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Covid long : sous la tyrannie du diagnostic

Le 14 avril le journaliste et écrivain britannique, George Monbiot, a publié un article intitulé : « Il semblerait que je sois devenu un super-diffuseur du Covid long, juste parce que j’en ai parlé ». Peu de temps avant, Michael Sharpe, professeur de psychologie de l’université d’Oxford et fondateur d’une clinique de traitement du Covid long à cette université, avait en effet évoqué une « cause » un peu particulière de cette maladie : les informations diffusées dans les médias, et un article de Monbiot en particulier.

Dans son article, Monbiot note que Sharpe a dirigé un essai clinique de traitement du syndrome de fatigue chronique (SFC) reposant sur la combinaison d’une thérapie cognitive et comportementale et d’exercices, l’essai PACE. Or les résultats de cet essai, publiés en 2011, tendent à prouver que cette approche thérapeutique est très efficace et, implicitement, que le SFC est avant tout un syndrome psychosomatique. Et en insistant sur les similitudes entre le SFC et le Covid long, Sharpe soutient que le traitement de ce nouveau syndrome doit reposer sur les mêmes bases que celles de PACE.

Rendues publiques peu de temps après le scandale du « virus XMRV », les conclusions de PACE ont eu un retentissement important. En 2009, un groupe de chercheurs avait en effet annoncé que le SFC était fortement associé à la présence du nouveau rétrovirus, XMRV. Mais leurs résultats n’ont pas été reproduits, d’où un profond discrédit sur toutes les recherches portant sur les causes biologiques du SFC.

Les travaux de Sharpe et de son équipe, quant à eux, vont être contestés par des associations de malades de SFC, puis fortement critiqués par autres chercheurs. Aujourd’hui, leur approche thérapeutique n’est plus recommandée officiellement en Grande-Bretagne. Mais la polémique sur la nature de SFC reste ouverte. Sharpe et ses collègues continuent d’affirmer qu’il s’agit d’une condition à forte composante psychosomatique dont le traitement doit combiner une rééducation physiologique et un traitement psychologique, en ajoutant que le Covid long doit être traité de la même façon.

La difficulté à saisir la nature du Covid long découle de l’absence de signes diagnostiques univoques. Depuis le début du XXe siècle, la médecine occidentale moderne repose en effet sur la notion de « maladies spécifiques ». Le diagnostic précis d’une maladie est nécessaire pour décider du traitement et ouvrir les droits aux prestations sociales, mais aussi pour l’organisation des services de soins, les interventions préventives ou la planification des budgets de la santé.

En l’absence de tests permettant d’affirmer, avec un degré raisonnable de certitude, qu’un patient est bien atteint d’une maladie donnée, la prise en charge des malades devient compliquée.

Covid long : une entité aux contours flous

De nombreuses maladies virales ont des séquelles à long terme. Mais dans le cas du Covid-19, des situations très diverses sont observées, avec d’abord les séquelles de formes graves du Covid, et ensuite des « Covid qui durent ». Pendant des semaines, voire des mois, de nombreux malades continuent de présenter des symptômes semblables à ceux de la période aiguë de leur maladie.

Si la frontière entre les deux n’est pas toujours claire, l’entité « Covid long » est toutefois différente du « Covid qui dure ». Il ne s’agit plus de symptômes persistants, mais de manifestations nouvelles qui apparaissent plusieurs jours à plusieurs semaines après que le malade se soit considéré comme guéri. Ce que les deux universitaires britanniques, Elisa Perego et Felicity Callard, qui ont proposé le terme, voient comme une « condition multiphasique et cyclique » liée à un épisode initial de Covid-19.

Les deux scientifiques soulignent alors les similitudes avec le SFC – ce que pointe également dans une interview Antoni Fauci, un des experts nord-américains les plus en vue sur le Covid. Et notant qu’en cas de Covid long, il y a un lien évident avec une infection virale, Felicity Callard fait remarquer que le SFC pourrait enfin être classé parmi les syndromes post-viraux. Sharpe affirme toutefois le contraire, en soulignant qu’au vu de sa proximité avec le SFC, le Covid long devrait également être traité par une « réhabilitation fondée sur la psychologie. »

Le SFC et la FM : de « vraies » maladies ?

En France, la fibromyalgie (FM), une autre « maladie fondée sur les symptômes » et plus fréquente chez les femmes, a une visibilité bien plus grande que le SFC. Or elle est comme le SFC largement dévalorisée par une médecine hautement technicisée et fondée sur des interventions ciblées.

La reconnaissance du SFC et de la FM en tant que « maladies » ou « syndromes » distincts est toujours le résultat de négociations, étant fragilisée par la difficulté à expliquer leurs souffrances. La FM est caractérisée avant tout par la présence de douleurs chroniques diffuses, quand la grande intolérance à l’effort (physique, intellectuel ou émotionnel) marque plutôt le SFC, mais on compte aussi et surtout une majorité de hybrides.

