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Un homme sur une île montre la plage en contrebas
Les neuf îles qui constituent l'archipel de Tuvalu seront englouties au cours des prochaines décennies. TCAP/PNUD, CC BY-NC

Changement climatique et politique migratoire : l’accord Australie-Tuvalu, un modèle pour la France et ses territoires du Pacifique ?

Lors de sa visite officielle en Australie le 4 décembre, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est dite ouverte à examiner toute demande de réinstallation émanant de petites nations du Pacifique Sud confrontées à la montée des eaux, s’alignant ainsi sur l’exemple de l’accord passé le 10 novembre dernier entre l’Australie et Tuvalu. Cet accord, conclu en marge de la 52e édition du Forum des îles du Pacifique, pourrait donc bien avoir des implications pour la France et ses territoires du Pacifique.

L’accord entre l’Australie et Tuvalu a été baptisé « Union Falepili ». Le terme « falepili », emprunté à la langue tuvaluane, incarne l’idée de « soutien mutuel entre voisins ». Souvent qualifié d’historique ou de fondateur, ce traité ouvre une voie migratoire innovante pour les Tuvaluans confrontés à l’élévation du niveau de la mer. Il souligne une prise de conscience croissante des vulnérabilités uniques des nations insulaires face au changement climatique, tout en établissant un modèle de coopération bilatérale pour aider ces populations.

Tuvalu, au centre de cette carte politique de l’Océanie, se trouve à environ 4 000 km des côtes australiennes. Peter Hermes Furian/Shutterstock

Pourquoi il est inexact de parler d’asile climatique d’un point de vue juridique

Tuvalu, un archipel de neuf îles de faible altitude situé dans le Pacifique central, abrite environ 11 200 habitants. Ces îles sont parmi les plus exposées aux effets dévastateurs du changement climatique, en particulier à l’augmentation alarmante du niveau de la mer. Le pacte entre les deux nations reconnaît explicitement cette vulnérabilité et propose une réponse tangible : l’attribution chaque année de 280 visas de résidence permanente en Australie aux citoyens de Tuvalu.

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L’Union Falepili illustre un engagement sans précédent de Canberra envers les citoyens de Tuvalu, sévèrement impactés par la montée des eaux. Il survient dans un contexte où l’existence même de Tuvalu est en péril, et s’inscrit dans un cadre complexe de défis environnementaux et juridiques. Il est à noter que lors de la COP 27, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, a fait forte impression en annonçant la création d’une réplique numérique de son pays dans le Métavers, envisageant ainsi une forme de survie virtuelle face à la menace d’une submersion réelle de son territoire.

Cependant, et contrairement aux qualificatifs employés dans nombre de médias nationaux et internationaux, il est essentiel de souligner que le type de visa offert par ce traité ne tend pas à donner l’asile climatique aux populations des Tuvalu car l’accord ne reconnaît pas, au sens juridique, les populations déplacées en tant que réfugiés climatiques.

Cette notion, de plus en plus évoquée dans les débats publics et académiques, désignerait des individus et communautés obligés de quitter leur lieu de vie habituel en raison des effets directs ou indirects du changement climatique. Bien que de plus en plus pertinente et fréquemment utilisée dans le discours public, la catégorisation des réfugiés climatiques n’est pas encore reconnue dans le droit international. Elle n’est également pas évoquée dans les termes du traité de l’Union Falepili.

En effet, selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, un réfugié est défini comme une personne qui fuit la persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Bien que l’interprétation de cette définition par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ait été étendue pour inclure les personnes fuyant des conflits armés généralisés, le changement climatique n’est donc pas (encore) reconnu comme un motif de persécution légitime en droit international. En conséquence, les populations déplacées de force par des catastrophes ou changements climatiques ne bénéficient donc pas de protection et d’assistance de la communauté internationale au regard du droit d’asile international.

En l’état actuel, faute d’un cadre juridique international établi et d’une jurisprudence correspondante, les concepts d’asile et de réfugiés climatiques demeurent des notions non reconnues en droit.

Bien que le terme de « réfugié climatique » n'ait pas de signification juridique, il existe certainement des réfugiés dont la situation est aggravée à cause du changement climatique. Comme le révèle une étude de l’Initiative Nansen, le changement climatique ne provoque pas à lui seul des déplacements, mais exacerbe d’autres facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui incitent les gens à quitter leurs foyers. Il amplifie les risques et les vulnérabilités, et rend les catastrophes plus fréquentes et/ou intenses. Ce phénomène engendre donc une multitude de mouvements, qu’ils soient forcés ou volontaires, temporaires ou permanents, à l’intérieur d’un pays ou au-delà des frontières – qui peuvent survenir dans le contexte du changement climatique et des catastrophes qu’il provoque.

