À la suite des vagues estivales de canicules et d’incendies, l’urgence climatique s’est imposée au cœur de la rentrée politique. Le gouvernement doit y répondre dans un contexte où l’envolée du prix de l’énergie met à mal le pouvoir d’achat.
Face à cette double urgence, le temps est compté. L’action doit être rapide, mais aussi s’inscrire dans le moyen terme. Le pays n’est pas en ordre de marche pour atteindre ses objectifs climatiques en 2030. Ce quinquennat sera-t-il celui de la bifurcation ?
Viser le bon objectif de réduction d’émission en 2030
Depuis 2015, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) est la feuille de route fixant les objectifs climatiques du pays. Conformément aux engagements européens, elle vise la neutralité climat en 2050.
Pour atteindre la neutralité en 2050, l’UE a rehaussé en décembre 2020 son objectif intermédiaire, en visant une réduction de minimum 55 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, contre 40 % antérieurement. Or, la SNBC héritée du précédent quinquennat reste calée sur l’objectif intermédiaire de – 40 % en 2030.
Il y a donc urgence à mettre l’objectif national de la SNBC en cohérence avec les engagements européens qui nous obligent depuis bientôt deux ans. Et, encore plus, à accélérer le rythme de décarbonation de l’économie, ce qui n’a pas été fait durant le précédent quinquennat : après le reflux de 2020, les émissions ont rejoint en 2021 la tendance détectable depuis 2005 qui ne conduit pas à une baisse de 55 % en 2030.
Peut-on aller plus loin ? Le programme de la Nupes affiche un – 65 %, cohérent avec les recommandations des ONG regroupées dans le Réseau action climat (RAC), mais peu explicite sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Il y aurait là un débat à mener pour mieux éclairer nos choix collectifs.
Energie : le triptyque demande, renouvelables, nucléaire
L’utilisation d’énergie fossile étant à l’origine des trois quarts de nos émissions, l’accélération du volet énergétique de la transition écologique conditionne l’atteinte d’une réduction de 55 % des émissions en 2030.
Côté demande, la guerre en Ukraine et la mise à l’arrêt de la majorité des réacteurs nucléaires du pays ont contraint les pouvoirs publics à préconiser la sobriété. Mais l’action s’inscrit dans une logique de court terme : il s’agit de passer l’hiver en évitant un rationnement du gaz en cas d’interruption totale des livraisons russes. Or, la sobriété devrait s’inscrire dans une logique de moyen terme, comme dans les scénarios de l’organisme Négawat.
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Côté offre, il convient d’accélérer la substitution de moyens de production décarbonés aux sources d’origine fossile. En premier lieu, cela requiert d’accélérer le déploiement des renouvelables pour lesquels notre pays fait office de lanterne rouge au sein de l’UE. Le gouvernement s’est engagé à accélérer leur déploiement via une loi qui est loin de faire consensus dans sa formulation actuelle.
Cela implique de clarifier le rôle du nucléaire dont la quasi-totalité du parc va atteindre 40 ans dans les prochaines années. Prolonger la durée d’utilisation de ce parc exige un investissement estimé à 50 milliards d’euros par EDF. Renoncer à cet investissement en déclassant les réacteurs à mesure qu’ils atteignent 40 ans priverait le pays de la plus grande partie de ses moyens décarbonés, difficilement substituables par du renouvelable dans les délais impartis.
Le déploiement de nouveaux réacteurs de type EPR mérite un examen plus approfondi. Ne pouvant pas fournir d’énergie avant 2035, ce programme ne renforcera pas la sécurité énergétique durant les 15 prochaines années. Compte tenu de la dynamique de baisse des coûts des renouvelables et du stockage de l’électricité, il est douteux qu’il se justifie au plan économique. Des questions à débattre de toute urgence pour la bonne utilisation de nos ressources.
Amorcer le virage de l’agroécologie
En 2021, l’agriculture a été à l’origine d’un cinquième des émissions du pays, principalement du méthane et du protoxyde d’azote résultant des pratiques de culture et d’élevage. On les réduit en changeant les méthodes de production agricole.
La voie y conduisant est celle de l’agroécologie qui mise sur la diversité du vivant, les complémentarités entre le végétal et l’animal, la protection des sols pour stocker la matière organique, l’eau et le carbone. Les retombées de la guerre en Ukraine nous le rappellent avec force : l’objectif n’est pas de produire moins, mais mieux et de façon plus pérenne en accroissant la résilience des systèmes agricoles face au réchauffement du climat.
