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Climatosceptiques et opposants aux OGM : erreurs sur les méthodes (2)

Mai Le/flickr, CC BY

Nous nous posions la question, dans un précédent texte, de savoir si la méfiance envers l’expertise scientifique, partagée par les climatosceptiques et les opposants aux OGM, était un argument suffisant pour mettre ces deux groupes dans le même sac.

Évoquons tout d’abord les controverses autour du climat. Il y a un accord de la plupart des scientifiques sur la réalité du changement climatique et sur son caractère massivement anthropogénique. Bien entendu, différents scénarios prévisionnels existent, dont la fiabilité dépend des assertions qui les sous-tendent, et que les scientifiques discutent précisément entre eux. L’extrême diversité des questions de recherche qu’embrasse le vocable « changement climatique » laisse évidemment place à de nombreuses controverses sur la validité de tel ou tel modèle de l’évolution des températures du globe depuis le Cénozoïque, ou bien sur la fonction mathématique représentant au mieux la fonte annuelle de la banquise, et ainsi de suite.

Cependant, il y a bel et bien consensus, au-delà des experts du GIEC, sur le schéma suivant : l’activité humaine depuis la révolution industrielle est causalement impliquée dans un changement général du régime du climat, lequel inclut une hausse de la température globale, une augmentation de la variance des températures et de la probabilité de précipitations extrêmes. Comme le conclut une étude évaluant 11 944 articles sur le climat entre 1991 et 2011, « le nombre d’articles qui rejettent le consensus sur le réchauffement climatique anthropogène est, en proportion de la recherche publiée, petit jusqu’à disparaître  » (vanishingly small).

Sélection naturelle

Un parallèle avec la biologie évolutive est ici éclairant : si les biologistes de l’évolution discutent sans relâche depuis des décennies de la pertinence du modèle darwinien d’évolution, du rôle respectif de certains processus évolutifs, de la forme générale de l’évolution, reste que tous admettent ceci : les espèces actuelles descendent toutes d’espèces anciennes qui remontent ultimement à une origine unique, et la sélection naturelle a été l’une des causes majeures de cette évolution.

De la même façon, le fait du changement climatique et le rôle du facteur humain ne font pas question pour les scientifiques, mais il s’agit pour eux de comprendre l’allure de ce changement et de préciser les mécanismes par lesquels les facteurs humains et non-humains ont eu un impact sur lui – sur ces deux points, il y a évidemment débats, la controverse étant la signature de la recherche vivante. Il y a toutefois dans ce second cas une considération supplémentaire que ne connaissent pas les biologistes de l’évolution : concernant le changement climatique, il s’agit avant tout de donner des indications pour aider les décideurs, et les humains en général, à éviter une catastrophe attendue…

« Ce n’est qu’une théorie », disent les détracteurs du changement climatique comme les créationnistes, en parlant de la science qu’ils contestent ; ils croient opposer théorie et faits, alors que, justement, dans les deux cas, il s’agit de la meilleure théorie que nous ayons pour expliquer certains faits (changement climatique d’un côté, diversité et adaptation des organismes de l’autre).

L’opposant aux OGM, lui, oppose rarement théories et faits ; mais il s’inscrit aussi contre un consensus d’expert. Prenons par exemple les risques que les OGM feraient porter sur la santé humaine. Ces 15 dernières années, aucun cas de maladie ou décès imputables aux OGM n’a été enregistré, alors qu’aux USA, des millions de gens consomment des aliments à base d’OGM. Au niveau des recherches menées depuis 20 ans, même constat : pas d’effet pathologique des aliments génétiquement modifiés sur la santé humaine, souligne un rapport de l’Association Américaine de Médecine. L’Union européenne a conclu pour sa part en 2010 que 500 études menées par des groupes de chercheurs indépendants n’ont pas trouvé de risque supplémentaire propre aux OGM par rapport aux aliments traditionnels.

