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Conflit Hamas-Israël : les enjeux pour l'Égypte

A convoy of trucks carrying aid supplies for Gaza from Egypt heads to the Rafah crossing on October 16, 2023. KHALED DESOUKI/AFP via Getty Images

Alors que la crise entre Israël et le Hamas se poursuit, l'Égypte fait l'objet d'une attention toute particulière. L'Égypte a une frontière commune avec Israël et Gaza, l'étroite bande de territoire palestinien qui fait actuellement l'objet d'un blocus à la suite de la violente attaque du Hamas contre Israël, une organisation islamiste radicale qui contrôle Gaza depuis 2007. _ Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à Ofir Winter, qui étudie la politique égyptienne et le conflit israélo-arabe, de donner des éclairages sur ce que signifie cette nouvelle guerre pour l'Egypte et le rôle qu'elle joue._

Quelles ont été les relations entre l'Égypte, Israël et la Palestine dans le passé ?

L'Égypte joue un rôle d'équilibriste dans la gestion des relations entre Israël et la Palestine.

L'Égypte exprime ouvertement son engagement en faveur de la cause palestinienne. En effet, la quête d'autodétermination de la Palestine est une cause arabe et islamique centrale. De plus, en raison de la proximité géographique, toute escalade à Gaza aura un impact direct sur les intérêts nationaux de l'Égypte.

Cette position se reflète dans sa réaction à la flambée de violence entre Israël et le Hamas. Après les meurtres et les enlèvements meurtriers de civils israéliens innocents par le Hamas au début du mois, les membres du parlement et les médias publics égyptiens ont présenté Israël comme l'agresseur et le Hamas comme la victime.

Conformément aux évènements précédents, on peut s'attendre à ce que l'Égypte prenne plusieurs mesures pour manifester sa solidarité avec les Palestiniens. Il s'agit notamment de la fourniture d'une aide humanitaire à Gaza, de l'évacuation de certains blessés vers des hôpitaux égyptiens et d'un rôle accru dans les efforts de médiation en vue d'un cessez-le-feu. Ces mesures font de l'Égypte un acteur clé dans le conflit et contribueraient à renforcer sa position régionale et internationale.

Cependant, l'Égypte ne veut pas non plus s'aliéner Israël. En fin de compte, les deux pays ont un intérêt commun : ils ne veulent pas voir la résurgence de l'islam politique dans la région. Cela est lié à la propre expérience de l'Égypte en matière d'organisations islamistes.

Le régime actuel de l'Égypte a évincé les Frères musulmans en 2013 et les a mis hors la loi. La confrérie est une organisation islamiste transnationale, fondée en Égypte en 1928. Ses objectifs sont de promouvoir le changement social et politique dans les pays à majorité musulmane. Après le printemps arabe en 2011, la confrérie a détenu le pouvoir en Égypte pendant un an avant d'être évincée.

Le Hamas est issu des Frères musulmans, c'est pourquoi l'Égypte le perçoit comme une menace.

Mais malgré la méfiance de l'Égypte à l'égard du Hamas, il existe depuis 2017 un accord entre les deux pays : la coopération du Hamas dans la lutte contre le terrorisme dans le Sinaï serait assortie d'un assouplissement du blocus égyptien sur la bande de Gaza.

Bien que la nature des relations entre l'Égypte et Israël soient conciliantes, elles ne sont pas chaleureuses. L'Égypte a signé un un accord de paix avec Israël en 1979. Au cours de la dernière décennie, Israël s'est positionné comme un partenaire politique, sécuritaire et économique clé de l'Égypte.

Ces dernières années, l'Égypte a joué un rôle de médiateur entre Israël et le Hamas et dans les efforts de reconstruction de Gaza. Cela s'explique par sa proximité avec Gaza et par le fait qu'elle contrôle le point de passage de Rafah, la seule frontière avec la bande de Gaza qui ne soit pas sous contrôle israélien.

Mais l'implication de l'Égypte dans la bande de Gaza est soumise à certaines limites qui ne seront pas franchies.

Il n'y aura pas d'engagement militaire égyptien contre Israël au profit des Palestiniens, une politique qui découle principalement de l'engagement de l'Égypte envers l'accord de paix de 1979 entre Israël et l'Égypte.

