Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Des souris qui n’ont plus peur des chats, des crustacés qui se laissent flotter à la surface de l’eau au lieu de s’abriter sous les roches, des fourmis qui se déguisent en baies pour se faire dévorer par les oiseaux, des humains qui émettent des odeurs attirant les moustiques… ces comportements inattendus, parfois suicidaires, paraissent presque fantaisistes.
Ils sont pourtant présents dans la nature, et ils ont tous un point commun : ils sont le résultat d’infections parasitaires. En effet, de nombreux parasites dits « manipulateurs » sont capables d’altérer le comportement et même la physionomie de leur hôte pour faciliter leur survie et leur propagation.
Les plantes n’échappent pas à la règle. Les virus qui les parasitent se montrent souvent très ingénieux pour passer outre leur immobilité, utilisant à cette fin des organismes intermédiaires mobiles appelés vecteurs.
L’unité de virologie de l’INRA de Colmar a ainsi récemment mis en évidence un cas de manipulation de la plante Camelina sativa par le virus de la jaunisse du navet (Turnip yellows virus ou TuYV). Ce virus possède la particularité d’être transporté de plante en plante uniquement par un vecteur aérien, le puceron. Le virus se propage donc plus efficacement si les pucerons sont attirés vers les plantes infectées avant que celles-ci ne succombent à l’infection.
Rendre la plante plus goûtue
Les chercheurs ont en effet démontré que le TuYV provoque chez les plantes l’émission d’odeurs qui attirent le puceron. Ce même virus modifie également la composition chimique de la plante, la rendant plus appétante – en un mot, plus goûtue – pour le puceron. Disposant d’une nourriture plus adaptée, ce dernier s’y nourrit plus et ingère ainsi plus de virus, un bénéfice net pour le pathogène qui peut alors s’accumuler dans le puceron et être plus efficacement propagé vers d’autres plantes.
Les exemples abondent de telles « manipulations » des plantes par les virus, et les études révèlent que ces altérations de la plante induites par le virus peuvent varier selon le virus en question et surtout selon leur mode de transport par les vecteurs.
Par exemple, le TuYV est un virus dit « circulant » : pour qu’il soit efficacement transmis, le puceron doit atterrir sur la plante infectée et se nourrir de manière prolongée pour ingérer le virus qui chemine dans la sève. Le pathogène est ensuite entraîné avec la sève dans le tractus digestif de l’insecte puis traverse les cellules de l’intestin, avant de rejoindre les glandes salivaires, d’où il est réinjecté à une nouvelle plante.
Les virus « circulants » ont tout intérêt à induire des modifications dans la plante permettant d’attirer les pucerons et de stimuler leur alimentation.
Optimiser la transmission
Il existe une autre catégorie de virus de plante, dits « non-circulants, » qui ne traversent pas les cellules de l’insecte mais sont retenus dans l’appareil buccal au niveau du stylet ou de l’œsophage du vecteur.
Dans ce groupe se trouve, par exemple, le virus de la mosaïque du concombre (Cucumber mosaic virus, CMV) également transmis par puceron. Ce virus entraîne chez les plantes infectées la production de substances volatiles qui attirent les pucerons mais réduit la qualité nutritionnelle des plantes infectées, poussant les pucerons à émigrer rapidement.
Ces deux phénomènes contrastés sont cependant parfaitement adaptés au mode de transmission du CMV : ce dernier ne requiert en effet que de brèves piqûres dans les cellules superficielles de la plante pour être retenu par le vecteur. Le virus optimise donc son processus de transmission en encourageant dans un premier temps les pucerons à se poser sur les plantes infectées, puis en les incitant à quitter ces plantes rapidement après les avoir juste goûtées.
Plus surprenant encore, il a été observé que des pucerons de l’espèce Rhopalosiphum padi porteurs du virus de la jaunisse nanisante de l’orge (barley yellow dwarf virus ou BYDV) préfèrent les plantes non-infectées, alors que les pucerons dépourvus de virus sont attirés par les plantes infectées (Ingwell et coll., 2012).
Cet exemple démontre que le virus peut non seulement manipuler indirectement la plante pour attirer les pucerons, mais aussi agir directement sur les pucerons pour modifier leur comportement.
Sur la piste des molécules impliquées
Ces observations soulèvent de nombreuses questions toujours non résolues.
Pourquoi ces exemples de manipulation ne s’appliquent-ils pas à toutes les plantes infectées par un même virus ? Pourquoi existe-t-il également des variations de comportement selon l’espèce de puceron considérée même vis-à-vis d’une même plante infectée ?
Les études en cours visent donc à identifier les molécules dans la plante infectée responsables des changements de comportement des vecteurs, qu’il s’agisse des composés attirant les pucerons ou de ceux qui la rendent plus appétissante. Cette identification permettrait d’envisager de nouvelles méthodes de lutte visant à inhiber la production des molécules en question par les plantes infectées, pour que celles-ci ne présentent plus ce pouvoir attractif pour les pucerons.
À ce jour, l’utilisation d’insecticides reste la méthode de choix des agriculteurs pour réduire les populations de vecteurs et limiter les pertes liées aux virus qu’ils transportent.
Une nouvelle méthode de lutte basée sur la non-attraction, voire la répulsion des pucerons, pour les plantes infectées permettrait de réduire la propagation des virus au champ. Pour enrayer la dispersion des virus circulants, il serait également envisageable de sélectionner des variétés de plantes produisant naturellement peu, voire pas, de composés responsables de l’ingestion soutenue de sève nécessaire à l’acquisition de ces virus.
La compréhension des mécanismes fins permettant aux virus transmis par puceron de manipuler leur plante hôte pour faciliter leur propagation représente un front de science prometteur pour l’élaboration de nouvelles méthodes de lutte plus respectueuses de la santé humaine et de l’environnement.
Simon Bourdin, étudiant en master « Communication scientifique » à l’université de Strasbourg a participé à l’élaboration de cet article.