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Collision entre les orques et les bateaux : s’agit-il vraiment d’attaques ?

Un orque proche d'un bateau de pêche dans le détroit de Gibraltar.
Un orque proche d'un bateau de pêche dans le détroit de Gibraltar. Nacho Goytre/Shutterstock

Récemment, des navigateurs ont témoigné avoir été attaqués par des orques. Comme explication de ces comportements, l’attrait du jeu est évoqué. Mais une autre hypothèse fait également référence à la vengeance d’une femelle nommée Gladis (diminutif de gladiateur) qui aurait été percutée par un bateau et qui, maintenant, mènerait son clan dans un « combat » contre les humains.

Que se passe-t-il exactement ? Peut-on réellement parler d’attaques ? Les navigateurs ou pêcheurs sont-ils vraiment en danger ?

Depuis 2020, il a été recensé plus de 500 interactions initiées par les orques, principalement contre des voiliers, dans la péninsule ibérique et en particulier dans le Détroit de Gibraltar. Elles viennent pousser les bateaux, créant une très forte appréhension des skippers, et aussi parfois des dégâts matériels sur la coque.

Même si c’est déjà trop, seulement trois bateaux ont été coulés et heureusement, à ce jour, aucune personne n’a été attaquée et blessée physiquement par une orque.

Des orques présentées comme des dangers de l’océan

Sur ce sujet, tout le monde donne son avis, même sans expérience des océans et sans connaissance des cétacés. On assiste, au cours du dernier mois, à une multiplication d’articles et de reportages dont la majorité présente les orques comme les réels dangers des océans. Les éléments de langage sont brutaux, à l’image de leur nom anglo-saxon « killer whale » (baleine tueuse).

Mais pourquoi ce discours alarmiste, pourquoi nous inciter à percevoir les orques de cette façon ? Peut-être parce que certains voudraient les rajouter sur la liste des espèces nuisibles. D’autres voudraient ainsi justifier des représailles par « légitime défense », comme faire machine arrière pour heurter ces cétacés, jeter des kilos de sable au moment de leurs passages sous la coque, klaxonner à tout-va pour tenter de les faire fuir au risque d’endommager leur audition, ou leur mettre une balle en pleine tête, comme cela a été constaté pour l’orque qui a remonté la Seine en mai 2022.

Le bateau du skippeur Sébastien Destremau endommagé par des orques (Le Parisien).

Aujourd’hui, rien n’indique que ces interactions vont cesser prochainement, tant les témoignages continuent d’affluer. Et qu’avons-nous appris ? On sait maintenant que ces orques sont issues de plusieurs familles. Elles peuvent rester parfois plus de 40 minutes autour des bateaux, avec toujours le même scénario : approche rapide et intentionnelle, début d’appuis et de chocs sur la coque, avec, semble-t-il, une attirance toute particulière pour mordre et arracher le safran (partie du gouvernail d’un navire).

Un projet de sciences participatives pour observer les orques

Tout cela a été documenté avec des photos et des vidéos. Moi qui crois beaucoup en la science participative, me voilà servi. Ainsi, si vous vous rendez sur la zone, n’oubliez pas de charger votre smartphone ! Et filmez, sans prendre de risque (c’est-à-dire en vous tenant fermement), l’arrivée des orques, leurs comportements pendant l’interaction, y compris celles qui resteraient à distance, et continuez à les filmer quand elles partent. Vous pouvez faire un rapport sur l’interaction sur le site de la Cruising Association pour aider la communauté scientifique.

Si vous avez un hydrophone (microphone étanche), profitez-en pour enregistrer leurs émissions sonores. Vous serez surpris par la diversité et la beauté de leurs vocalisations, leurs sifflements et leurs clics. Vos observations sont précieuses, car elles vont permettre de mieux comprendre leurs motivations et donc de résoudre la première énigme : la cause. Car les hypothèses restent jusqu’à maintenant spéculatives : est-ce un jeu, un apprentissage ou une vengeance ?

Bande annonce du film Orca de Michael Anderson.

Cette dernière idée n’est pas nouvelle puisqu’elle était à la base du célèbre film Orca de Michael Anderson paru en 1977. Comme l’écrit Camille Brunel dans son livre « Éloge de la baleine » : « est-ce qu’on vit les derniers moments de leur incroyable indulgence ? » Car en tant qu’humain, conscient du sort qu’on inflige volontairement à la Nature, on aimerait tellement que les animaux se révoltent, montrent leur colère, nous en veuillent.

Pour les cétacés, il y aurait de quoi, car la liste des activités anthropiques impactantes est longue : pêcheries, pollution plastique, réchauffement climatique, trafic maritime, prospection pétrolière, explosion, sonar militaire, éoliennes en mer. Il ne s’agit pas de s’opposer idéologiquement sans discernement à nos activités en mer, mais d’évaluer scientifiquement leur effet négatif, qui va de simples dérangements aux échouages.

