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Convention citoyenne pour le climat : la démocratie participative vue de l’intérieur

Des membres de la Convention citoyenne pour le climat quittent l'Élysée après une entrevue avec Emmanuel Macron, le 29 juin 2020. Ludovic Marin/ AFP

Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) sont clos. Les 150 citoyens tirés au sort ont rendu leurs propositions, selon les cinq axes thématiques qui leur avaient été proposés : se déplacer, consommer, se loger, produire-travailler, se nourrir (dans l’ordre du rapport).

Cet exercice inédit, d’ores et déjà repris à l’étranger (en Grande-Bretagne), soulève de très nombreuses questions. Comme spécialistes et experts des questions environnementales, certains parmi nous n’étaient pas les derniers à être dubitatifs, tandis que d’autres étaient franchement enthousiastes. Or, il nous a été permis d’occuper une place privilégiée d’observateurs de ce processus.

Du fact check d’expert

L’Institut de la transition environnementale Sorbonne Université (SU-ITE) a en effet soutenu bénévolement la Convention en assurant avec des collègues, principalement de l’Institut des politiques publiques et Paris Dauphine/PSL un « fact-checking ». Il s’agissait de produire des éléments factuels en réponse aux questions des groupes de travail. Ce travail s’est fait sans entrer en relation directe avec les 150 citoyens, mais par l’intermédiaire des animateurs de la Convention Citoyenne.

Il fallait en effet éviter que nos propres opinions (ou postures de sachants) puissent influencer les groupes de travail. Nous ignorions ainsi les discussions dans lesquelles ces questions s’inscrivaient et quels débats les suscitaient.

Il nous avait été demandé de contextualiser lorsque cela semblait utile, et suggérer les liens avec d’autres questions déjà posées, et avec les travaux dans les autres groupes de réflexion. Les questions allaient de la recherche de chiffres bruts ou de questions binaires (quel est le tonnage annuel de telle ou telle production ; est-il permis en l’état du droit de faire ceci ou cela) à des questions complexes auxquelles aucune réponse simple n’est possible.

Cet exercice de démocratie participative nous amène à quelques observations et réflexions, qui n’épuiseront pas le débat, et qui ne prétendent être ni une analyse sociologique ni de sciences politiques : des collègues qui assistaient aux débats produiront plus tard le résultat de leurs recherches, investigations et entretiens avec les citoyens.

Émergence d’une intelligence collective concrète

Les 150 personnes tirées au hasard avaient (et probablement gardent) des positions et des intérêts personnels très divers. Même si le fait d’accepter de participer à la Convention dénote un intérêt minimal pour la question climatique, les premières sessions introductives avec les climatologues ont constitué un véritable électrochoc.

Il est intéressant de noter que les propositions ont été votées, souvent avec de fortes majorités. Cela démontre que les 150 citoyens se sont approprié les enjeux du changement climatique, ont compris combien il était nécessaire de dépasser les intérêts personnels ou à court terme, pour limiter ses conséquences. Ils ont produit du consensus au-delà de ce que le débat public avait permis jusqu’ici.

Ils sont aussi allés plus loin dans le décloisonnement des problématiques que ne le fait habituellement la communauté scientifique (dont nous faisons partie) : les académies, le CNRS, les universités et toutes les Agences de l’État parlent le plus souvent de voix multiples et spécialisées, ne produisant pas une cohérence d’ensemble.

Il est frappant de voir, en comparaison de certains commentaires de personnalités politiques ou publiques en général, à quel point les 150 ont acquis une grande maturité concernant les enjeux et les risques pour la société humaine : ceux qui dénoncent une « écologie punitive » dans les propositions n’ont pas compris que le changement climatique est comme une épidémie, mais qui ne s’arrêtera pas, à moins de pratiquer dorénavant toujours des « gestes barrières » au niveau individuel et collectif !

Expertise des 150 versus des experts

150 citoyens tirés au hasard ont démontré leur capacité à maîtriser les savoirs pluridisciplinaires nécessaires, devenant à leur tour des « experts ». Bien sûr, pour arriver à ce résultat, la Convention Citoyenne a eu recours à des experts, nombreux, divers et d’opinions parfois contrastées, qu’ils ont écoutés, avec qui ils ont débattu.

Nous avons constaté que le niveau des questions a démontré une compréhension croissante des enjeux et des éléments apportés par les experts auditionnés. Il n’y a eu aucune autocensure de la part des citoyens dans l’étendue des questionnements, allant au-delà du champ cerné de chaque expertise. C’est la preuve éclatante de la puissance des sciences participatives, à l’opposé d’une vision élitiste ou plus fermée de travaux menés par des professionnels et spécialistes, ou avec des ONG, à l’exemple du Grenelle de l’environnement ou des États généraux de l’alimentation.

Ce qui est original dans la Convention, et pour nous positif, c’est que, dans le principe, ce ne sont pas les experts qui se sont adressés « aux gens », ce sont « les gens » qui ont interpellé les experts pour produire leur propre réflexion. Le sens a été inversé, ce qui est probablement porteur pour la démocratie.

Le fonctionnement de la Convention doit cependant être analysé : y a-t-il des biais induits par l’organisation, les conseils/comités qui l’ont supervisée, ou autres ? Les scientifiques qui ont suivi son déroulement donneront leur analyse. Cependant, le fait même que le processus ait pu être suivi et étudié, que les débats aient été publics pour l’essentiel a permis une bonne transparence du fonctionnement. Ayant observé en spectateurs certains débats, nous avons pu constater la richesse et la diversité d’expression des membres de la Convention.

Des propositions applicables

Certains commentateurs les ont critiquées : « tout ça pour ça »… D’autres les ont estimées insupportables. Chaque spécialiste peut les trouver insuffisantes ou excessives dans son champ de compétence. Ce serait oublier que le mandat était de proposer des solutions concrètes, applicables, socialement justes pour que la société française réduise son impact sur le climat et l’environnement. Notamment, un point souvent oublié mais mis en avant par la CCC a été d’articuler les questions sociales et environnementales, tirant les leçons du mouvement des « gilets jaunes ».

La critique de l’absence de taxe carbone fait comme si c’était là une mesure qui fait l’unanimité alors que ce n’est pas le cas : elle est critiquée y compris par des économistes progressistes comme Thomas Piketty ou Jacques Richard. La Convention a fait le choix respectable de ne pas traiter ce sujet.

De plus, la Convention a travaillé dans un cadre très limité temporellement : ce contexte a conduit à définir des groupes thématiques, sans permettre de recroiser les groupes pour consolider la cohérence d’ensemble. L’analyse des propositions pourrait faire l’objet d’analyses systémiques plus poussées afin de consolider leurs impacts positifs, et, s’il y en a, réduire les impacts négatifs.

Cependant, que certaines propositions puissent être approfondies n’enlève rien aux fondamentaux qui les sous-tendent. Soulignons la valeur de l’exercice démocratique qui a été de délibérer sur des sujets complexes pour aboutir à des propositions précises et argumentées sujettes à un vote. Les 150 citoyens de la Convention, experts de leurs métiers mais aussi de leurs conditions de vie, ont montré le chemin pour une démocratie plus ouverte à tous, dans laquelle les décisions ne seraient plus prises au sein d’une « élite » trop souvent découplée de la vie réelle.

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