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Un jeune Algérien brandit le drapeau du pays, lors d'une des manifestations du 15 mars, à Alger. Des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans la capitale algérienne et dans d'autres villes dans un climat de sécurité renforcée. (AP Photo/Toufik Doudou

Ce qui se passe en Algérie : le peuple, écoeuré d'être pillé par des « bandits », veut renverser le système

L'Algérie ne décolère pas depuis que le président Abdelaziz Boutlefika a tenté de briguer un nouveau mandat, en vue des élections d'avril. Les manifestations ont provoqué son désistement, mais elles n'ont pas cessé, loin s'en faut: vendredi, des centaines de milliers d'Algériens ont défilé à nouveau dans les rues des grandes villes du pays pour manifester leur colère et leur écoeurement: les élections sont reportées on ne sait trop à quand. Le pouvoir ne semble pas vouloir lâcher le morceau.

La diaspora algérienne manifeste aussi à travers l'Europe et ici, à Montréal. Chaque dimanche, des milliers d'entre eux se massent devant le Consulat général d'Algérie, rue Saint-Urbain.

Durant la manifestation devant le Consulat d'Algérie à Montréal, dimanche le 17 mars, une jeune femme s'est entourée d'un cadre, un peu à l'image du président Boutlefika, qu'on ne voit plus qu'en photos depuis des années. Nadia Kherif, Author provided (no reuse)

Même si je vis et travaille à Montréal depuis quatre décennies, je m'intéresse de près à ce qui se passe dans mon pays d'origine. Et ce n'est pas beau.

Un pays sinistré

L’Algérie, magnifique et (plus grand) pays d’Afrique, aux richesses aussi multiples qu’immenses, depuis les hydrocarbures jusqu’aux métaux les plus rares, en passant par près de 1500 kilomètres de côtes foisonnantes, d’une interminable plaine côtière, jadis grenier à blé, agrumes, raisin, olives de l’Empire Romain, et de la France coloniale, est aujourd’hui un pays quasiment multi-sinistré.

Rien ou presque ne « va » dans ce pays devenu, après une cinquantaine d’années d’indépendance, moins que l’ombre de ce qu’il était avant.

Une mainmise, dès l’indépendance, en 1962, d’une junte militaire sur le pouvoir politique et économique, aura tôt fait de faire de ce pays, pans après pans, une sorte d’énorme république bananière.

Les pouvoirs successifs (simples jeux de chaises musicales entre les membres des mêmes cliques issues de l'armée – parti unique, le FLN, jusqu’à la fin des années 1980, sur simulacres d’élections à la Staline). Profitant d’une rente pétrolière et gazière plus que généreuse, ils n’ont fait qu’acheter la paix sociale en arrosant le peuple de subventions et de salaires pléthoriques.

Mais dès le début des années 1970, une grogne populaire sourde commençait à se faire jour, devant les abus et excès, de plus en plus insolemment ostentatoires d’une nouvelle classe de dominants qui ne cachait même plus les indécents « avantages » qu’elle s’octroyait : un vrai hold-up, au profit de quelques familles de potentats et de leurs complices, sur les richesses nationales. Sans vergogne aucune. C’est alors que cette « grogne » jusque-là diffuse et informe, a pris petit à petit un visage, que d’aucuns pensent inattendu et spontané, et que d’autres considèrent comme sciemment préparé, ou tout au moins facilité.

Les années noires

La montée des idées islamistes a mené à la dite « décennie noire » des années 1990.

Les forums d’expression de toutes idées hors celles du système officiel étant inexistants, les mosquées ont rempli ce rôle. Il convient aussi de savoir que le pouvoir algérien a, en connaissance de cause ou non, massivement importé du Moyen-Orient des instituteurs, imams, professeurs issus du mouvement wahhabite, et/ou de celui des Frères Musulmans.

C’était le fruit empoisonné engendré en très grande partie de la doctrine dite du « containment » (endiguement) initialisée par le gouvernement Truman des États-Unis : la version wahhabite, c’est-à-dire une politique radicale, primitive, hyper fondamentaliste et réductionniste de l’Islam, qui n’avait alors cours que dans une portion de l’Arabie Saoudite.

De la volonté d’en faire un rempart idéologique contre une éventuelle entrée du soviétisme en Orient, sont nés les Talibans et toutes les variantes de l’islamisme radical. Elles ont été malencontreusement importées en Algérie (tout en essaimment un peu partout, flots de pétrodollars à l’appui). C’est alors qu'est né en Algérie le parti dénommé FIS (Front islamique du salut) dès la mi-fin des années 1980.

