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Bœuf, balles et Bible : ces puissants réseaux qui portent le candidat Bolsonaro au Brésil

Les partisans de la légalisation du port d’armes, entre autres, jouent un rôle clé dans la vie politique brésilienne. Miguel Schincariol/AFP

Après le premier tour de l’élection présidentielle au Brésil, tout laisse supposer que Jair Bolsonaro, représentant de l’extrême droite, pourrait prendre la tête de la huitième puissance économique mondiale. Le candidat, porté par près de 50 millions d’électeurs (46 % des voix), est un adepte des déclarations à la Trump qui se dit fier de ses préjugés. Cet ancien militaire est un adorateur de la dictature (qui a dirigé le pays de 1964 à 1985), dont il dit que la seule erreur a été de torturer au lieu de tuer, sans oublier toutefois de préciser que la torture est une pratique légitime. Il s’oppose fermement au mariage entre personnes du même sexe, multiplie les attaques racistes, homophobes et misogynes. Il soutient la peine de mort, combat l’immigration et lutte contre l’avortement.

Ainsi, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de sa probable arrivée au pouvoir. Mais derrière l’arbre gesticulant se cache une bien plus sombre forêt.

L’alliance des militaires, des évangélistes et des grands propriétaires terriens

L’ascension de Jair Bolsonaro jusqu’aux portes du Planalto, siège de la présidence, n’est en fait que la mise en lumière d’un mouvement de fond qui ne subit pas les vicissitudes de l’élection présidentielle. Le candidat Bolsonaro, qui a déjà changé huit fois de parti au cours de sa carrière politique, est en revanche un fidèle représentant du réseau conservateur BBB, pour « bœuf, balles et Bible ». Il est dénommé ainsi car il regroupe les parlementaires soutenant les intérêts de l’agrobusiness, des militaires ou partisans de la légalisation du port d’armes, et du mouvement religieux des puissantes églises évangélistes.

Des intérêts qui se chiffrent en milliards. Le Brésil pointe aujourd’hui au cinquième rang des plus grands producteurs agricoles au niveau mondial. L’agriculture, locomotive actuelle d’une économie nationale à la peine, constitue le premier poste d’exportation du pays et pèse pour environ 5 % dans le PIB national.

Voilà qui confère aux propriétaires terriens un énorme pouvoir. Un pouvoir détenu entre les mains de quelques-uns seulement (la moitié de l’espace rural brésilien est occupé par seulement 2 % des propriétés !) au mépris de l’intérêt général. Ces cinquante dernières années, les besoins de terres pour l’élevage intensif de bovin notamment, a conduit à la destruction de près de 780 000 km2 de forêt amazonienne, soit près d’une fois et demi la France métropolitaine.

Les agriculteurs brésiliens ont par ailleurs triste réputation en matière d’utilisation de pesticides. Selon une étude de l’Institut National du Cancer, chaque brésilien consommerait 7,3 litres de produits toxiques tous les ans.

Quatre millions d’armes en plus entre 2005 et 2010

Pour ce qui est de la production d’armes, le secteur pèserait l’équivalent de 3,7 % dans le PIB annuel du géant latino-américain, soit environ 64 milliards de dollars. Les chiffres officiels évoquent aussi que 30 000 emplois directs et 120 000 indirects dépendent de cette industrie.

Selon d’autres chiffres cités par une journaliste mexicaine, plus de 4 millions d’armes auraient été introduites dans le pays entre 2005 et 2010, toutes fabriquées localement. Elle rappelle aussi que plus de 35 000 personnes sont tuées par balle chaque année au Brésil, trois fois plus qu’aux États-Unis.

Raz de marée conservateur

Certes, le BBB se trouverait largement renforcé avec l’élection de Bolsonaro au plus haut sommet de l’État. Mais il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. Car le BBB, qui a joué un rôle central dans la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, est déjà le courant idéologique le plus important du pouvoir législatif depuis les élections de 2014, dont le résultat a façonné une Chambre des députés considérée comme la plus conservatrice de l’histoire du Brésil. Et ceci bien avant que le candidat d’extrême droite ne soit porté sur le devant de la scène. Les nouvelles élections de cette année ne font que renforcer la tendance.

L’élection en cours au Brésil va renouveler le pouvoir exécutif, le président (élu pour quatre ans), ainsi que les représentants du pouvoir législatif au Congrès national, composé de la Chambre des députés (élus pour quatre ans) et du Sénat (mandat de huit ans). Les 513 sièges de députés et 54 des 81 sièges du Sénat sont en jeu.

Évolution de la composition de la Chambre des députés depuis 2010. Globo.com

L’influence politique au Congrès s’exprime au travers de bancadas, comme les trois composantes du BBB, qui sont des groupes de pression transcendant les partis. Et c’est bien compréhensible quand on constate que plus de 30 partis seront représentés à la Chambre des députés en 2019 après cette élection législative. Mais au-delà de cette apparente diversité, la montée des conservateurs est bien visible.

C’est certes un parti de gauche, le PT, qui a le plus de députés (56), mais il en perd un grand nombre par rapport à l’élection de 2014 (65). Le second parti en nombre de députés est le PSL (Parti Social Libéral), le parti de la droite dure, représenté par Bolsonaro et qui, passant d’un élu à 52 aujourd’hui, s’est révélé dans cette élection en attirant par un discours populiste la frange extrême des sympathisants des partis de droite et du centriste PSDB (Parti de la Social Démocratie Brésilienne). Celui-ci est le grand perdant de cette élection, passant de la troisième force de la Chambre des députés avec 54 élus en 2014 à la neuvième en 2018 avec seulement 29 élus. C’est le PP (Parti Progressiste), de droite, qui prend la place de troisième parti en maintenant son nombre de députés (38 en 2018, 37 en 2014), devançant ainsi le parti centriste MDB (anciennement PMDB : Parti du Mouvement Démocratique Brésilien), qui passe de 66 à 34 élus.

Un paysage politique toujours dominé par le BBB

On retiendra donc de cette élection la formidable ascension du PSL de Bolsonaro. Mais ce n’est pas le parti qui a porté le candidat, c’est bien plutôt l’inverse. Car Bolsonaro, affichant une logique populiste de fracture avec les partis traditionnels, s’est avant tout appuyé sur le BBB. Et c’est ce mouvement qui sort d’ores et déjà véritable vainqueur des élections. À première vue, il semble avoir perdu des représentants car nombre de vieilles figures historiques n’ont pas été réélues. En réalité, la montée des partis de droite, et en particulier du PSL, est un indicateur du futur renforcement du réseau conservateur représentant les lobbys des armes, des évangélistes et des éleveurs et agriculteurs.

Ainsi, Bolsonaro, qui inquiète aujourd’hui comme si on découvrait le problème politique brésilien au travers de ses insultes et autres menaces dans ses discours, sur sa chaîne YouTube ou via les réseaux sociaux, n’est en fait que le grotesque avatar d’un mouvement solidement enraciné dans la vie politique depuis bien des années. Le populisme tout à la fois violent, religieux et ultralibéral du BBB s’était déjà ouvertement exprimé à la Chambre des députés lors de l’actuelle mandature en remettant à l’ordre du jour des discussions sur des projets de lois qu’il eut été impensable d’entendre au cours de la précédente décennie : pénalisation de l’avortement, abaissement de la majorité pénale, libéralisation du port d’armes, réduction des territoires protégés pour les peuples d’Amazonie, révision de la législation pour alléger la définition du travail esclave. Cette mouvance ultraconservatrice qui domine les instances législatives fait peser de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir politique du Brésil quel que soit le résultat de l’élection présidentielle.

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