quand date la nostalgie de la Belle Époque ?
On a longtemps dit qu’on avait eu un regard très positif sur cette période après la Première Guerre mondiale, mais ce n’est pas le cas du tout. Les gens des années 20 ne regardent pas au début du siècle, ils sont dans la reconstruction, l’effervescence culturelle… Ils n’ont pas les yeux braqués sur l’avant-guerre, au contraire.
C’est dans les années 30 qu’il y une prise de conscience sur ce qu’était ce début de siècle. Sauf qu’on ne le nomme pas encore « Belle Époque », mais « 1900 ». Et paradoxalement, le premier regard sur ce moment est extrêmement critique et violent. Il date de 1931, avec la parution d’un livre de Paul Morand, un écrivain alors très à la mode, qui écrit un essai : 1900. C’est une charge extrêmement violente contre les années 1900. Morand dit en substance : « On écrivait mal, la peinture était horrible, c’était snob, ridicule, prétentieux »… Il se livre à une réaction très violente contre la période de ses parents.
Cela a deux effets : la séquence du début du siècle est clairement identifiée. Et ça suscite un nombre de réactions terrible. Toute une série de romanciers, artistes, intellectuels, vont prendre le contre-pied de Morand et expliquer pourquoi l a Belle Époque était une période formidable.
À partir de là, on construit une nostalgie de l’avant-guerre, notamment au cinéma.
Comment expliquer ce besoin de se tourner vers ces années-là pour se réenchanter ?
Ce qui explique ce retour, c’est le contexte des années 30, un moment de récession et de crise culturelle. Et puis, dès le milieu des années 30, on comprend qu’on rentre dans une période instable sur le plan international, où le bruit de bottes commence à se faire entendre. C’est Mussolini en Éthiopie en 1936, (voir par exemple la une du Populaire), c’est le réarmement de l’Allemagne.
Une atmosphère d’avant-guerre se remet en place.
*Aujourd’hui, la Belle Époque semble être une période un peu oubliée… *
Dans les années 80, il y a eu un moment rétro où on a ressorti des greniers les chemises de grand-père, la vaisselle 1900, les phonographes… Mais aujourd’hui, la valeur refuge serait plutôt les années 60, jusqu’en 1975 à peu près. C’est une période de plein emploi, de révolution sexuelle, de consommation… C’est la culture jeune, le tourne-disque, le frigo, la voiture… C’est une période pour laquelle on a une nostalgie.
Ce qui m’a passionné, c’est de comprendre que le regard qu’on porte sur l’histoire n’est jamais rien d’autre qu’un entrelacs de temporalités, de moments qui se regardent, se questionnent et s’interpénètrent. Aucune histoire n’est jamais définitive.
Propos recueillis par Marina Bellot. Dominique Kalifa vient de publier « La Véritable histoire de la Belle Epoque », Paris, Fayard, 2017.