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Comme les humains, les babouins coopèrent avec le concept du « donnant-donnant »

Groupe de babouins sur une branche.
Les babouins sont capables de comportements que l'on pensait réservés aux humains. Anthony Formaux, Fourni par l'auteur

Les humains, adultes et enfants, coopèrent naturellement dans de nombreux contextes. Par exemple, lorsqu’un enfant prête ses devoirs à un camarade pour l’aider, il peut s’attendre à ce que son camarade en fasse autant la fois d’après : c’est la réciprocité. Si cela ne se produit pas, il pourrait être tenté de changer de camarade pour la prochaine fois : c’est le choix du partenaire.

Ces deux mécanismes sont particulièrement importants chez l’humain pour stabiliser la coopération : d’une part, la réciprocité (ou « donnant-donnant ») fait que nous sommes plus enclins à coopérer avec les individus avec qui nous avons déjà réussi à coopérer par le passé et d’autre part, le choix du partenaire fait que nous changeons de partenaire lorsque la coopération avec l’un ne nous semble pas satisfaisante. Les humains coopèrent donc de façon stratégique, en adaptant leurs comportements en fonction de leurs coûts et des bénéfices qu’ils entraînent.

Les études des primates non-humains montrent que les singes ont aussi tendance à coopérer dans certains contextes. Par exemple, les chimpanzés chassent en groupe et partagent le fruit de la chasse entre eux. Cependant, il est difficile de savoir si les singes coopèrent de manière stratégique par la simple observation de leurs comportements et jusqu’à présent les expériences ne permettaient pas de fournir un contexte propice à l’émergence et au maintien de la coopération.

Quand les babouins coopèrent

En utilisant un nouveau dispositif expérimental permettant à des babouins de Guinée de participer librement à une tâche de coopération avec le partenaire de leur choix et sur de longues périodes, notre équipe du Laboratoire de Psychologie Cognitive (CNRS, Université Aix-Marseille) a montré, dans une expérience réalisée à la station de primatologie de Rousset du CNRS, que des babouins de Guinée sont capables de coopérer en utilisant des stratégies de donnant-donnant et de choix du partenaire, tout comme l’humain. Les résultats de cette démonstration expérimentale, réalisée en utilisation un dispositif innovant, viennent d’être publiés dans la revue Science Advances.

Dans un enclos de la station de primatologie, centre de recherche spécialisé dans l’étude du comportement des primates, une vingtaine de babouins de Guinée vivant en groupe ont un accès libre et volontaire à 10 dispositifs expérimentaux automatisés. Lorsque les babouins y accèdent, ils se retrouvent face à des écrans tactiles sur lesquels apparaissent des tâches variées, auxquelles ils peuvent répondre pour obtenir de la nourriture. Ces dispositifs sont organisés par paire : lorsqu’un babouin rentre seul dans un dispositif, il participe à une tâche individuelle. Si deux babouins rentrent dans deux dispositifs voisins, ils peuvent participer à une tâche coopérative, dans laquelle ils pourront travailler ensemble pour être récompensés. Pour cela, ils peuvent voir l’écran du voisin, ce qu’il choisit, et même ce qu’il récupère.

Dispositif expérimental dans lequel les babouins peuvent coopérer pour récupérer de la nourriture.
Dispositif expérimental dans lequel les babouins peuvent coopérer pour récupérer de la nourriture. Anthony Formaux, Fourni par l'auteur

La tâche coopérative proposée aux babouins lors de cette expérience était la suivante : un des deux singes participants, le « donneur », pouvait choisir soit une image permettant de récompenser son partenaire « receveur » (choix prosocial), soit une autre image qui ne le récompensait pas (choix égoïste).

D’un essai à l’autre, les rôles étaient choisis aléatoirement, le donneur pouvant devenir le receveur et vice versa. Si les singes sont capables de garder en mémoire et d’utiliser leurs interactions avec un partenaire donné, le « donneur » aura donc tout intérêt à faire le choix prosocial, dans l’espoir que le « receveur » fasse le même choix lorsque les rôles seront inversés, permettant de maximiser les gains de chacun et leurs chances de continuer à interagir.

L’expérience comportait deux niveaux de difficulté : dans le premier, le donneur était systématiquement récompensé, quel que soit son choix ; dans le second, il n’était jamais récompensé en tant que « donneur » ; sa récompense ne pouvait donc provenir que d’un choix prosocial réalisé par son partenaire plus tard au cours de l’expérience.

Dans cette expérience, certains singes ont, après quelques essais, atteint des proportions de choix prosociaux très élevés qu’ils ont maintenus tout au long de l’expérience, suggérant qu’ils ont rapidement compris l’intérêt de coopérer.

De plus, lorsque la tâche est devenue plus difficile et qu’ils ne pouvaient plus être récompensés que lorsqu’ils étaient receveurs, ils ont commencé à adapter leurs comportements en fonction de leurs précédentes interactions. La probabilité qu’un individu fasse le choix prosocial était ainsi plus importante si son partenaire avait également fait le choix prosocial précédemment, et la probabilité qu’il quitte le dispositif pour chercher un autre partenaire était plus importante si son partenaire avait précédemment fait un choix égoïste.

Mêler observation dans la nature et expériences scientifiques

Dans la nature, les babouins de Guinée coopèrent pour de nombreuses raisons dans des contextes variés : pour se défendre contre des prédateurs ou contre d’autres groupes, pour assurer la protection des plus jeunes individus, mais également pour garantir le déplacement coordonné de plusieurs centaines d’individus.

Les résultats de notre étude montrent que les babouins de Guinée sont, comme les humains, aussi des coopérateurs stratégiques, ils peuvent coopérer dans un contexte nouveau et sont capables de moduler finement leur comportement en fonction de leurs interactions passées et de leurs partenaires pour maintenir la coopération au sein du groupe.

Pour comprendre le fonctionnement d’un comportement, il est ainsi nécessaire d’intégrer différentes approches observationnelles et expérimentales. Tandis que les observations des comportements animaux dans la nature permettent de comprendre ce qu’ils leur procurent dans leur environnement naturel, les études expérimentales courtes et isolées permettent de déterminer les prédispositions spontanées des animaux à développer ces comportements.

Notre nouvelle approche permet de compléter celles déjà existantes en répondant à la question : comment ces comportements se développent et se maintiennent dans un environnement à haute fréquence d’interaction ? De futures études utilisant des contextes similaires chez d’autres espèces de primates devraient pouvoir renforcer cette intégration, en plus d’améliorer nos connaissances sur l’origine phylogénétique de la coopération stratégique humaine.

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