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Conseil des ministres franco-allemand : un report sur fond de ralentissement économique européen

Drapeaux allemand et français
L’Allemagne comme la France a fait appel à la solidarité européenne face aux difficultés économiques actuelles. Shutterstock

Le jeudi 19 octobre dernier, on apprenait qu’un conseil des ministres franco-allemand était reporté à janvier, ce qui constitue un vrai malaise alors que nous allons fêter le 60e anniversaire du traité de l’Élysée, destiné à sceller la réconciliation, en 2023. Il est explicitement notifié que des problèmes logistiques et des désaccords sur la déclaration commune franco-allemande, en particulier sur des questions de défense et d’énergie, expliquent ce report. Les relations franco-allemandes sont-elles si mal en point ?

Le contexte est d’abord agité avec la guerre en Ukraine qui a ébranlé toute l’Union européenne d’un point de vue de ses approvisionnements : énergétiques, surtout en Allemagne, mais aussi alimentaires et sur le marché des matières premières. La poussée inflationniste qui en résulte (10 % en Allemagne et 5,6 % en France), met aujourd’hui à mal le fragile équilibre social et politique dans les États-membres.

France et Allemagne, quasi simultanément, en appellent ainsi à la solidarité européenne. La France la demande en présentant un budget très déficitaire et un endettement massif en croissance continue, loin des exigences du Traité de Maastricht et des attentes de nos partenaires de la zone euro. La France actionne ainsi actuellement un bouclier tarifaire pour les particuliers et les petites entreprises pour faire face à la hausse des prix de 100 milliards d’euros environ.


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L’Allemagne, très dépendante du gaz russe, demande quant à elle une solidarité européenne pour faire face aux difficultés d’approvisionnements énergétiques (relance de la construction d’un gazoduc Espagne-Allemagne que refuse la France) et répondre rapidement à des tensions sociales fortes, qui se sont par exemple traduites par une forte poussée de l’extrême droite lors des élections en Basse-Saxe en septembre dernier.

Aussi le gouvernement a-t-il décidé, fin septembre, de soutenir massivement ses entreprises et ses ménages avec une enveloppe financière de 200 milliards d’euros, ce qui a suscité des incompréhensions au niveau européen alors que, au prorata des économies françaises et allemandes, il n’est pas très différent du plan français.

La « rente implicite » française

Mais il y a surtout un changement radical de la donne économique et sociale en Allemagne qui doit, en France, être pris très au sérieux. Lors des Journées de l’économie à Lyon, le 14 novembre 2013, Mario Monti, sénateur et ancien premier ministre d’Italie, s’était interrogé sur la place que la France s’était construite « à l’abri » de l’Allemagne dans la zone euro. Pour Mario Monti, la France se trouve dans une sorte de « nirvana », avec une forme de « rente implicite », car l’Allemagne ne peut abandonner la France sans briser l’édifice de l’euro et de la construction européenne. Il trouvait cette posture « fort dangereuse ».

En effet, depuis la création de la zone euro, les excédents extérieurs allemands (232 milliards d’euros en 2018), mais aussi néerlandais, irlandais et même italiens (39 milliards en 2018) permettaient de compenser nos déficits extérieurs (76 milliards en 2018 mais un déficit attendu pour 2022 de plus de 130 milliards d’euros, soit le double).

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Certes, nos services compensent en partie les déficits de la balance commerciale mais la position extérieure de la France reste déficitaire. Ainsi en juillet 2022, le déficit des transactions courantes, qui inclut les services (excédent des services à 5,6 milliards d’euros), s’est creusé à 5,3 milliards d’euros. Le compte financier français enregistre enfin en juillet 2022 une sortie nette de capitaux pour 12,7 milliards d’euros.

Les excédents allemands nous permettaient de profiter d’une monnaie européenne forte sans en supporter le coût. En effet comment, avec un taux d’industrialisation d’environ 13 % (contre 20 % en Italie et 25 % en Allemagne), bâtir une économie et une industrie compétitive à l’international ? Comment avec des déficits extérieurs, un endettement en forte croissance, alimenté par un déficit budgétaire récurrent, susciter la confiance sur les marchés financiers ?

L’Allemagne nous y aidait, et elle y trouvait aussi son intérêt puisque le marché français restait très favorable en termes de pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, bien que reposant en partie sur de la dette ! Ainsi, pendant plus de 20 ans, la France s’est cachée sans fierté derrière l’Allemagne. Et Mario Monti posait la vraie question d’actualité aujourd’hui : « comment peut-on être un des vrais leaders dans la construction européenne sans ce surplus de sens de responsabilité et d’activisme ? ».

L’érosion du « soft power économique »

La guerre en Ukraine ainsi que la crise énergétique et alimentaire qui en découle – avec une inflation qui atteint des niveaux jamais atteints en zone euro – sonnent le glas de cette posture. La balance des transactions courantes de la zone euro, excédentaires ces dix dernières années, est maintenant déficitaire. Le taux d’intérêt des emprunts français à 10 ans dépasse désormais les 2,5 %, ce qui est un plus haut niveau atteint depuis janvier 2014.

De son côté, l’industrie allemande subit de plein fouet la hausse du prix du gaz et des matières premières, les faillites de petites et moyennes entreprises (PME) et industries (PMI) se succèdent à un rythme élevé. L’Allemagne, avec la fermeture de ses marchés en forte croissance, dont la Russie et dans une moindre mesure la Chine, subit ainsi un choc de compétitivité sans précédent. Ses comptes extérieurs passent au rouge avec un déficit commercial d’environ un milliard d’euros en mai 2022, du jamais vu depuis 1991 ; son « soft power économique » sur les marchés financiers s’érode rapidement. C’est la survie de l’euro qui est en jeu in fine car le modèle économique de la zone euro, porté par les excédents allemands, ne fonctionne plus dans le contexte actuel.

Face à une Allemagne qui voit son moteur économique de la zone euro se ralentir, ses excédents extérieurs fondre, que peut faire la France ? Assurément, ne pas laisser filer ses déficits et accroître sa dette. Il n’est plus possible de se cacher derrière l’Allemagne. Or, la France va devoir encore lever 270 milliards de dettes l’an prochain sur les marchés financiers !

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