Ces dernières années, l'Égypte a joué un rôle de médiateur entre Israël et le Hamas et dans les efforts de reconstruction de Gaza. Cela s'explique par sa proximité avec Gaza et par le fait qu'elle contrôle le point de passage de Rafah, la seule frontière avec la bande de Gaza qui ne soit pas sous contrôle israélien.

Il n'y aura pas non plus d'entrée massive de Gazaouis en Égypte, selon les déclarations du président Abdel Fattah el-Sisi et d'autres responsables égyptiens.


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Comment la crise actuelle affecte-t-elle l'Égypte ?

L'Égypte a jusqu'à présent rejeté l'idée que des Palestiniens déplacés s'installent dans le Sinaï. Mais il est possible qu'un grand nombre de Gazaouis cherchent à entrer dans le pays. Cette situation est distincte de celle des habitants de Gaza de nationalité étrangère qui attendent à la frontière pour traverser.

L'Égypte s'oppose à ce que les habitants de Gaza franchissent la frontière en grand nombre, car elle s'oppose à tout empiètement sur sa souveraineté dans la péninsule du Sinaï. Elle craint surtout que les Palestiniens déplacés n'établissent une résidence permanente sur son territoire, ce qui risquerait de compromettre une situation sécuritaire et économique déjà délicate.

La situation représente également un risque important pour la sécurité de l'Égypte.

Tout d'abord, les violations de frontières par des réfugiés de Gaza, dont certains peuvent être des individus armés affiliés au Hamas ou à d'autres groupes radicaux, pourraient exporter l'instabilité dans le Sinaï. Pour l'Égypte, il existe un risque de voir se multiplier les attaques terroristes et l'instabilité, comme c'était le cas dans le Sinaï avant l'accord de 2017 avec le Hamas. Certains de ces attentats ont été perpétrés par des cellules militantes bien armées et entraînées basées à Gaza.

Deuxièmement, un coup dur porté au Hamas pourrait entraîner un manque de gouvernance, le chaos et l'instabilité à Gaza. Cette instabilité pourrait donner lieu à la contrebande d'armes et de combattants le long de la frontière entre l'Égypte et la bande de Gaza.

L'autre menace pour la sécurité est que des actes terroristes pourraient être lancés depuis le Sinaï vers Israël par des groupes militants palestiniens, ce qui mettrait en péril les relations délicates entre Israël et l'Égypte.

Comment l'Égypte a-t-elle réagi et que doit-elle faire maintenant ?

Depuis le début de la guerre, l'Égypte s'efforce de désamorcer la situation à Gaza et mène des pourparlers avec Israël, le Hamas, l'Autorité palestinienne, les États-Unis, l'Iran et d'autres acteurs régionaux et internationaux.

La Ligue arabe s'est déjà réunie au Caire et une conférence internationale devrait avoir lieu en Égypte le 20 octobre. L'Egypte cherche également à établir un corridor humanitaire pour l'acheminement de nourriture et de médicaments vers la bande de Gaza.

À ce stade, l'Égypte a plus de contrôle que la plupart des autres acteurs internationaux régionaux sur l'issue du conflit, et a beaucoup d'intérêts à préserver.

L'issue du conflit pourrait apporter certains avantages. Par exemple, l'Égypte souhaite le retour de l'Autorité palestinienne, qui est plus disposée à s'engager dans la diplomatie et les négociations, en tant qu'autorité dirigeante à Gaza. Un scénario dans lequel le Hamas serait considérablement affaibli pourrait ouvrir la voie à de nouveaux développements, incluant éventuellement le retour progressif de l'Autorité palestinienne. Dans ce cas, l'Égypte et Israël pourraient trouver un voisin plus pragmatique de l'autre côté de leurs frontières.

Si le Hamas perd le pouvoir à la fin de la guerre, l'Égypte sera très probablement impliquée dans la phase de transition gouvernementale. Comme au cours des dernières années, l'Égypte devrait être le canal par lequel l'aide et les fonds des pays arabes et de la communauté internationale seront transférés à Gaza, participer à son processus de reconstruction et être un facteur d'influence dominant pour façonner son avenir.

This article was originally published in English

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