La France peine à engager le virage agroécologique et à mettre en place les orientations environnementales de la nouvelle PAC. Les émissions d’origine agricole ne reculent pas. Simultanément, la capacité du milieu naturel à absorber le CO2 de l’atmosphère décline depuis la moitié des années 2000. La forêt et les sols absorbant une proportion décroissante des émissions deCO₂. Les incendies de l’été accélèrent cette tendance et nous éloignent un peu plus de la neutralité climatique.
Pour contrarier ces contre-performances, il convient d’agir simultanément sur l’offre et la demande, avec une déclinaison par territoire, incontournable pour faire évoluer des modèles agricoles et alimentaires qui ne sont pas compatibles avec nos objectifs climatiques. Il faut simultanément réinvestir dans le couvert forestier en l’adaptant aux climats de demain.
Le choix crucial des bons instruments
Une fois recalée sur le bon objectif de 2030, la SNBC ne va pas nous placer automatique sur les bonnes trajectoires d’émission. C’est le choix des bons instruments qui sera déterminant.
Une grande partie des actions de réduction d’émissions ou de renforcement de la résilience face au réchauffement se conduit à l’échelle territoriale. Les outils existants de planification dans les régions et les municipalités ne jouent encore qu’un rôle secondaire. Ils doivent être solidifiés et surtout assortis d’instruments de suivi ex-post et de moyens financiers accrus. L’annonce par la Première ministre d’un Fonds vert doté 1,5 milliard destiné aux collectivités territoriales est un premier pas dans cette direction.
Au plan local comme national, la bonne utilisation de l’argent public devrait être réservée aux fonctions régaliennes : recherche et développement, infrastructures bas carbone, valorisation des services écosystémiques, réduction des inégalités, accompagnement des reconversions. Pour combattre l’insuffisance criante de ces investissements, il convient d’économiser sur nombre de subventions, y compris celles favorisant les « produits verts », qui génèrent des effets d’aubaine et contribuent souvent à accroître les inégalités sociales.
Appliquant le principe du pollueur payeur, la tarification carbone constitue, avec les normes, un instrument indispensable pour inciter tous les acteurs économiques à se détourner des énergies fossiles. La dynamique est ici européenne avec le renforcement du système des quotas de CO2. Un volet crucial est son extension à l’ensemble des émissions du transport et des bâtiments. Le gouvernement français devrait cesser de freiner ce volet de la réforme européenne.
Simultanément, comme le rappelle un récent rapport de l’OCDE, la remontée des prix de l’énergie a provoqué un accroissement des subventions aux énergies fossiles. Les mesures de protection du pouvoir d’achat face à l’envolée du prix du gaz, des carburants et de l’électricité amplifient ce mouvement. Il convient donc de cibler au maximum ces mesures sur les plus vulnérables dans le double souci de justice sociale et de limitation des incitations à l’utilisation des énergies fossiles.
La justice climatique, condition de l’adhésion citoyenne
Pour obtenir l’adhésion des citoyens, il ne suffit pas de raconter de beaux récits sur les bienfaits de la transition bas carbone ou de les effrayer en déclinant toutes les catastrophes climatiques à venir. Il faut appliquer des règles de justice fondées sur le triptyque pouvoir d’achat, emploi, résilience.
Les impacts des politiques climatiques pèsent plus lourd sur le budget des ménages pauvres ou éloignés des centres-ville. L’accélération de la transition bas carbone, notamment via la tarification carbone, exige en conséquence des mesures redistributives pour corriger les risques de baisse de pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables.
La transition bas carbone va provoquer une accélération des reconversions industrielles et agricoles. Leur financement est le parent pauvre des dépenses publiques fléchées vers cette transition. Anticiper et financer les reconversions professionnelles doit devenir un levier majeur de la planification écologique.
Le réchauffement climatique affecte plus sévèrement les populations qui ont généralement le moins contribué à l’augmentation de l’effet de serre et engendre de nouvelles inégalités. Comme le rappelle le 6ᵉ rapport du GIEC, ces impacts se durciront au fil des prochaines décennies, et ce quel que soit le scénario global d’émissions.
Ce quinquennat devrait donc développer massivement les actions d’adaptation accroissant notre résilience face aux impacts du réchauffement, un autre parent pauvre des politiques climatiques héritées du passé.