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Ce que révèlent les noms des partis politiques

Des personnes regardent les affiches officielles des candidats aux élections cantonales et municipales, le 06 mars 2008 à Strasbourg.
Des personnes regardent les affiches officielles des candidats aux élections cantonales et municipales, le 06 mars 2008 à Strasbourg. Olivier Morin/AFP

Fin décembre, le Parti communiste français célébrait un siècle d’existence, donnant lieu à de nombreuses analyses quant à l’évolution de ce mouvement dans le paysage politique actuel.

Aujourd’hui discutés voire contestés dans un environnement politique mouvant, les partis n’en restent pas moins des acteurs fondamentaux de la vie politique d’un pays.

Organisations fondées sur le rassemblement de membres animés de convictions politiques communes – définition de parti dans le Trésor de la langue française informatisé –, ils adoptent des stratégies afin de séduire des électeurs potentiels. Parmi ces stratégies, le choix du nom.

Le nom de parti est porteur d’enjeux symboliques sur la scène politique. Vis-à-vis de l’électorat et de l’opinion publique, il doit être reconnu, retenu, manipulable dans les discours ; surtout, il doit être évocateur – porteur d’un projet, d’une mémoire, d’une histoire.

Il sert au groupe dénommé à se situer vis-à-vis des adhérents, des électeurs potentiels, mais aussi des autres partis. De ce fait, à l’enjeu politique s’associe une dimension sémantique.

Des noms propres atypiques

À l’instar des noms de personnes, les noms de partis peuvent être considérés comme des noms propres.

Conformément aux critères principaux de cette catégorie, ils renvoient de manière stable et univoque à un référent unique (un individu – le parti).

Une fois créé, ce lien dénominatif est transmis et mémorisé, ce qui constitue une sorte de « contrat dénominatif », indépendant de la signification du nom – si signification il y a.

4 mai 1969 : Naissance du Parti socialiste (Franceinfo INA).

Par rapport à ces critères, les noms de partis présentent néanmoins quelques particularités :

  • ils dénotent un groupe, donc une pluralité d’éléments humains – les membres du parti ;

  • le nom n’est pas conféré au parti depuis l’extérieur (comme les parents pour un enfant par exemple), mais par les acteurs eux-mêmes ; généralement d’ailleurs, la création du nom et la transmission de celui-ci sont situées dans le temps et l’espace et peuvent même être datés ;

  • ils sont constitués de matériau lexical (nom commun, adjectif – Parti radical, Rassemblement national) et grammatical (article, préposition – Parti de gauche, les Verts), parfois d’un autre nom propre (la France insoumise, Europe Écologie–les Verts) ; ils peuvent former un nom composé (Place publique), une phrase (En marche !, Debout la France, Podemos pour l’Espagne), et leur forme est (souvent) compositionnelle ; par voie de conséquence, elle est (souvent) descriptive.

Des noms de partis, pour qui ? Pour quoi ?

Comme élément d’une stratégie politique, le nom de parti doit être « parlant ».

De fait, il s’adresse à tout un feuilleté de destinataires : citoyens (distraits, indifférents, dépassés, curieux, experts), journalistes, analystes et commentateurs, scientifiques, personnels politiques, auxquels il faut ajouter les citoyens, commentateurs, scientifiques et personnels politiques étrangers.

Vis-à-vis des adhérents, des militants, voire des sympathisants, c’est le nom d’un collectif auquel des individus adhèrent et dans lequel ils doivent se reconnaître : ainsi, le nom de parti a une valeur identitaire.

Jean‑Luc Melenchon, leader du parti d’extrême gauche France Insoumise, s’exprime le 19 octobre 2018 à Paris.
Jean‑Luc Melenchon, leader du parti d’extrême gauche La France insoumise, s’exprime le 19 octobre 2018 à Paris. Eric Feferberg/AFP

Vis-à-vis du corps électoral et plus largement de l’opinion publique, c’est une marque, mise sur le marché électoral sous la forme de candidats et de programmes. À cet égard, pour ses créateurs, le nom entre dans des stratégies qui évoquent l’univers de la publicité.

Sur la scène politique d’un pays, il participe du positionnement parmi l’ensemble des acteurs collectifs de même statut : choisir un nom pour un parti suppose de se situer vis-à-vis des autres, coprésents dans le même espace politique, ou encore dans une histoire, parfois une filiation.

Cela suppose parfois aussi d’affronter les autres sur le terrain du nom ou, dans certains pays, comme la Turquie, de contourner la censure du pouvoir politique.

Un modèle classique reproductible

Pour la France, même si de nouvelles formes apparaissent actuellement, beaucoup de noms de partis relèvent de « patrons » assez classiques, déjà décrits par les chercheurs Maurice Tournier et Paul Bacot, comportant à l’initiale un nom collectif classificatoire tel que parti, front, union, mouvement, ligue ou rassemblement, complété d’éléments (adjectifs, compléments de noms) de choix plus libre (radical, indépendant, nouveau, démocrate, démocratique, national, révolutionnaire, des travailleurs, de gauche).

