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Comment font les arbres pour se protéger des insectes ?

Une chenille de bombyx disparate (Lymantria dispar) sur une feuille de chêne. Andreas März/Flickr, CC BY

6 % environ, c’est la part de surface de feuilles d’arbres consommée chaque année par les insectes herbivores, comme la chenille processionnaire du chêne ou le bombyx disparate. Cette proportion, déjà suffisante pour ralentir la croissance des arbres, pourrait bien augmenter avec le réchauffement climatique.

Face à ces dérèglements, les arbres mettent en œuvre des stratégies de régulation pour se défendre. Tandis que la demande en bois ne cesse d’augmenter – que ce soit pour l’ameublement, le chauffage, la construction ou la production de carton et de papier –, il apparaît indispensable d’identifier la manière dont les arbres pourront faire face aux dégâts croissants que risquent de leur causer les insectes herbivores.

Des défenses naturelles

Dans leur constitution, les arbres sont déjà munis de solides défenses vis-à-vis des insectes herbivores. Leurs feuilles, par exemple, sont dotées de propriétés physiques et chimiques limitant la consommation des insectes : une cuticule épaisse rend ainsi la feuille difficile à déchirer et à digérer.

Sur le plan chimique, les feuilles renferment également une grande quantité de composés (des tanins notamment), capables de nuire aux herbivores de diverses façons, en réduisant par exemple l’activité de leurs enzymes digestives ou, tout simplement, en les intoxiquant.

D’autres acteurs jouent un rôle primordial bien qu’indirect dans la stratégie de défense des arbres : par leur consommation d’herbivores, les prédateurs comme la mésange et les parasitoïdes comme les trichogrammes (dont les larves se nourrissent dans le corps d’un autre insecte, le mangeant de l’intérieur) diminuent aussi la pression herbivore sur les arbres.

Certains prédateurs participent à la défense des arbres en attaquant les insectes herbivores. Vincent van Zalinge/Unsplash, CC BY-SA

Impact des dérèglements climatiques

Ces mécanismes de défense naturelle sont aujourd’hui perturbés par le réchauffement climatique, dont les effets affectent directement arbres, herbivores et prédateurs. Pour quelques degrés de plus, les feuilles poussent plus tôt dans l’année. Pour quelques degrés de trop, en été, la survie des arbres peut être menacée.

Chez les insectes, les hivers plus doux limiteront probablement la mortalité hivernale, au risque d’augmenter les pullulations, donc les dégâts massifs : les températures plus élevées accélèrent en effet le développement des insectes, à un rythme qui atteint parfois plusieurs générations par an.

Faute d’expérimentation facile, il s’avère compliqué d’anticiper précisément les conséquences du réchauffement climatique sur les dégâts causés par les insectes herbivores.

Dans le but de les comprendre, plusieurs études ont été menées en laboratoire, dans des chambres de culture à la température contrôlée ; elles ont toutefois leurs limites. Elles simplifient à l’extrême la diversité des facteurs en jeu et ne peuvent pas rendre compte de l’ensemble des interactions entre les arbres, tous les herbivores et tous les prédateurs naturellement présents dans les écosystèmes.

Cette chenille herbivore, qui mange les feuilles des arbres, imite les serpents pour éloigner les prédateurs. John Flannery/Flickr, CC BY-SA

Latitudes et défenses chimiques des feuilles

Une autre approche consiste à caractériser les effets du climat actuel en réalisant des observations le long de grands axes géographiques, et de transposer dans le temps ce que l’on observe dans l’espace.

Prenons un exemple : dans l’hypothèse où le climat de la France serait demain celui de l’actuelle Espagne, on peut supposer que la régulation des dégâts d’insectes herbivores aujourd’hui à l’œuvre en Espagne sera la même, demain, en France.

En suivant ce raisonnement, de nombreux chercheurs ont étudié les dégâts d’insectes herbivores, les défenses des arbres, ou encore l’activité des prédateurs, le long de grands gradients latitudinaux, des régions tropicales vers les régions polaires en passant par les zones tempérées.

Dans une étude publiée en 2018, nous avons ainsi mis en relation les dégâts d’insectes herbivores sur le chêne pédonculé avec les défenses chimiques des feuilles le long d’un gradient allant du nord de l’Espagne au sud de la Suède.

Près de 60 % des feuilles présentaient des dégâts d’insectes en Espagne, contre 30 % en Suède, mettant ainsi en lumière une diminution des dégâts d’insectes du sud vers le nord de l’Europe. En parallèle, la majorité des défenses chimiques (notamment les tanins) étaient plus concentrées dans les feuilles au Nord qu’au Sud.

Des chenilles en pâte à modeler

En s’en tenant à cette étude, on est tenté de conclure que les arbres sont menacés par le réchauffement climatique parce qu’il leur ferait perdre leur capacité à produire des défenses chimiques ; et donc subir davantage de dégâts de la part des herbivores.

Une telle conclusion est néanmoins caricaturale. Et des travaux menés par des chercheurs de l’université de New South Wales à Sidney ont montré que tous les cas de figure existent quant à la relation entre latitude et défenses des plantes contre les herbivores. Il n’y a donc pas lieu d’en tirer des généralités.

Une autre hypothèse apparaît alors. Si les défenses des plantes ne suffisent pas à expliquer l’effet du climat sur les dégâts d’insectes, les défenses indirectes jouent peut-être un rôle. Dans une étude pilotée à l’échelle mondiale, des universitaires ont utilisé des chenilles en pâte à modeler pour mimer de véritables chenilles, afin de tromper les prédateurs. Ces derniers, naïfs, se sont jetés sur ces leurres, y imprimant des traces de becs, de dents ou de mandibules.

Or, l’expérience a montré que la quantité de fausses chenilles attaquées par les prédateurs augmentait quand on avançait des pôles vers l’équateur. Peut-on en conclure que le nombre de prédateurs augmente à mesure que le climat se réchauffe, assurant un meilleur contrôle des dégâts d’insectes herbivores ? Les auteurs de l’étude restent très prudents, mais la piste mérite d’être creusée.

Anticiper les changements

Dans ce contexte, nous avons lancé en 2018, avec une équipe de chercheurs d’Inrae Bordeaux et en collaboration avec des universitaires de toute l’Europe, un projet scientifique comportant un volet participatif.

Il s’agit d’étudier simultanément les effets du climat sur les défenses des chênes et sur l’activité des prédateurs, en exposant des chenilles en pâte à modeler dans les arbres. Des écoliers, collégiens et lycéens de six pays se sont joints à nous.

Des chercheurs ont mis dans la nature de fausses chenilles pour attirer les prédateurs. Bastien Castagneyrol, Author provided

Nous avons d’ores et déjà pu vérifier que les élèves, sous certaines conditions, peuvent fournir du matériel biologique ou des données exploitables par les chercheurs. Nous cherchons maintenant à faire parler ces données. Il s’agit notamment d’évaluer l’importance relative des différents mécanismes qui régulent les dégâts d’insectes sur les arbres, mais aussi d’étudier la manière dont les sciences citoyennes peuvent être utilisées à l’école dans les enseignements scientifiques.


Le projet de recherche « Tree Bodyguards » dans lequel s’inscrit cette publication a bénéficié du soutien de la Fondation BNP Paribas dans le cadre du programme Climate and Biodiversity Initiative.

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