Très vite il s'est montré comme le lieu et le véhicule de la fronde contre le pouvoir et ses bandits. L’incroyable pour beaucoup s'est produit lors des élections municipales en 1990 : le FIS l’emportait haut la main. Moins de deux ans plus tard, le 11 janvier 1992, devant cette menace « démocratique » et populaire qui allait mettre en danger le tranquille pillage du pays, le pouvoir algérien (avec l’aval et le soutien évident de puissances telles que la France et les États-Unis) a décidé d’opérer un putsch, un coup de force militaire qui annulait ces élections et leurs résultats.

C’était l’étincelle qui allait déclencher 10 ans de guerre civile.

Tueries, pour ne pas dire sauvages boucheries, s’en sont suivis, faisant de l’Algérie, pendant 10 ans, le théâtre d’un indescriptible chaos meurtrier, où à la fin nul ne savait plus « qui tuait qui ». Ce qui compte cependant pour le présent propos est de savoir comment tout cela a été instrumentalisé pour finir par conduire l’Algérie dans l’état qu’on lui voit aujourd’hui : le peuple entier dans les rues, criant son ras-le-bol.

Un pouvoir autiste et (trop) manipulateur

Pour se donner un vernis de légitimité, le pouvoir hyper corrompu (surtout après l’ère Boumediene, vers fin des années 1970) et despotique dont je parle, s’est toujours appuyé sur deux piliers : être la continuité de la glorieuse Révolution anticoloniale, et le rempart contre le retour des hordes islamistes.

Jouant inlassablement sur ces deux cordes, le pouvoir a été jusqu’à imposer – en violation de la constitution que ce pouvoir s’est lui-même concoctée- un quatrième puis un cinquième mandat de cinq ans au même président, Abdelaziz Bouteflika. Rappelons qu'il a été terrassé par un AVC il y a plusieurs années, avant son quatrième mandat. Il est totalement impotent, donnant la pitoyable image d’un homme quasi moribond.

Le président Abdelaziz Boutlefika, en 2009, alors qu'il avait encore la santé pour faire des apparitions publiques. Presse Canadienne

L’annonce de sa cinquième candidature pour les élections d’avril 2019 a été la goutte qui a fait déborder le vase et l’étincelle qui a mis le peuple dans les rues.

Il convient également de savoir que la chute draconienne des prix des hydrocarbures depuis 2014 a entrainé avec elle celle du pouvoir d’achat et de la qualité de vie – déjà à la limite du supportable- des Algériens. C’en devenait trop. Et ce d’autant que la majorité de la population est très jeune, et connectée aux chaines de télévisions internationales et à l’Internet. Elle n’a aucune sensibilité aux discours de « légitimité révolutionnaire » ou de « menace islamiste-terroriste ».

Cette jeunesse est aujourd’hui aux avant-postes de l’insurrection qui envahit le pays. Jusque-là tout se passe de manière étonnamment civilisée et pacifique. Aucune « casse », au contraire : les manifestants se font un devoir de tout nettoyer, sacs de plastique à la main, après chaque défilé ! Du jamais vu !

Que réclame le peuple algérien et que craindre

Le peuple réclame (un peu comme cette jeunesse mondiale qui s’élève conte « le système » mondialisé qui est en train de tuer leur planète) le départ définitif du « système Algérie » tel qu’il a existé jusque-là.

Des centaines de milliers d'Algériens ont manifesté vendredi à travers les villes du pays. Ils réclament la fin du « système Algérie », tel qu'il a existé jusque-là. AP Photo/Toufik Doudou

Il réclame une nouvelle constitution et une seconde République. C’est-à-dire un « re-brassage » complet des cartes politiques, sociales et économiques, pour faire redémarrer l’Algérie sur de nouvelles bases réellement populaires et démocratiques.

Ni plus ni moins.

Ce qui est à craindre c’est que le pouvoir demeure autiste et manipulateur : ce qu’il tente de faire par des mesures de « gain de temps » (report des élections, création d’une commission dite « de sages » et d’un gouvernement dits « de compétences « (Sic !), pour une « transition » qui mènerait à la satisfaction des volontés populaires.

Il est également à craindre la tentation de mater le mouvement par la force, après usage de « provocateurs - casseurs » qui justifierait le lâchage de l’armée et des forces de répression dans les rues.

Reste à espérer que le civisme et la sagesse continuent à prédominer, et que ce pouvoir comprenne que son temps est irrémédiablement terminé.

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