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Militants du Hamas lors d'une manifestation au Brésil
Le régime de contrôle financier actuel ne parvient pas à empêcher une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français. Flickr/Tarciso, CC BY-SA

Cryptomonnaies, comptes en ligne, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises

Par un arrêté en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :

« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »

Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de Yahya Sinouar, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les dirigeants du mouvement à la tête de la bande Gaza ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE) ?

En effet, un règlement du Conseil européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du règlement d’exécution n° 2022/147. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peut être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.

La voie des néo-banques

Formellement, le Hamas ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…

Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.

Vue du ministère de l’Économie dans le quartier de Bercy à Paris
Ces dernières semaines, Bercy a adopté des arrêtés visant à geler les avoirs qui seraient détenus en France par deux dirigeants du Hamas. Fred Romero/Flickr, CC BY-SA

La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie et du Qatar. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les possibilités de blanchiment qu’offraient ces nouvelles enseignes.

« Know your client »

L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des transferts conséquents d’argent ont lieu en cash, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.

À s’en tenir toujours à la réglementation bancaire française, un autre obstacle surgit :

« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »

C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « k_now your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la banque d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.

Cagnottes en ligne et cryptomonnaies

Dans son ouvrage L’abécédaire du financement du terrorisme, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.

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L’éventail est large et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des cryptomonnaies en raison de la difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.

Illustration de cryptomonnaies
Les autorités rencontrent des difficultés à contrôler la conversion des cryptomonnaies dans des monnaies au cours légal. Pxhere.com

Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le Conseil de l’Europe signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le terrorisme. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel pour collecter de l’argent à des fins terroristes. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.

Ambiguïté

Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.

Nous ne savons pas si arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs ni confirmé ni infirmé que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.

Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le droit de diligenter des poursuites à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.

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