Les complexités juridiques entourant ces termes sont illustrées par des affaires telles que celle de Ioane Teitiota en 2015. Ioane Teitiota, un habitant de Kiribati, une nation insulaire du Pacifique, a sollicité l’asile en Nouvelle-Zélande, arguant que la montée du niveau de la mer et d’autres conséquences du changement climatique menaçaient sa vie et celle de sa famille. Toutefois, la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rejeté sa demande, estimant que les conditions de vie à Kiribati, bien qu’extrêmement difficiles, ne relevaient pas de la persécution au sens de la Convention de 1951.

Cette décision a été ultérieurement confirmée par le Comité des droits de l’homme des Nations unies en 2020, qui a cependant reconnu que le changement climatique pouvait entraîner des violations des droits humains si les personnes fuyant les effets du changement climatique étaient renvoyées dans leur pays d’origine (le concept de refoulement, proscrit en droit international) après avoir quitté leur territoire. Cette reconnaissance a été souvent interprétée comme pouvant ouvrir la voie à une future intégration des réfugiés climatiques dans le droit international.

En effet, selon cette décision et comme reconnu par le HCR, compte tenu des évolutions du droit et de la menace climatique, les personnes qui fuient dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié en vertu de la Convention de 1951 précédemment mentionnée. Il faudrait pouvoir justifier, entre autres, d’une peur fondée de subir des persécutions liées au changement climatique, si ce dernier interagit avec des vulnérabilités inhérentes, ou si les effets néfastes du changement climatique ou des catastrophes interagissent avec les conflits et la violence.

Une avancée notable tout de même

Bien que l’accord bilatéral entre l’Australie et Tuvalu ne s’inscrive pas encore dans une reconnaissance juridique des réfugiés climatiques, il marque néanmoins une avancée notable, créant un précédent international dans la mesure où il reconnaît concrètement cette problématique, et accorde aux Tuvaluans le droit de migrer en Australie avec des privilèges substantiels, tels que l’accès à l’éducation et au marché du travail.

Cette initiative traduit dans les faits une expansion de la politique migratoire australienne, visant à répondre de manière ciblée aux défis des déplacements forcés liés à l’environnement.

Reportage de la chaîne publique australienne ABC sur l’Union Falepili.

Compte tenu de la complexité de la reconnaissance, en droit international, du changement climatique comme motif de persécution, le centre Kaldor de droit international des réfugiés, basé à Sydney, et qui à salué les termes de l’Union Falepili, privilégie l’expression « mobilité climatique » pour décrire ce phénomène et élaborer des réponses politiques et juridiques adaptées. À cet égard, le centre a élaboré 13 Principes sur la mobilité climatique, destinés à soutenir et à protéger les communautés affectées par la migration forcée liée aux problèmes environnementaux et à assurer leur sécurité, leurs droits et leur dignité tout en préservant leur patrimoine culturel et en favorisant une approche collaborative et durable.

Des enjeux multiples

Au-delà des réflexions sur la dichotomie voies migratoires/voies d’asile, cet accord entre les deux nations du Pacifique soulève donc également des questions essentielles, notamment concernant la préservation de l’identité culturelle de Tuvalu, tout en interrogeant la responsabilité des pays développés face aux communautés les plus touchées par les effets dévastateurs du changement climatique.

Une analyse réaliste indique que, si les termes actuels de cet accord perdurent, Tuvalu pourrait se retrouver entièrement dépeuplé dans les 40 prochaines années, ses habitants se réinstallant progressivement en Australie, par force bien plus que par choix, car comme le rappelle Jane McAdam, directrice du centre Kaldor, la grande majorité des Tuvaluans ne souhaitent pas quitter leur pays pour l’Australie.

Selon certaines prédictions, il est également concevable que la vie sur l’île de Tuvalu devienne invivable bien avant cette échéance. Comme le rappelait le premier ministre des Tuvalu à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2022 et selon un rapport du GIEC, les Tuvalu risquent d’être totalement submergés au cours de ce siècle et inhabitables d’ici 20 à 30 ans. Comment une diaspora progressivement relocalisée peut-elle préserver son héritage culturel à l’étranger ? Comment aborder les pertes et dommages associés à la mobilité climatique ? Cet accord, dans sa mise en œuvre pratique, et pour la première fois, met en lumière des défis cruciaux en termes de responsabilité, de souveraineté et d’identité culturelle, nécessitant une réflexion approfondie et une action soutenue de la part de la communauté internationale.

