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Tate Langdon (Evan Peters) au moment de commettre un massacre de masse dans son lycée dans American Horror Story: Murder House (FX)

Dans la série « American Horror Story », l’horreur est humaine

Chaque saison de la série de Ryan Murphy et Brad Falchuck fait état d’une multiplicité d’angoisses à la fois sociales, pathologiques et religieuses. Les différents récits se focalisent souvent sur une peur bien précise, dressant au fil des saisons le panorama de ce qui effraie nos contemporains depuis l’aube du XXe siècle.

Murder House : un enfer pour un autre

La première saison – portrait d’une famille qui tente de prendre un nouveau départ après une mauvaise passe en emménageant dans une demeure qui se révèle hantée – se focalise sur le désespoir causé par le fait de quitter son cadre de vie habituel pour un lieu abominable. Car la maison en question est l’ancienne demeure d’un médecin aux pratiques dignes de Frankenstein, qui y pratiquait des avortements mais plus encore des expériences sur des êtres tantôt morts, tantôt encore en vie. Murder House localise la peur dans l’habitat piégé, l’incapacité de se sentir chez soi là où d’autres ont vécu et où, surtout, ils ont disparu, tout en brassant des thématiques universelles et contemporaines comme le déchirement familial, les tendances suicidaires et les massacres de masse dans les lycées.

Affiche promotionnelle pour American Horror Story, sous-titrée depuis « Murder House », jouant sur les détails macabres d’un quotidien à première vue ordinaire (FX).

Asylum : extraction sociale et captivité

La seconde saison se passe dans un asile psychiatrique pendant les années 1960. Elle panache de nombreux éléments horrifiques typiques de cette époque, comme les possessions démoniaques et les abductions, mais se concentre, à travers ses principaux protagonistes Kit Walker et Lana Winters, sur l’angoisse de la captivité et la mise au ban de la société qu’elle implique, symbolisée par le Dr Arden qui fait de chaque patient sa chose sous prétexte que personne de l’attend plus à l’extérieur.

En illustrant de façon parfois outrancière les mauvais traitements infligés à celles et ceux qui n’ont plus nulle part où aller, ou qui sont tout simplement internés suite à de fausses accusations, Murphy et Falchuck renvoient à l’imagerie de l’asile d’aliénés que construisait Frederick Wiseman en 1967 avec Titicut Follies, une plongée documentaire rendant compte de manière particulièrement crue de la déshumanisation des patients dans ce type d’établissement.

Titicut Follies (1967) documentaire et œuvre phare de Frederick Wiseman sur le traitement des patients en milieu psychiatrique.

Coven : se découvrir minorité en danger

En revenant à une dimension plus pop, Murphy et Falchuck s’attachent à des thématiques toujours plus contemporaines. Il est question dans cette troisième saison de ségrégation raciale, à travers les spectres de Marie Laveau et de Delphine LaLaurie. Mais aussi de discrimination sociale, puisqu’il y est question de sorcières, menacées par une majorité dominante.

Même si la série True Blood d’Alan Ball jouait déjà sur le terrain des problématiques ségrégationnistes auscultées au prisme du fantastique voire de la fantasy, American Horror Story : Coven met en scène des personnages à la symbolique hautement féministe. Dans le premier épisode, le personnage de Kyle lutte contre ses anciens amis coupables du viol en réunion de Madison qui se venge en les assassinant tous, y compris le jeune homme innocent qui réclamait pourtant lui aussi justice. Coven est ainsi un miroir déformant de notre époque, aux reflets pop et baroques.

Le code vestimentaire des sorcières de Coven, alliant modernité et référence à l’imagerie d’Épinal de leur religion, demeure l’un des éléments graphiques les plus marquants de cette troisième saison, ayant inspiré une vague de cosplay et de fan arts.

Freakshow : entre communauté et sectarisme

Ryan Murphy et Brad Falchuk mettent en scène des communautés minoritaires sans occulter les dissensions au sein de ces groupes. C’est le cas des gamins impopulaires de Glee qui créaient au sein de leur famille une véritable hiérarchie, des trans de Pose rejetées par la communauté gay new-yorkaise et des freaks de Freakshow se livrant bien souvent des guerres intestines pour occuper le devant de la scène ou régler leurs problèmes personnels.

Dans cette quatrième saison, c’est une autre peur qui est abordée : celle, pour qui souffre d’une particularité physique, de se retrouver maltraité·e par les autorités de la communauté censée être un refuge dans une société intolérante. Au gré des saisons, le discours se fait de plus en plus social et Freakshow, en se juxtaposant au discours de Tod Browning sur la capacité à être cruel.le malgré le fait d’être soi-même victime de cruauté. Dans les derniers rebondissements, les deux principaux antagonistes sont tantôt estropiés par les freaks, tantôt noyés sur scène dans le but de d’atteindre une forme de catharsis totale. Le « monstre » est un être humain parmi tant d’autres et cette quatrième saison fait clairement écho à Coven, jouant sans cesse sur le changement de rôle entre victime et bourreau, oppresseur.se et opprimé·e.

