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La rue Condillac dans le centre ville de Bordeaux. Shutterstock

Bordeaux : l’exode urbain dans la région n’est-il qu’un mythe ?

Depuis l’arrivée de la Covid-19, les interrogations sur les conséquences de l’exode urbain ont été nombreuses. Il est désormais clair que l’exode urbain post-Covid n’a pas eu lieu. De façon plus explicite, à l’échelle de la France, la crise sanitaire n’a pas entraîné de flux massifs de population des grandes villes vers les territoires ruraux.

Loin de ce bouleversement territorial, la pandémie a plutôt confirmé et accéléré des tendances préexistantes à la crise (telles que la métropolisation, la périurbanisation ou encore « la renaissance rurale »).

Dans ce cadre, les recherches sur cette question soulignent « la nécessité de regarder chaque territoire dans son contexte pour l’accompagner au mieux ». L’Agence d’Urbanisme Bordeaux Aquitaine a ainsi mené des travaux à l’échelle du territoire girondin pour s’interroger sur les dynamiques au sortir de la crise du Covid-19.


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Département fort de 1 625 000 habitants et au solde migratoire (solde entre les entrants et les sortants) le plus élevé de France métropolitaine avec 22 300 nouveaux habitants au recensement 2019, la Gironde présente des enjeux particuliers. L’attractivité des territoires voisins de la métropole est en question, puisque, en 2019, les deux tiers des arrivants s’installaient dans Bordeaux Métropole.

Dans ce contexte, y a-t-il un profil type d’individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire en Gironde ? La crise sanitaire a-t-elle pu jouer en faveur d’un rééquilibrage des flux entre la métropole et le reste du territoire girondin ?

9 000 « nouveaux voisins » interrogés

L’enjeu principal pour répondre à ces questions est de réussir à faire de la

« prévision immédiate », c’est-à-dire de décrire un phénomène en train de se produire ou qui s’est produit tout récemment, car les bases de données du recensement imposent aux chercheurs et aux techniciens des collectivités territoriales un décalage des millésimes. Il faut donc d’autres sources.

Vue sur la place de la Comédie et le célèbre bâtiment du Grand Théâtre de la ville de Bordeaux. Shutterstock

Une enquête postale a été réalisée entre juin et septembre 2022 en Gironde, à partir de la base « Nouveaux voisins » de La Poste. Environ 9 000 questionnaires ont été envoyés à des personnes ayant déménagé et fait réacheminer leur courrier pour s’installer dans le département, quel que soit leur lieu d’origine.

723 personnes de plus de 30 ans ont répondu au questionnaire dont 141 qui affirment que la crise sanitaire est la raison principale ou une des raisons principales de leur déménagement. Pour des enjeux de représentativité, les résultats sont pondérés en distinguant Bordeaux Métropole du reste de la Gironde par tranche d’âge.

Une diversité de profils d’individus qui déménagent

En première analyse, les résultats convergent avec ceux à l’échelle nationale. Ils montrent la grande diversité des profils des individus qui déménagent en raison de la crise.

Après le confinement, les publications grand public ont rapidement échafaudé un profil type des individus qui bougeraient en réaction à la crise sanitaire et aux confinements. Ce portrait-robot correspondrait à des individus-cadres et diplômés d’un bac +5 qui quittent la ville pour changer de cadre de vie, dans une forme de rejet de la métropole.

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En Gironde, les analyses statistiques dessinent un profil qui est celui d’individus de moins de 45 ans (70,7 % des individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire contre 63,3 % dans la population totale) et en emploi (87,1 % des individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire contre 80,7 % dans l’ensemble de la population).

Graphique présentant l’influence de la crise sanitaire sur les déménagements, selon les âges
Graphique présentant l’influence de la crise sanitaire sur les déménagements, selon les âges. Fourni par l'auteur

Ces résultats s’inscrivent dans la continuité des travaux menés par l’économiste Olivier Bouba-Olga, à partir des données d’inscriptions scolaires, qui suggèrent que ce sont surtout des ménages jeunes qui réalisent ce type de mobilités résidentielles.

En ce qui concerne la catégorie socioprofessionnelle (CSP) et le niveau d’études, le profil type de « l’exodeur » en Gironde est plus nuancé que celui présenté dans la presse. Les analyses statistiques mettent en évidence que le niveau de diplôme ou encore la CSP ne joue pas sur le fait de déménager pour ce motif. Aussi bien les cadres que les ouvriers déménagent en raison de la crise sanitaire (voir le graphique ci-dessous basé sur un modèle de régression logistique). De plus, les bacs +5 ont une probabilité de déménager proche de celle des individus peu ou pas diplômés.

Facteurs associés aux déménagements en raison de la crise sanitaire
Facteurs associés aux déménagements en raison de la crise sanitaire. Pour chaque caractéristique des individus (signifiée par des couleurs différentes), plus le point est à droite, plus la probabilité de déménager par rapport à la référence (le point de la même couleur le plus haut) est élevée ; plus le point est à gauche, plus la probabilité de déménager par rapport à la référence est faible. Les barres horizontales représentent les marges d’erreur pour chaque résultat (IC 95 %). BM = Bordeaux Métropole ; HorsBM = Gironde hors Bordeaux Métropole ; Hors Gironde = extérieur du département. Fourni par l'auteur

Cette diversité des profils en termes de CSP converge avec les travaux de sociologie de l’équipe POPSU Territoires. Les chercheurs décrivent un kaléidoscope de ménages (des profils précaires, des préretraités ou encore des dynamiques nouvelles « d’investissement en milieu rural »), à partir d’une série d’entretiens.

La métropole après la crise : des arrivées et des départs

En Gironde, la crise du Covid-19 semble confirmer et accentuer les arrivées dans la métropole bordelaise. 11,7 % des déménagements en lien avec la crise sanitaire quittent la métropole pour rejoindre le reste de la Gironde contre 9,2 % parmi l’ensemble des déménagements.

Néanmoins, les déménagements à l’intérieur de la métropole (37 % des déménagements) et de l’extérieur de la Gironde vers la métropole (27,4 % des déménagements) en lien avec la crise sanitaire confirment plutôt un maintien des flux à destination de la métropole.

Autrement dit, les flux à destination de la métropole ne semblent pas être réorientés vers le reste de la Gironde à la faveur de la crise sanitaire. Les résultats des analyses suggèrent même plutôt un renforcement des flux depuis l’extérieur de la Gironde vers la métropole.

Ainsi, ces déménagements s’inscrivent probablement plus dans un fonctionnement territorial classique, que dans des effets propres à la crise sanitaire. Il reste, en effet, difficile de différencier des trajectoires classiques d’éventuelles spécificités des mobilités résidentielles liées au Covid-19.

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