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Ces frictions culturelles qui mènent à l’échec des fusions-acquisitions internationales

Au niveau mondial, les opérations connaissent un taux d'échec situé entre 50% et 60%. Ekaphon maneechot / Shutterstock

Les phénomènes de mondialisation et de fortes consolidations dans les affaires internationales suscitent un intérêt certain pour les fusions-acquisitions hors frontières. Le nombre de ces opérations ne cesse de croître au niveau mondial, pour un total de près de 4 000 milliards de dollars de transactions signés en 2018 dans le monde, atteignant ainsi les pics d’avant la crise de 2007, même si le nombre de transactions a ralenti début 2019.

Exemples emblématiques de ce mouvement : le français Essilor, N.1 mondial de l’optique ophtalmologique, rachète l’italien Luxottica, premier fabricant mondial de montures de lunettes, en 2017 ; la même année, le géant de l’agro-alimentaire Danone en fait de même avec le spécialiste du lait bio et végétal WhiteWave ; en 2018, Safran acquiert Zodiac dans l’aérospatial, tout comme ChemChina le suisse Syngenta dans le secteur de la chimie agricole.

Un paradoxe !

Néanmoins, ces alliances constituent un paradoxe intéressant. La stratégie des fusions-acquisitions reste très répandue dans le développement des organisations alors même que son risque d’échec est extrêmement élevé, entre 50 % et 60 % selon les sources. Ce taux augmente encore lorsqu’il s’agit de fusions internationales, notamment pour des raisons d’incompatibilité culturelle.

Les auteurs qui se sont intéressés aux fusions-acquisitions dans une perspective socioculturelle mettent l’accent sur l’importance d’un management approprié de l’étape post merger, c’est-à-dire au moment du processus d’intégration. Les fusions affectent les personnes prises dans ces bouleversements. L’aspect humain est au cœur de cette intégration post merger, et peut être la clé de la réussite.

L’objectif de cet article est alors de présenter un regard neuf sur l’étape d’intégration dans une perspective socioculturelle, à partir d’une étude réalisée sur les frictions perçues par les managers, en première ligne lorsqu’ils ont à interagir avec de nouveaux interlocuteurs après la fusion. La perspective de la friction culturelle offre un cadre de recherche sur les contacts entre les individus dans les processus de fusions-acquisitions internationales. Pourtant, de par sa complexité empirique, ce type de désaccords liés à la culture des individus en situation d’interaction n’avait toujours pas été étudié.

C’est pourquoi nous nous sommes penchés sur les incidents critiques, à savoir les évènements que les managers ont eux-mêmes perçus comme conflictuels lors de situations de travail, pour comprendre la nature des frictions qui pouvaient apparaître dans la phase post merger.

« Merci de m’avoir donné la face »

Il en ressort que ces incidents renvoient la plupart du temps au fait de « sauver la face » lors des situations évoquées comme conflictuelles, en particulier en Asie. La « face » est en effet un phénomène présent dans les sociétés hautement conscientes des contextes sociaux. Dans ce sens, ce concept est directement lié au collectivisme comme dimension culturelle fondamentale. Il renvoie au sens de la dignité, du respect, de la réputation et de l’honneur. Il s’agit d’une façon de maintenir l’harmonie au sein du groupe. Faire « perdre la face » à quelqu’un, même par accident, est en conséquence une infraction rarement pardonnée.

On peut essayer de restaurer la face via l’utilisation d’une communication subtile et indirecte, un cadeau ou un compliment. Les personnes sensibles au concept de face n’ont pas pour habitude de parler ouvertement et explicitement des problèmes de façon à ne pas perdre la face, et ne challengent pas leur supérieur devant les autres membres de l’équipe ou du groupe. En chinois, gei mianzi (donner la face), jiu mianzi (perdre la face) ou encore xiexie gei mianzi trouve son équivalent dans le « merci d’être venu » pour remercier quelqu’un lors d’une invitation à dîner par exemple. Littéralement cela se traduirait par « merci de m’avoir donné la face ». On comprend alors l’impact social de ce concept inscrit dans la langue elle-même. Il décrit la relation propre avec un environnement social, essentiel à la personne (ou à la famille de cette personne) comme partie intégrante du « soi » montré aux autres.

Les incompréhensions culturelles seraient à l’origine de la sortie de route de l’alliance Siemens – BenQ… Eric Gevaert/Shutterstock

Cette dimension a toute son importance en management interculturel. Dans une étude de cas sur l’échec de l’alliance entre Siemens et BenQ dans les années 2000, le rôle de la face comme un facteur culturel subtil est justement décrit. Les auteurs montrent comment les directeurs du spécialiste taïwanais des produits électroniques avaient rejeté la démission de leur président pour lui éviter – ainsi qu’à l’entreprise entière – de perdre la face ; et comment ces responsables ont utilisé un intermédiaire pour réduire la perte de la face devant les parties prenantes.

La friction perçue résultant de la face est un aspect particulièrement sensible lorsque les cultures des acteurs impliquent des différences en terme de pratiques et de valeurs. La maîtrise de ce concept permettrait d’éviter des pertes financières considérables dans l’échec des fusions-acquissions internationales, et la sensibilisation à ces piliers culturels constitue donc un outil managérial incontournable.

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