Cela passe par l’observation continue de l’état biologique des milieux marins. La finalité est clairement de réguler intelligemment les activités économiques, en tenant vraiment compte de l’écologie et pour ne plus mettre les océans en péril. Le temps du pillage incontrôlé des ressources naturelles et des destructions volontaires des habitats sans stratégie de réhabilitation devrait être révolu, pour que le concept d’« océan durable » ne soit pas à un oxymore.

D’ailleurs, en ce qui concerne l’extraction minière des grands fonds marins, le moratoire, soutenu notamment par la France, semble aller dans le bon sens, car justifié par le peu voire l’absence des connaissances actuelles des écosystèmes à ces profondeurs et des impacts importants inhérents à la technologie envisagée aujourd’hui.

Des animaux sentients et d’une étonnante intelligence

Pour les cétacés, il faut également rajouter, à cette liste, la chasse toujours d’actualité. Nous avons même capturé les orques et les avons enfermées dans des bassins avec comme seul but de nous amuser. Aussi, une volonté de revanche serait logique et attendue. Et même si jusqu’à maintenant, cela n’a pas été prouvé scientifiquement, on pourrait néanmoins considérer cette hypothèse, tant les orques sont étonnamment intelligentes. Êtres sentients (c’est-à-dire capables d’avoir de l’empathie, de ressentir des émotions, de la douleur), elles savent prendre des décisions et innover, c’est-à-dire s’adapter en trouvant et développant elles-mêmes une compétence dans une situation donnée.

Leur culture s’exprime, d’ailleurs, via des signatures sonores propres à leur clan, ou à travers leur grand nombre de stratégies de chasse incroyables pour accéder à leurs proies, comme, par exemple, s’échouer volontairement sur la plage pour attraper des otaries ou se coordonner pour créer une vague suffisante afin de déstabiliser le phoque réfugié sur un bout de banquise. Cette culture est transmise d’adultes à des juvéniles ; on parle de transmission culturelle verticale.

Sur ce nombre incroyablement élevé d’interactions avec les orques depuis 2020, il faut aussi admettre qu’il est dû aux nouvelles technologies qui nous permettent de prendre si facilement de grandes quantités de photos datées et géolocalisées. Il s’explique aussi par notre propre motivation pour la communication massive et instantanée sur les réseaux sociaux. Nous sommes de plus en plus d’observateurs en mer, prêts à tout poster directement sur nos comptes Internet. Car pour tout dire, les relations humains-cétacés ne datent pas d’hier, révélées par des légendes et des récits de tout temps. Et même si, sur les 90 espèces de cétacés, la majorité est discrète ou se tient éloignée des activités humaines, quelques-unes se rapprochent intentionnellement, comme, par exemple, les grands dauphins, les globicéphales, les baleines grises ou les baleines à bosse.

Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que ces situations opportunistes ne sont pas guidées pour assouvir une fonction vitale (comme obtenir de la nourriture) mais plutôt dans une volonté de nous observer. Et pourquoi pas, peut-être même de vouloir rentrer en contact avec nous. Alors, il ne faudrait surtout pas mettre fin à ces échanges, mais au contraire les soutenir pour aller encore plus loin. C’est d’ailleurs ce que certains musiciens, comme Jim Nollman et David Rothenberg par exemple, ont cherché à faire en établissant une communication interespèce. Aussi, plus que de nous faire peur, voir les orques venir à nous devrait nous faire rêver, nous porter vers de nouvelles considérations d’échanges avec les animaux et de nouvelles opportunités de nous réconcilier avec la nature.

Finalement, cette question d’attaques des orques ne reflète-t-elle pas notre perception du vivant, et la place que nous réservons aux espèces non humaines ? Avec notre culture occidentale, depuis l’Antiquité, nous nous sommes convaincus de notre unicité en nous appropriant des facultés intellectuelles et sociales et en en excluant systématiquement les animaux, en leur refusant autoritairement un langage, une sensibilité, des sentiments.

À l’image de la célèbre éléphante Happy du Zoo du Bronx qui n’a pas été légalement reconnue avoir une personnalité, c’est bien le statut de l’animal qui est abordé dans ce débat. Allons-nous continuer à nous considérer supérieurs ? Pourquoi s’autoriser à aller nager avec les orques et refuser qu’elles s’approchent de nous ? Allons-nous continuer à leur distribuer des bons ou de mauvais points, comme c’est le cas dans les médias actuellement ?

En France, il aura fallu attendre 2015 pour que soit écrite dans le code civil la notion d’êtres vivants doués de sensibilité et que certaines espèces, dont les orques, soient protégées par notre droit de l’environnement. Car ne l’oublions pas : aujourd’hui et demain, il s’agit de tout faire pour sauver les cétacés et leur milieu naturel. Toute action, toute décision doit être prise pour les défendre, quitte à accepter ces dégâts matériels sur nos bateaux et à collectivement prendre en charge leur indemnisation comme contre partie de nos impacts sur les océans. Il est grand temps d’avoir une perception positive de la nature pour mieux la respecter, en nous laissant guider par notre éthique et par la morale.


Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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