Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Des milliers de personnes défilent en France chaque année, « gilets jaunes » ou non, pour réclamer d’être enfin un peu plus entendues dans le débat public, et surtout prises en compte.
Et si leur prise de parole pouvait être améliorée et décuplée par l’outil numérique ? Nos expérimentations d’outils de débat numérique sur le débat ont mis en évidence que la formalisation et le recours à l’intelligence artificielle (IA), apportent aux débats une rationalité servant leur efficacité.
Ainsi, le débat numérique sera un facteur d’intervention sur la vie démocratique s’il permet à un plus grand nombre de citoyens de participer directement au débat public et s’il évite les biais que l’on rencontre actuellement dans le débat en présence et les sites de discussion.
L’écueil du débat traditionnel
Comme il est difficile de suivre un débat contenant les interventions d’un très grand nombre de participants, il serait alors souhaitable de développer une intelligence artificielle qui assiste chacun dans l’étude et la poursuite des débats.
Le travail de rationalisation, de formalisation et le recours à l’IA dans le débat numérique doit montrer qu’elle est une auxiliaire efficace et maîtrisée. Nous allons introduire cette démarche et ses outils en l’illustrant sur les débats de l’éco-rencontre Terre de convergence qui a eu lieu du 13 au 18 août à Attuech (30).
Un art de bien calculer
L’argumentation est liée à la logique, l’« art de penser correctement », à la rhétorique « art de bien parler » et à la dialectique « art de bien dialoguer » mais n’est pas à ce jour « un art de bien calculer ».
Pourtant deux opérations de calcul, l’indexation et la classification, servent à structurer les arguments d’un débat. Indexer un argument revient ici à déterminer parmi tous les termes de la langue française ceux qui lui sont associés. Le classement des arguments d’un argumentaire les regroupent en sous-classes caractérisées par les termes communs les indexant. Les méthodes d’intelligence artificielle utilisées ici traitent de manière égale les arguments. Elles dévoilent l’incomplétude de l’argumentaire par des regroupements d’arguments, apparaissant impertinents aux participants, et qui les incitent à compléter l’argumentaire par de nouveaux arguments ou par une indexation plus précise des arguments déjà présents ; il n’y a pas ici de possibilité de suppression d’arguments.
C’est une démarche scientifique classique qui est ici utilisée pour les arguments des débats. Le scientifique fait le travail de correction de ses argumentaires, il le fait en rapportant sur les productions de ses pairs et en guidant ses doctorants, mais il ne peut pas le faire systématiquement sur les arguments d’un débat science/société s’il n’a pas de moyen pour repérer ceux qui concernent précisément ses savoirs.
La formalisation mathématique des débats numériques porte en particulier sur ces processus d’indexation des arguments et de classification car elle doit montrer pourquoi les techniques utilisées sont capables de guider efficacement les participants à préciser et compléter l’ensemble des arguments.
La formalisation mathématique du débat numérique fait appel aux topos pour fonder les méthodes de l’intelligence artificielle servant à la structuration des débats.
Les débats de terre de convergence
L’éco-rencontre Terre de convergence est un projet porté par le ministère de la transition écologique et solidaire. Environ 2 000 personnes et 200 associations y ont participé. Ces rencontres et l’usage d’outils numériques collaboratifs ont pour objectif d’initier une mise en réseau des acteurs locaux de la transition.
Les débats de terre de convergence portent sur les questions concernant : énergie, environnement, déchets, alimentation, solidarité…). Ils prennent en considération les dimensions du développement personnel et de la vie collective, du local et du global, et du politique allant de la participation réelle des citoyens à l’interpellation permanente des représentants. Les débats numériques ont préparé et vont poursuivre les débats en présence en en élargissant l’auditoire.
Des débats marquent la volonté des citoyens de participer à la prise de décision dans la transition territoriale, un moratoire pour la 5G, l’habitat en collectif, ou encore La transition énergétique contexte et enjeux.
Les participants se sont aussi penchés sur des thèmes a priori plus éloignés : situation des peuples dits « premiers », thème rendu encore plus d’actualité par les incendies en Amazonie. Et enfin sur le numérique collaboratif.
Pour comprendre l’intervention du numérique et de l’IA dans le débat numérique, nous vous invitons à un débat sur un texte d’Edgar Morin.
Le survivalisme en exemple
Pour illustrer l’intervention de l’IA, considérons un argument tenu dans ce débat concernant le survivalisme.
Le logiciel d’indexation IDEFIX est fondé sur un logiciel d’acquisition de données sur le web, JeuxDeMots. IDEFIX va servir à indexer cet argument à partir de tous les termes de la langue française s’y associant dans le contexte des débats de « Terre de convergence » et ainsi il va permettre au participant de savoir comment son argument est en lien avec les autres arguments de tous les débats indexés par un des mots associés.
Montrons la succession des opérations qui vont servir à indexer l’argument comme relevant du thème survivalisme.
Texte de l’argument = « Le survivalisme est la fin de la vie en collectivité pour revenir à des petits groupes excluants la vie en société »
Termes de l’argument = * survivalisme * fin de la vie en collectivité * revenir à * petits * grouper * groupes * petit groupe * excluants * excluant * vie en société
Contexte dans l’eco-rencontre (max=30) = * fin de la vie en société | 3.257 * groupe de personnes | 2.585 * catastrophe naturelle | 2.242 * crise sanitaire | 2.155 * effondrement de la civilisation industrielle | 2.044 * survivalisme | 1.867 * crise économique | 1.702 • th=0.5 • min=10 • max=20 • nb idées=1326
« Survivalisme » n’était pas au départ un terme présent dans le contexte de l’argument. Aussi une technique d’apprentissage par renforcement est utilisée pour le faire remonter dans le classement ainsi que d’autres termes qui remonteront en même temps que lui.
Termes pour indexer l’argument : groupe • fin de la vie en société • groupe de personnes • catastrophe naturelle • crise sanitaire • effondrement de la civilisation industrielle • survivalisme • crise économique • vie • survivaliste •
Eliminer les coïncidences erronées
Pour cerner davantage la complétude de l’argumentaire, WEBRA, un logiciel d’apprentissage automatique déposé par le CNRS, réalise une analyse formelle de concept, il signale des coïncidences entre des termes indexant les arguments du débat en cours. Quand un débat a peu d’arguments, il produit de nombreuses coïncidences erronées comme la suivante : petits_groupes_finis+ et survivaliste+. On sait alors qu’il faut enrichir l’ensemble des arguments de manière à éliminer cette coïncidence erronée. C’est ainsi qu’elles donnent des points d’entrée efficace à un approfondissement rapide du débat.
De nombreux débats publics concernent des questions comme celles de la transition territoriale due au changement climatique, ils sont largement ouverts au public et ils impliquent de relier les arguments des citoyens, des associations, des politiques et des scientifiques.
Pour le déroulement de tels débats, il faut une intelligence artificielle qui compense l’impossibilité humaine de tout lire, indexer et classer. Cependant les méthodes de cette IA doivent vérifier des principes mathématiques rendant les arguments égaux dans leur traitement. De plus cette IA doit prouver sa capacité d’apprendre des arguments afin de solliciter à bon escient des interventions des participants au débat (elle n’intervient donc pas dans le débat).