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Le poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close

Les portes fermées du poste-frontière de Rafah. Photographie prise le 10 octobre 2023.
Les portes fermées du poste-frontière de Rafah. Photographie prise le 10 octobre 2023. Saïd Khatib/AFP via Getty Images

Le siège de la bande de Gaza, décrété par Israël après l’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre dernier, a suscité l’inquiétude au Caire. L’Égypte partage avec Gaza une frontière de 12 km et contrôle le point de passage de Rafah, qui est la principale voie de sortie pour les quelque 2 millions de personnes vivant dans la bande de Gaza.

Moina Spooner, de The Conversation Africa, a interrogé le sociologue Lorenzo Navone, qui a effectué de nombreux travaux de recherche au cours des dix dernières années, sur l’importance de ce poste-frontière qui, à ce stade, demeure fermé.


Que représente le poste-frontière de Rafah pour l’Égypte et pour la bande de Gaza ?

La région orientale de l’Égypte, le Sinaï, est limitrophe à la fois d’Israël et de Gaza. C’est entre le Sinaï et Gaza que se trouve, à Rafah, l’un des deux principaux postes-frontière à travers lesquels les Gazaouis peuvent sortir de la bande – et le seul qui n’est pas directement administré par Israël.

C’est une ouverture vitale pour la survie des habitants de Gaza. Depuis 2007, Israël impose à la bande de Gaza un blocus terrestre, maritime et aérien, doublé d’un embargo. Cette mesure fait suite au retrait des Israéliens de la bande de Gaza en 2005 et à la victoire du Hamas aux élections de 2006.

Dans les faits, l’Égypte a soutenu et continue de soutenir le blocus israélien. En effet, la frontière de Rafah est étroitement contrôlée par les forces égyptiennes, et ne s’ouvre que de manière imprévisible et ponctuelle.

La bande de Gaza et ses environs. Cliquer pour zoomer. PeterHermesFurian/GettyImages

Gaza dépend entièrement de l’aide humanitaire internationale, du travail des quelques Palestiniens autorisés à travailler en Israël et des tunnels creusés sous la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza. Pour l’Égypte comme pour Israël, ces tunnels constituent une menace car ils peuvent être utilisés pour la contrebande d’armes et l’infiltration de terroristes.

Le blocus a eu un impact dramatique sur la vie des habitants de Gaza. Ils n’ont pas accès aux droits fondamentaux, notamment à la nourriture, à l’éducation, à l’emploi et à la santé.

Depuis près de 20 ans, la bande de Gaza est, selon l’expression consacrée, une prison à ciel ouvert. Le poste de Rafah revêt donc une importance considérable pour les Palestiniens, car il constitue l’un des rares points d’accès pour la circulation des personnes, des marchandises et de l’aide humanitaire aussi bien vers Gaza que depuis Gaza. Il permet aux Palestiniens de maintenir des liens vitaux avec le monde extérieur et d’accéder à des ressources essentielles. Son fonctionnement joue un rôle essentiel dans l’atténuation des difficultés auxquelles les habitants sont confrontés en permanence.

Qu’implique pour Rafah l’enchaînement des événements que l’on a observé depuis le 7 octobre dernier ?

Le déclenchement de la guerre actuelle entre, d’une part, Israël et, d’autre part, le Hamas et d’autres factions palestiniennes, met en lumière trois éléments essentiels :

  • l’importance du point de passage de Rafah pour la stabilité de la région et pour les Palestiniens de Gaza ;

  • l’expulsion potentielle des Palestiniens de Gaza ;

  • et l’ambiguïté de la posture de l’Égypte à l’égard du peuple palestinien.

Tout d’abord, bien que le poste-frontière de Rafah soit le seul moyen de quitter la bande de Gaza, il est fermé plus souvent qu’il n’est ouvert depuis près de 20 ans. Or n’oubliez pas qu’un poste-frontière doit a priori fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Les ouvertures étaient sporadiques et les conditions de délivrance d’une autorisation de passage étaient peu claires. On ne sait pas non plus qui gère le point de passage et qui décide de son ouverture.

Ces dernières années, les habitants de Gaza ont très largement dépendu, pour leur subsistance, du fonctionnement du point de passage de Rafah et des tunnels. C’est encore plus vrai aujourd’hui : il s’agit d’une véritable ligne de vie pour eux dans le contexte actuel.

Deuxièmement, une ouverture humanitaire du point de passage signifierait probablement l’arrivée en Égypte de milliers de Palestiniens déplacés. Mais l’Égypte ne sera pas disposée à les accueillir car elle craint qu’ils restent sur son territoire de manière permanente.

Enfin, la question de la difficulté à accepter les Palestiniens fuyant Gaza met en évidence la position ambiguë de l’Égypte à leur égard. Parmi les pays arabes limitrophes d’Israël et des territoires palestiniens occupés, l’Égypte est le seul à ne pas avoir autorisé l’établissement de camps de réfugiés palestiniens sur son territoire, contrairement à la Syrie qui accueille plus de 500 000 réfugiés, à la Jordanie qui en accueille 2 millions, et au Liban qui en accueille plus de 200 000.

Dans leurs discours officiels, les autorités égyptiennes s’opposent à l’expulsion des Palestiniens de Gaza et les soutiennent dans leur lutte visant à obtenir un État souverain.

Mais l’Égypte est un pays surpeuplé à l’économie fragile qui refuse de voir un afflux de personnes pauvres sur son territoire. Depuis 1948, on estime (bien que ces chiffres fassent l’objet de débats) qu’il y a environ 80 000 Palestiniens qui résident en Égypte. La plupart d’entre eux n’ont pas de droits civiques et vivent en dehors de tout cadre de protection juridique et humanitaire.

Que devrait faire l’Égypte, compte tenu de la complexité de la situation ?

Au moment où nous parlons, la situation est très volatile, mais je crois que l’Égypte ne gère rien du tout : en fait, elle apparaît plutôt comme un spectateur passif des événements en cours.

Si l’on exclut le scénario, très improbable, d’une intervention militaire égyptienne pour stopper l’assaut israélien sur Gaza (ce qui pourrait déboucher sur une guerre régionale de grande ampleur), l’Égypte n’a que deux options.

Premièrement, utiliser toutes les voies diplomatiques à sa disposition pour négocier un cessez-le-feu. Ce sera extrêmement compliqué car Israël perçoit la bande de Gaza et tous ses habitants (y compris les mineurs, les femmes et les personnes âgées) comme une menace existentielle, ce qui signifie qu’il n’a pas l’intention de suspendre la guerre ni d’écouter qui que ce soit.

Deuxièmement, fournir une aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza en empruntant des corridors sûrs. Israël a coupé l’électricité, le gaz, l’Internet et l’eau à Gaza avant son assaut. Gaza est donc actuellement en proie à une panne totale d’électricité et à la famine.

À l’heure actuelle, le principal risque, que l’Égypte doit garder à l’esprit au moment de prendre sa décision, est celui d’un nombre de pertes humaines colossal parmi la population gazaouie.

This article was originally published in English

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