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Que retenir de l'action de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen ? Shutterstock

Bilan de la mandature 2019–2024 de l’UE : face aux crises, les prémices d’une Europe puissance ?

On l’oublie un peu vite : 2019–2020 fut une période forte en émotion pour l’Union européenne. Le Brexit, tout d’abord, avait menacé les fondements même de l’Union européenne : pour la première fois, un membre d’importance, influent géopolitiquement et économiquement, prenait le large. L’Union européenne, sous la houlette de Michel Barnier, a su rebondir, faire front, se renforcer même. Selon diverses enquêtes d’opinion, la majorité des Britanniques regrette désormais le vote et la presse parle de « Bregret ».

Autre actualité à l’époque : l’arrivée d’Ursula von der Leyen à la tête de la présidence de la Commission européenne, première femme à occuper ce poste prestigieux. Sa candidature n’était pas dans la première « short list » à l’issue des élections européennes de 2019 et s’est imposé de justesse au Parlement européen avec une avance de 9 voix sur le seuil requis. Quel bilan peut-on dresser de cette mandature ?

Dans son dernier discours sur l’état de l’Union européenne en septembre 2023 avant les élections européennes de juin 2024, elle indique que « plus de 90 % du programme de travail initial a été réalisé ». Et ce alors qu’il a fallu et qu’il faut encore faire face à trois crises majeures : la pandémie liée au coronavirus, la guerre en Ukraine et l’aggravation du dérèglement climatique.

Un « moment hamiltonien » face au Covid

Concernant la crise sanitaire, l’action de l’Europe semble avoir été essentielle, et ce malgré des compétences limitées en matière de santé attribuées par les traités. Elle a notamment assuré la transmission d’informations entre les États membres, mais aussi l’achat en commun et la répartition de vaccins, ce qui a permis à l’UE d’être « faiseur de prix » sur le marché et de peser dans les négociations face aux grands laboratoires. 83,4 % de la population a pu être vaccinée (chiffre d’août 2023) dans l’Union européenne et 2,5 milliards de doses de vaccin ont été exportées vers 168 pays (dont 20 % en Afrique). Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) souligne :

« S’il y a eu quelques problèmes au démarrage, globalement l’Europe et la Commission ont démontré qu’ils étaient capables de rebondir et de répondre à la crise »

S’en est suivi un plan de relance exceptionnel pour répondre aux turbulences économiques et sociales liées à la crise du Covid : 750 milliards d’euros dans le cadre du projet « Next Generation UE ». 40 % des sommes doivent être investies dans la lutte contre le changement climatique et 26 % dans la transition numérique. Pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, l’UE a émis une dette commune qui sera remboursée par des ressources « propres » de l’UE, et non pas des contributions des États membres : mécanisme d’ajustement carbone au frontière, système d’échange de quotas et bénéfices des entreprises. Un temps envisagé, l’idée d’une taxe dite « Tobin » n’a pas été retenue. Certains y ont vu un nouveau « moment hamiltonien », du nom d’Alexander Hamilton, père de la mutualisation fédérale de la dette américaine des états fédérés en 1790 consécutive à la guerre d’indépendance américaine.

Il a fallu aussi faciliter le financement des actions des États membres face à ces chocs : les critères de Maastricht sur l’endettement et le déficit public ont ainsi été suspendus depuis avril 2020 et une difficile négociation a permis de les remettre en selle en 2024.

Ukraine et boussole stratégique

Fin février 2022, la guerre éclate en Ukraine et prend l’Europe par surprise alors que de nombreuses interfaces avaient été peu à peu nouées avec la Russie. Elles étaient énergétiques d’abord, l’Allemagne, en particulier, bénéficiant de sources d’énergie bon marché en Russie, au fondement de sa compétitivité-coût internationale – mais aussi dans les transports avec le passage des nouvelles routes de la soie par le transsibérien.

Les premières conséquences de l’invasion ont entraîné une crise d’approvisionnement agricole, puis énergétique, qui ont amené une vague d’inflation sur les économies européennes jamais observés depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette vague d’inflation – avec des niveaux à 2 chiffres dans les pays à l’est de l’Europe – est aussi la conséquence des dépenses publiques massives initiées pour faire face au Covid. Il semble malgré tout que la zone euro ait joué un rôle protecteur en la matière. Les politiques sur le sujet relèvent néanmoins bien davantage de la Banque centrale européenne que de la Commission.

