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La complexité du cerveau. Alina Grubnyak/Unsplash

Comment notre cerveau guide nos habitudes

Apprendre à programmer et re-programmer les habitudes et comportements automatiques est un défi scientifique majeur. Les avancées de la recherche sur la plasticité du cerveau ont de larges implications, notamment pour les sciences de la santé visant à vaincre les comportements nocifs, tels que les dépendances et les comportements obsessionnels-compulsifs. Elles peuvent également permettre des innovations considérables dans les programmes de formation visant l’amélioration des comportements automatiques, notamment les compétences impliquées dans la communication, les activités sportives ou encore le violoncelle ou le piano.

Nocivité des habitudes

Les habitudes sont des comportements automatiques, récurrents et souvent inconscients. Elles sont inscrites dans le tissu de notre vie : ce sont elles qui nous permettent d’accomplir automatiquement des routines complexes tandis que nos pensées, notre attention et nos actions délibérées sont dirigées vers d’autres tâches. Pourtant, les habitudes peuvent être immensément destructrices, appuyant des comportements inadaptés comme l’usage de drogues ou le maintien de dépendances comportementales. Au sein de l’Union européenne, comme un peu partout dans le monde, les systèmes de santé sont confrontés à un nombre croissant de personnes souffrant de dépendances comportementales. Les réflexions se multiplient pour trouver des moyens d’aider les personnes concernées à surmonter leurs « mauvaises habitudes ».

Nous avons tous, par moments, besoin de « formater » certaines habitudes, un peu comme on formate un disque dur pour y inscrire de nouveaux éléments. Changer de comportement habituel se révèle nécessaire dans notre communication verbale et non verbale lorsque nous passons d’un environnement social à un autre, comme le déménagement d’une petite ville à une grosse agglomération, ou le passage d’une formation supérieure à un environnement de travail. Dans ces situations, remodeler notre comportement automatique est nécessaire pour s’adapter à un environnement nouveau ou modifié.

Apprentissage et mémoire

Le but de mes recherches est d’acquérir une compréhension mécanique de l’évolution des comportements habituels, du stade de l’acquisition à celui de la reconfiguration. Pour ce faire, nous examinons les processus d’apprentissage et de mémoire qui sous-tendent l’apprentissage et la redéfinition des habitudes. Dans mon laboratoire, nous nous appuyons sur des méthodes de neuropsychologie, de psychologie du développement et de neurosciences cognitives. Par exemple, nous nous servons de la stimulation cérébrale non invasive pour étudier la relation causale entre le cerveau et le comportement, et nous utilisons l’électroencéphalographie afin de voir les oscillations cérébrales pendant les processus d’apprentissage et de mémoire.

Des recherches récentes ont montré que les réseaux neurocognitifs qui sous-tendent l’apprentissage et la mémoire peuvent interagir de façon coopérative ou concurrentielle. Un vaste corpus de recherches menées dans différents laboratoires – y compris le mien – a démontré que les fonctions exécutives et de contrôle – dépendantes du lobe frontal – plus faibles, étaient associées à de meilleures performances d’apprentissage statistique. Cela peut être interprété comme le marqueur d’une relation concurrentielle-antagoniste entre les processus contrôlés et spontanés.

En d’autres termes, il existe une concurrence entre les processus de vérification d’hypothèses et les processus d’apprentissage automatiques, motivés par la présence d’un stimulus. Puisque le cortex frontal est responsable des fonctions de contrôle, et des processus de vérification des hypothèses (un type de pensée) et que les structures sous-corticales sont responsables des comportements spontanés et automatiques, la plus grande implication des premiers processus entrave l’apprentissage d’habitudes et de nouvelles compétences.

Par exemple, nous avons constaté que l’apprentissage de séquences probabilistes se révèle meilleur sous hypnose. L’hypnose est une manipulation expérimentale qui affaiblit les connexions fonctionnelles de la région du cortex frontal : elle réduit la fonction cognitive de contrôle. Certaines études suggèrent que les fonctions de contrôle diminuent tout au long de l’hypnose : en effet, nous avons pu observer une connectivité fonctionnelle plus faible dans des régions frontales du cerveau. L’hypnose pourrait donc stimuler les processus d’apprentissage sous-jacents à la formation d’habitudes.

Une séance d’hypnose médicale. Infirmiers.com, CC BY-NC

Connectivité cérébrale

Des études antérieures avaient révélé une concurrence entre les différents processus neurocognitifs qui sous-tendent l’apprentissage des habitudes et des compétences. Mais la communication neuronale des régions cérébrales associées (connectivité fonctionnelle) n’avait pas été réellement étudiée. L’an dernier, nous avons cherché à combler cette lacune en étudiant la connectivité fonctionnelle du cerveau qui favorise les processus d’apprentissage chez les humains avec une électroencéphalographie de haute densité avec 128 canaux.

Nous avons mesuré et analysé la connectivité fonctionnelle entre les régions corticales pendant les premières, deuxièmes et troisièmes périodes de la tâche d’apprentissage. Plus la connectivité des régions cérébrales antérieures était faible, meilleure était la performance d’apprentissage implicite. Ces corrélations ont augmenté au fur et à mesure que l’apprentissage progressait.

Le résultat est intéressant car cette région du cerveau est liée à l’accès à la représentation en mémoire. Cela signifie que lorsque nous ne pouvons pas accéder à notre mémoire – au matériel précédemment appris – nous pouvons apprendre de nouveaux modèles de notre environnement, donc de nouvelles compétences ou de nouvelles habitudes.

Les représentations de notre mémoire à long terme, notre connaissance du monde, peuvent inhiber totalement l’apprentissage de nouvelles compétences et habitudes. Nos résultats démontrent que les réseaux dynamiques antagonistes du cerveau jouent un rôle important dans l’apprentissage.

Remodelage des comportements devenus automatiques

En résumé, la compréhension des systèmes d’apprentissage et de mémoire qui sous-tendent les habitudes et les comportements automatiques peut nous amener à penser de nouvelles méthodes et techniques pour stimuler non seulement l’apprentissage mais aussi le remodelage de nos comportements automatiques. Des méthodes comportementales et neuroscientifiques pourront stimuler le remplacement d’anciennes habitudes par de nouvelles. Au-delà de leur signification scientifique fondamentale, ces résultats ouvriront la porte à des solutions translationnelles telles que le développement de nouvelles formations comportementales, de nouvelles techniques de psychothérapie et de nouvelles thérapies pharmacologiques afin de surmonter les anciennes habitudes et de formater les comportements automatiques !


Cet article a d’abord été publié sur le journal de RFIEA, Fellows n°54. Édition et traduction Aurélie Louchart. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site Fellows.

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