Générique d’ouverture d’American Horror Story : Freakshow renvoyant à l’univers du cirque de « monstres » popularisé par le Freaks de Tod Browning (1932) et le Santa Sangre d’Alejandro Jodorowsky (1989).

Hotel : l’éternité non-désirée

L’esthétique des corps et de la sexualité vampirique mises en scène par Tony Scott dans Les Prédateurs en 1983 est à l’honneur dans la 5e saison : Lady Gaga y campe une comtesse à la fois maternelle et totalitaire ne reculant devant aucune exaction pour protéger le cocon familial que constitue l’Hotel Cortez, une demeure labyrinthique dont les couloirs infinis renvoient directement au Shining de Stanley Kubrick.

Entre références et jeux de dupe, American Horror Story : Hotel traite avant tout de la peur de l’éternité non désirée : mourir à l’Hôtel Cortez revient systématiquement à disparaître du monde des vivants et errer pour l’éternité dans son enceinte. Les récits vampiriques font souvent référence à la dépression suscitée par la peur de vivre pour toujours, l’incapacité de trouver le repos et l’horreur de voir ses proches mourir un par un.

La mise en scène des intrigues d’American Horror Story : Hotel épouse parfaitement l’architecture de la direction artistique, entre grands angles jouant sur les courbes des couloirs labyrinthiques et jeux de référence via les tapis reprenant les motifs indiens de l’Overlook Hotel.

Roanoke : déconstruction et reconstruction horrifique

En se présentant comme un docu-fiction dans ses cinq premiers épisodes et comme une télé-réalité façon Big Brother horrifique dans les cinq derniers, Roanoke est avant tout un portrait au vitriol de l’industrie du spectacle et de son puritanisme déplacé – en témoignent les jurons bipés alors que certaines images demeurent particulièrement graphiques. On peut même y voir une critique de la chaîne FX, productrice de la série, qui diffuse depuis de nombreuses années des séries où la sexualité et ses représentations tiennent une place très importante alors qu’une certaine pudibonderie l’amène à cacher les corps féminins.

Dans Nip/Tuck, l’une des premières œuvres de Ryan Murphy, le corps et le sexe sont omniprésents mais chaque scène de nudité demeure en partie cachée. L’horreur dans Roanoke réside dans la représentation par la parodie d’un spectacle contemporain dont l’incohérence devient finalement un motif comique. En outre, de nombreuses thématiques propres au saisons précédentes et à venir se retrouvent dans ces dix épisodes, faisant de Roanoke un véritable carrefour pour la série, un terrain d’expérimentation tout autant qu’une introspection.

American Horror Story : Roanoke se joue des codes de la télé réalité et des films en found footage comme The Blair Witch Project : les personnages sont caricaturaux au point de devenir de véritables motifs comiques et les situations grand-guignolesques s’enchaînent pour mieux singer les productions racoleuses de la real TV.

Cult : la violation du cocon protecteur

Ici, la peur engendrée par le fait d’être une minorité opprimée couplée au motif horrifique moderne d’une politique xénophobe, intolérante et intolérable, celle de Donald Trump en l’occurrence, brasse à nouveau des thématiques utilisées les années précédentes. Mais dans cette septième saison, le motif de l’agression à domicile, largement popularisée par le genre du slasher, est au cœur des différentes intrigues et sous intrigues de Cult.

Cette septième saison demeure celle qui, à ce jour, s’ancre le plus dans le réel de l’Amérique contemporaine, notamment parce qu’elle ne comporte que peu, voire même aucun, élément fantastique. American Horror Story : Cult traite principalement de sa période de production, malgré quelques flashbacks mettant en perspective la politique agressive de son principal antagoniste avec des mouvements sectaires ayant marqué l’histoire comme la Branch Davidian, la Manson Family ou le Temple du Peuple.

Evan Peters incarne Kai Anderson, le principal antagoniste d’American Horror Story : Cult mais également Jim Jones, Jésus Christ, Charles Manson, Andy Warhol, David Koresh et Marshall Applewhite.

Apocalypse : être ou ne pas être à la hauteur

Dans American Horror Story : Apocalypse, dernière saison en date de la série, les personnages, depuis leur abri souterrain, évaluent les chances d’une reconstruction de la civilisation humaine après une attaque nucléaire d’ampleur mondiale. Mais la peur d’une incapacité à renouveler le monde détruit est une épée de Damoclès pesant sur l’avenir des différents protagonistes, renvoyant aux propos de René Girard dans Achever Clausewitz (2007) : et si l’apocalypse censé découler de nos sociétés actuelles n’avait pas valeur de révélation ? Est-il encore possible, après la destruction, de créer une nouvelle civilisation ou l’histoire est-elle condamnée à se répéter ?

Bande annonce finale avant le lancement de la huitième saison (FX).

American Horror Story porte en étendard ce que ce type de production n’a de cesse de répéter depuis La Nuit des morts-vivants de George Romero en 1968 : l’horreur est sociale, l’horreur est politique, l’horreur est humaine.

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