Très rapidement, l’Europe revêt une posture plus géopolitique en votant des sanctions à l’encontre de la Russie et en finançant un soutien massif, en lien avec ses alliés de l’OTAN, à l’Ukraine. L’enlisement de ce conflit pousse de plus en plus l’Union européenne, en cette deuxième moitié de l’année 2024, à s’engager sur une voie plus militaire. Cette crise ukrainienne sera-t-elle le point de naissance d’une véritable politique de défense commune européenne ? Elle a tout du moins provoqué une prise de conscience : sous l’impulsion de Josep Borrell (Haut représentant pour les affaires extérieures, vice-président de la Commission), l’Union s’est dotée d’une « boussole stratégique ».

Des avancées contrastées sur le climat

Du point de vue du climat, le « Green deal », le pacte vert européen, restera la grande avancée des actions de l’UE de cette mandature. Lancé dès 2019, il fait suite à l’Accord de Paris de 2015 qui ambitionne de limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 °C, et idéalement à 1,5 °C. Objectif pour les 27 : atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

Selon France Info, depuis 2021, une cinquantaine de textes législatifs ont été adoptés dans ce cadre au niveau de l’UE, malgré le départ anticipé en août 2023 de son architecte Frans Timmermans, alors vice-président de la Commission chargé du Pacte vert et de la stratégie pour le climat et la biodiversité. Les mesures phares : la suppression des moteurs thermiques pour les voitures neuves à partir de 2035, l’introduction d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, la promotion de la rénovation énergétique des bâtiments, mais aussi une révision de la comptabilité des entreprises dans le cadre des directives CSRD et CS3D.

Les avancées ne se sont pas faites sans heurts néanmoins. Au printemps 2024, les manifestations d’agriculteurs dans toute l’Europe se sont combinées avec certains intérêts sectoriels et industriels dont il a résulté de nombreuses tentatives d’édulcoration. Des décisions récentes du conseil des ministres européens en atteste : report de la révision du règlement Reach sur les produits chimiques, renouvellement de l’autorisation du glyphosate, retrait du projet de règlement sur les pesticides (SUR). En mars 2024, la Commission propose, elle, de réduire les objectifs écologiques de la PAC.

La poursuite de la mise en œuvre du Pacte vert suppose d’importants efforts partagés avec le souci de la justice sociale. Un effort de pédagogie doit être poursuivi pour que ces mutations ne placent pas les ménages les plus modestes, touchés au premier chef, dans une posture de « Lost in transition ». Ils adhèrent, par exemple, peu au projet collectif de renouvellement du parc de véhicules thermiques car les véhicules électriques restent chers et l’autonomie limitée.

D’autres chantiers à côté des crises

En parallèle des crises, l’Europe a su également avancer sur différents chantiers lors de la dernière mandature. Tout aussi essentielle a en particulier été l’action de l’Union sur le numérique et les nouvelles technologies. Le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur le 25 août 2023 et vise à protéger les citoyens de l’Union contre le gigantisme des acteurs du numérique. Une législation de l’Intelligence artificielle a aussi été pensée. L’Union européenne apporte en parallèle un soutien important à de nombreuses innovations, dans le cadre de projets de recherche européens ambitieux. Est plus largement définie une nouvelle politique industrielle. Il apparait de plus en plus que les avancées en la matière se feront autour du trinôme défense–souveraineté industrielle–énergie.

Le dossier migratoire, aux impacts nationaux nombreux, avance, lui difficilement. Le Pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission en septembre 2020 semble en voie d’adoption. Il prévoit une répartition des flux entrants entre les États membres mais certains États membres sont opposés sur ce sujet qui alimente la polarisation et les votes extrémistes. En 2023, 3129 personnes ont trouvé la mort par noyade en essayant de traverser la Méditerranée vers l’Europe, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations.

Enfin, l’Union européenne a renouvelé en novembre 2023 par l’accord de Samoa le partenariat engagé avec l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP). L’UE reste le premier contributeur dans le monde en assurant 43 % de l’aide publique mondiale au développement. L’aide de l’UE (70 milliards d’euros) a représenté 0,5 % de son revenu brut en 2020. La France est dans la moyenne européenne (0,5 %) alors que d’autres font mieux (Suède, 1,1 % ; Allemagne, 0,7 %). L’UE a pris l’engagement d’atteindre, à l’horizon 2030, l’objectif fixé par les Nations unies de consacrer 0,7 % des revenus à l’aide publique au développement.

Il ressort en définitive de cette mandature que l’Union européenne, face aux crises notamment, a su prendre des initiatives structurantes. Elle s’affirme de plus en plus comme un acteur géopolitique crédible dans le monde. À chaque crise, les synergies entre les États membres se sont resserrées et confortent cette évidence que l’Union reste un point d’ancrage indispensable pour défendre nos valeurs sociales, démocrates et humanistes.

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