Mais l’on y retrouve des classiques, parfois déclinés pour différents pays (Parti socialiste, communiste ; Parti des Travailleurs (Brésil, Algérie, Tunisie)), ce qui dénote continuité (le « label » socialiste, communiste) et nécessité de particulariser au sein d’un regroupement plus vaste (l’adjectif de nationalité).

Cette structure syntaxique se retrouve pour d’autres langues que le français : en turc, en arabe, en anglais, en russe.

Que désigne le nom de parti ?

Les partis correspondent à une pluralité de membres, mais ils sont aussi des entités constituées.

Comme pour les groupes en général, on peut les considérer comme constitués de deux niveaux : celui des éléments (ici, les membres du parti) et celui du tout (le groupe, ici le parti). Dès lors, le nom de parti permet principalement de désigner le parti comme institution, mais aussi l’ensemble de ses membres.

Ceci explique peut-être que bon nombre de noms de partis reflètent sémantiquement la pluralité, que ce soit via les noms collectifs classificatoires mentionnés supra, qui renvoient donc à la fois à l’unité du groupe et à la pluralité des éléments, via des expressions au pluriel – les Républicains, les Verts, les Patriotes, ou encore Génération·s –, ou plus indirectement de par le sens des mots choisis (Ensemble, Place publique), et même via des éléments grammaticaux (le -mos, marque de la première personne du pluriel pour Podemos).

Quant aux noms collectifs, ceux adoptés ne le sont évidemment pas au hasard : si parti, par son étymologie, évoque la division, front parle de combat commun (faire front), et union ou rassemblement d’union, voire de cohésion – voir le changement de Front national en Rassemblement national en 2018.

Lexique existant et évocation

On l’a vu, le nom de parti est formé de matériau linguistique préexistant. De ce fait, les noms de partis ne surgissent pas ex nihilo, ni sur le plan du lexique employé ni sur celui de la structure syntaxique – ils répondent aux structures grammaticales de leur langue.

Que les noms de partis relèvent ou non d’un format classique, ils déclinent différentes nuances (descriptives, évocatrices, parlant à la raison, à la mémoire ou aux affects).

C’est sur ces bases que l’imagination parfois, ou que les valeurs peuvent être sollicitées : valeur de la nation, de la république (les Républicains, place Publique), du mouvement (Agir, et surtout En Marche !), valeurs morales (la solidarité par exemple – Ensemble) et parfois religieuses, comme en France (Parti Chrétien-Démocrate), en Allemagne (CDU – Christlich Demokratische Union Deutschlands), ou dans certains pays arabes (Hezbollah « parti de Dieu », pour le Liban), ou encore valeurs de rupture (la France insoumise, Nouveau parti anticapitaliste, Parti pirate – l’étymologie de l’adjectif pirate, rappelée sur le site français du parti, renvoie à l’essai, à l’aventure).

Renouvellement des formes, tentatives et stratégies

Si les patrons classiques restent présents (y compris pour des nouveaux partis comme le Parti pirate ou le Parti animaliste), la forme des noms de partis tend actuellement à se renouveler, en France du moins (voir Génération·s, Place publique, En Marche !).

Deux cas parmi d’autres peuvent être signalés : celui de En Marche ! d’une part, et d’autre part celui de la forme (les + adjectif nominalisé, c’est-à-dire nom provenant d’un adjectif) – républicains, par exemple –, qu’on trouve notamment avec les Républicains, les Patriotes et les Verts, il y a peu.

En Marche !

Le nom initial du parti présidentiel actuel (renommé depuis La République en marche) est peut-être un cas extrême, très élaboré, puisqu’il procède d’une stratégie signifiante où rien n’est laissé au hasard, ni la forme injonctive (avec son point d’exclamation), ni les mots, ni les initiales (EM) qui, lorsque le nom est employé siglé, se superposent à celles de son fondateur.

Quant à les Républicains, parmi ceux de la forme les [+ adjectif nominalisé], l’astuce consiste (comme d’ailleurs avec les Patriotes) à rassembler sous une même forme nom du groupe et désignation des membres du groupe ; ceci combiné au choix d’un adjectif nominalisé (républicain) porteur de valeurs et pouvant également s’appliquer à des personnes.

Nicolas Sarkozy, ancien président français
Nicolas Sarkozy, ancien président français et candidat aux primaires du parti Les Republicains d’Europe (LR), s’exprime lors d’une réunion des jeunes Republicains le 27 août 2016 au Touquet. Denis Charlet/AFP

De sorte que les Républicains peut désigner des individus quelconques (qui seraient républicains), les membres du parti et le parti lui-même – qui devient, si la stratégie fonctionne, une référence incontournable pour qui se revendiquerait républicain. À quoi il faut ajouter l’allusion à la vie politique étasunienne.

De même que le parti prend position par rapport à d’autres partis, le nom lui-même appartient à un univers, politique bien sûr, mais aussi culturel et historique, un univers peuplé d’autres noms auxquels il fait parfois explicitement écho.

Ainsi, des influences croisées s’exercent sur le nom de parti politique : celles de la langue elle-même de par le matériau linguistique disponible, celles impliquées par les caractéristiques (réelles, supposées, affichées) du référent, celles liées aux enjeux et aux stratégies en termes de lisibilité, de mémorisation, de transmissibilité, voire de « désirabilité » vis-à-vis des publics qui en sont les destinataires.

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