En 2015, l’Institut de Médecine (IOM) de l’Académie de Sciences des États-Unis a recommandé un nouveau nom pour le SFC, en insistant sur sa particularité : la maladie d’intolérance systémique de l’effort (« systemic systemic exertion intolerance disease – SEID »). Tandis qu’en France, l’expertise collective de l’Inserm sur la fibromyalgie, publiée en 2020, met quant à elle l’accent sur la douleur chronique dans la définition de la FM.

La juxtaposition de ces deux documents illustre bien comment les interprétations de la biologie sont susceptibles de variations selon les pays – ce qui particulièrement vrai pour les maladies définies non pas par des tests biologiques, mais par des symptômes : seuls les Français parlent ainsi de « crise de foie ». Et les experts français reconnaissent qu’il est difficile de transposer directement des travaux faits dans des pays de langue anglaise à la France, en raison de différences culturelles importantes dans la définition des maladies fonctionnelles.

Un épuisement de perception changeante

La proportion importante de femmes, parmi les personnes atteintes de FM et de SFC, a certainement joué un rôle dans l’appréhension de ces maladies sous leur composante psychosomatique.

Au XXe siècle, après que la « neurasthénie » ait été interprétée comme un phénomène purement organique, lié à l’épuisement des réserves d’énergie mentale des hommes des classes supérieures, les interprétations psychologiques et psychiatriques ont pris le dessus : les phénomènes psychiques ont été considérés comme induisant les manifestations somatiques non spécifiques, notamment chez les femmes, considérées comme dépourvues de résilience mentale et incapables de faire face aux exigences de la vie moderne.

Ainsi, dans les années 1990, et après que l’on ait abandonné l’idée selon laquelle le SFC était initialement induit par une infection virale (Epstein-Barr), le médecin et historien de la médicine Edward Shorter, et l’écrivaine et critique littéraire féministe Élaine Showalter, ont soutenu qu’il s’agissait d’une forme moderne d’hystérie…

Covid long en France : malades et médecins

Les malades atteints de « Covid qui dure » ont commencé à discuter de leur situation sur les réseaux sociaux au printemps 2020. En majorité des femmes relativement jeunes, dont le Covid a été souvent peu sévère, les malades ont décrit une apparition cyclique de symptômes : douleurs, essoufflement, grande fatigue, sensations étranges.

En l’absence de tests positifs au SARS-CoV-2, les médecins ont eu tendance à attribuer ces symptômes au stress et à l’anxiété, suscitant la révolte de certains malades. D’autant que sans reconnaissance officielle de leur « maladie » ou « syndrome », il ne peut y avoir prise en charge dans un parcours de soin.

Quelques consultations spécialisées dans le traitement du Covid long ont bien été organisées, mais sans que leur capacité d’accueil ne permette de répondre à l’afflux des demandes. Et en dehors de ces situations, les médecins se sentent souvent désemparés face au Covid long, leur formation les préparant mal à la prise en charge d’une « souffrance sans maladie. »


Read more: Covid-19, quand les symptômes persistent : que sait-on des formes longues de la maladie ?


Le 17 février 2021 l’Assemblée nationale a finalement adopté une résolution appelant le gouvernement a renforcer l’action contre les formes graves et longues du Covid-19.

Notons que le texte ne précise pas s’il concerne uniquement les séquelles directes des formes de Covid sévère, confirmables par un test diagnostique, ou s’il inclut également les symptômes fluctuants et changeants du Covid long. C’est toutefois cette dernière interprétation que retient Pauline Oustric, présidente de l’association « ApresJ20-Association Covid Long ».

Selon ses dires, la reconnaissance du Covid long comme entité distincte « mettrait en exergue le fait qu’il s’agit d’une maladie qui existe et pas d’un problème psychosomatique » et serait le début de sa prise en charge par la société. Une déclaration qui relie le Covid long à un demi-siècle de débats sur le SFC – vu par les un comme une véritable maladie, et par les autres comme un problème psychosomatique.

L’expertise collective de l’Inserm sur la FM souligne l’importance de considérer un modèle « biopsychosocial » pour cette maladie. Mais dans la pratique, la médecine occidentale continue d’être dominée par un modèle biomédical et une « tyrannie du diagnostic ». Or si les patients ne nient pas les liens entre le physique et le psychique, ils refusent de considérer que le problème est avant tout « dans leur tête », étant convaincus que leurs souffrances psychiques sont la conséquence et non la cause de leurs symptômes somatiques.

L’histoire mouvementée du SFC en témoigne, et l’on devrait s’en inspirer pour le Covid long : sans un accord de tous les acteurs sur la nature d’une pathologie, il est impossible de construire des relations de confiance entre soignants et soignés.

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