De plus, il souligne les obligations des États à l’égard des changements climatiques. En tant que grande exportatrice de combustibles fossiles et pays dont l’empreinte carbone est conséquente, l’Australie fait l’objet de critiques régulières concernant sa politique climatique et l’impact, direct ou indirect, de celle-ci sur les migrations forcées. Ce traité pourrait être interprété comme une reconnaissance de sa part des répercussions du changement climatique sur les nations insulaires, représentant une avancée vers une prise de conscience et une action environnementale plus résolues.

Un accord au service des intérêts géopolitiques de Canberra ?

Toutefois, l’accord bilatéral entre les deux nations revêt également une dimension géopolitique majeure, dépassant le simple cadre de l’assistance et intégrant des aspects de sécurité et de présence stratégique. L’Australie se voit ainsi octroyer des droits étendus sur le territoire des Tuvalu, y compris des droits d’accès, de présence, de survol, ainsi que le droit de s’opposer à des décisions en matière de sécurité qui pourraient contrarier ses intérêts. L’Union Falepili s’insère donc dans une stratégie géopolitique australienne plus large, visant à renforcer sa présence dans une région qui est géopolitiquement importante. Cette approche reflète non seulement les préoccupations sécuritaires de l’Australie, mais aussi son désir d’étendre son influence dans le Pacifique, une zone qui attire de plus en plus l’attention de grandes puissances mondiales.

Cette dimension centrale du traité soulève des interrogations quant aux motivations réelles de Canberra. Bien que largement salué par la communauté internationale, il fait également l’objet de critiques, notamment concernant les intentions altruistes, de l’Australie, puisque révélant une tentative de cette dernière de contrebalancer l’influence chinoise, tout en améliorant ses propres capacités de sécurité et de défense dans le Pacifique.

Un modèle pour la France et ses collectivités du Pacifique ?

Pont de Mouly sur l’atoll d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, également confronté à la montée de eaux. Nouvelle Calédonie Travel

L’Union Falepili illustre donc l’interconnexion croissante entre les enjeux climatiques et les stratégies géopolitiques à l’échelle mondiale. Pas de réfugiés ni d’asile climatique donc, mais plutôt une mobilité climatique matérialisée par des accords bilatéraux mutuellement bénéfiques. Cette initiative pourrait donc inspirer d’autres nations comme la France, si l’on en croit Catherine Colonna.

Cependant, la ministre a souligné qu’elle préférerait « voir le changement climatique être contrôlé et maîtrisé », ajoutant qu’« une action préventive est peut-être meilleure que de prendre certaines mesures correctives quand il est trop tard ». Elle a par ailleurs rappelé que la taille du continent australien était bien plus propice à l’accueil de petits nombres de déplacés climatiques que le sont, par exemple, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dont le système social et écologique pourrait se trouver mis à mal par un éventuel afflux de déplacés.

Autre point intéressant : en se concentrant sur une relocalisation envisageable dans les îles du Pacifique environnantes, la ministre semble pour l’instant écarter toute forme de mobilité climatique vers la France métropolitaine. Il est pourtant important de souligner que ces territoires insulaires sont eux aussi confrontés aux défis du changement climatique. Il est particulièrement manifeste en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à Wallis et Futuna, où le risque de submersion marine ne cesse d’augmenter. Cette situation critique incite les autorités à adopter des mesures préventives, notamment en imposant des surélévations dans les constructions, et à mener des opérations de restauration des écosystèmes marin et côtier afin de faire face à cette menace grandissante.

Que les accords de mobilité climatique restent à l’état de propositions ou deviennent une réalité prochaine en France et/ou dans ses territoires insulaires, ils soulignent l’urgence d’une réponse globale et coordonnée. Cette approche est essentielle pour affronter efficacement les multiples aspects de cette crise climatique, en prenant en compte non seulement ses conséquences géopolitiques, mais aussi ses répercussions sociétales et humanitaires. Cela met en lumière la nécessité d’une stratégie intégrée et multidimensionnelle pour gérer ces enjeux complexes et interconnectés.

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