Les rats de l’affaire Séralini. Jean-Etienne Minh-Duy Poirrier/Flickr, CC BY-SA

Ici, les opposants aux OGM s’arrêteraient de lire pour contester la valeur de ces expertises. Ils estiment en effet que les chercheurs qui les ont produites ne sont pas du tout indépendants des fabricants d’OGM, comme le soulignait Gilles-Eric Séralini lors de la controverse que son travail sur le maïs NK603 suscita. Et puis, soulignent-ils, on connaît bien les liens reliant les associations médicales professionnelles aux groupes pharmaceutiques ou agroalimentaires, qui au mieux frôlent le conflit d’intérêt, et au pire, s’avèrent de la pure corruption. « Et d’abord, quelle était la méthodologie de ces études ? Était-elle incontestable ? », questionnent-ils.

J’aurais tendance à les suivre. Sauf qu’à bien y regarder, le climatosceptique avance exactement les mêmes arguments : les expertises sont biaisées et les experts du GIEC s’entendent entre eux pour maquiller des données ou pratiquer l’omission volontaire (donc, déni du postulat d’indépendance des groupes de recherche). Là où les militants écologistes mettent en doute la méthodologie des recherches sur les OGM, les climatosceptiques renvoient, eux aussi, aux innombrables sites qui contestent les détails des calculs par lesquels nous retraçons les courbes de température du globe depuis 100 000 ans… Tous deux récusent donc l’autorité des experts – à tort ou à raison.

Et, sur le fond, tous deux auraient tort : pour contester une expertise scientifique, il faut être soi-même un expert, afin de comprendre la méthode et le bien-fondé des conclusions. C’est le principe même de l’évaluation par les pairs, qui conduit à l’acceptation ou le rejet de la publication d’un article dans une revue scientifique : seuls des pratiquants de la même discipline peuvent évaluer un travail de recherche dans leur domaine. Dire a priori qu’il est mal fait alors qu’on n’y connaît rien, c’est donc précisément mettre en doute l’idée même de l’expertise, à savoir qu’il existe une compétence spécifique pour aborder de manière scientifique un morceau de la réalité, en construisant des modèles adéquats, en sachant recueillir les donnés pour valider et calibrer ces modèles, et ultimement, en sachant reconnaître la portée et les limites des modèles en question.

Expertise non respectée

Autrement dit, dénoncer a priori la méthodologie utilisée dans des études qui convergent sur un consensus d’experts, au motif que ces experts sont accusés d’être a priori biaisés, c’est commettre le sophisme consistant à inverser le principe et la conséquence : si un autre expert peut démontrer que les expertises en question sont méthodologiquement invalides ou du moins très contestables, alors le fait du consensus va apparaître suspect, et on pourra ensuite se tourner vers une sociologie démystificatrice pour comprendre pourquoi ces chercheurs se sont ainsi comportés. Mais à l’inverse, on peut difficilement alléguer le soupçon d’un biais quelconque (au motif que nous paraît suspect l’avis en question – innocuité des OGM, réchauffement climatique anthropogène…) pour ensuite accuser la méthodologie… Procéder ainsi, c’est très exactement ne pas respecter l’expertise – l’un des piliers du travail scientifique et de l’ethos de la recherche – et donc faire preuve d’anti-science.

Pour développer : le soupçon plus ou moins étayé d’un conflit d’intérêt peut motiver subjectivement la recherche de failles empiriques ou méthodologiques dans une étude ; mais logiquement parlant, elle ne s’y substitue pas. Certes, il est probable que sans un tel soupçon – par exemple, le fait que des auteurs d’une étude financés par un groupe agroalimentaire n’ont pas intérêt à ce que leur étude conclue à la dangerosité du produit étudié – personne n’aurait analysé de manière critique l’étude en question, mais le soupçon lui-même n’est pas un argument recevable. De la même manière, si une dénonciation conduit quelqu’un à être convoqué par un juge d’instruction, la dénonciation elle-même ne prouve rien. C’est le travail du juge qui va mettre au jour l’existence de délits – ou pas. Par ailleurs, s’il y a davantage que du soupçon, si des faits de collusion ou de corruption sont établis, alors l’étude en question est invalidée ou retirée, mais c’est un autre cas de figure que ce qui m’occupe ici.

Alors, faut-il alors mettre le climatosceptique et l’anti-OGM dans le même camp de l’antiscience ? Ce serait une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui abhorrent autant les climatosceptiques que Monsanto – c’est-à-dire une bonne partie des sympathisants de l’écologie politique. Nous aborderons ce point dans un troisième article.

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