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Dans la vie, êtes-vous plutôt un « prédateur » ou une « proie » ?

Un vendeur de véhicule conclut une vente.
Le vendeur de voitures d’occasion qui nous propose un véhicule sans nous dévoiler ses vices cachés est-il un prédateur ? Shutterstock

Chaque instant de notre vie nous place dans le rôle du « prédateur » ou de la « proie ». Parfois, nous sommes fiers d’avoir obtenu gain de cause face à un vendeur que nous considérions malhonnête, tandis que d’autres fois, nous nous plaignons de notre harassante journée de travail sous les ordres de nos supérieurs.

Comment détecter ce rôle ? Prenons l’exemple d’un vendeur de voitures d’occasion qui nous proposerait un véhicule sans nous en dévoiler ses vices cachés. Il est effectivement un « prédateur » si la réponse est « oui » si tous les éléments de la prédation sont présents.

Je me réfère ici à la toile de prédation, aussi nommée la toile du 5-5. Il faut de prime abord cinq composantes essentielles (dites structurelles) pour que l’on puisse conclure à un acte prédateur :

  • la présence d’un prédateur (ici, le vendeur) ;

  • et d’une proie (ici, nous) ;

  • un outil (ici, la fausse publicité sur la voiture contemplée) ;

  • un aléa ou une blessure (ici, la perte financière résultant de la valeur réelle du véhicule) ;

  • un effet surprise (ici, l’asymétrie d’informations qui a fait que le vendeur savait qu’il cachait des données qui auraient changé notre décision d’achat).

On a parfois tendance à traiter certaines personnes de prédatrices sans qu’il y ait un élément de surprise : cependant, pour conclure à de la prédation, à un moment ou à un autre dans la dynamique interactionnelle, il doit nécessairement y avoir un bris de confiance inattendu, bref, un effet surprise.

La « toile de prédation », ou « toile du 5-5 ». Fourni par l'auteur

Les cinq autres éléments essentiels (dits fonctionnels) de la toile de prédation sont :

  • l’identification de la vulnérabilité d’une personne ;

  • l’appât, par exemple avec des promesses irréalistes (comme le faisait le financier Bernard Madoff, arrêté en 2008 pour escroquerie), qui a fait l’objet de nos recherches ;

  • la pression (par exemple, les phrases telles que « dépêchez-vous, car la demande est forte et le produit va partir vite ») ;

  • l’activation du piège (par exemple, un contrat qui prévoit des clauses désavantageuses écrites en petits caractères illisibles ou incompréhensibles ou un site Web dont la navigation force l’utilisateur à révéler des informations sensibles) ;

  • la soumission (par exemple, on ne peut plus sortir du contrat, à moins de payer des frais compensatoires exorbitants).

Si on y regarde de près, on voit que toutes les interactions prédateur-proie dans le monde animal suivent ce modèle du 5-5. S’il y a un prédateur, il y a nécessairement une proie. Et dans la vie de tous les jours, nous balançons continuellement d’une posture à l’autre.

Des comportements universels

Fort de cette compréhension, j’ai conçu un questionnaire général dans lequel des questions sur les comportements de prédateur et de proie sont insérées de manière aléatoire (pour ne pas en révéler le but – une technique commune en recherche psychologique pour éviter les biais).

Cette échelle de mesure vise à évaluer les rapports entre personnes dans diverses circonstances. Elle a été vérifiée par des experts et administrée auprès d’une cinquantaine de groupes allant de 2 (des couples), à 30 et même à 250 individus, en France et au Canada, dans divers types de relations, comme celles du vendeur-acheteur dans le secteur automobile ou celle du chef d’orchestre et de ses musiciens.

Et vous, êtes-vous plutôt un prédateur ou une proie ? Faites le test !

Dessin d'un aigle chassant un poisson
L'effet de surprise, une caractéristique d'une situation de prédation. Pxhere, CC BY-SA

Tout d’abord, j’ai remarqué que ce n’est pas la réalité qui compte, mais sa perception : il suffit qu’une personne pense qu’une autre cherche à abuser d’elle sans que cela soit nécessairement le cas pour activer le système de vigilance propre à tout individu. On parle donc de prédation perçue, qui est un terme proche du concept de risque perçu ou menace perçue utilisé dans divers domaines, dont la psychologie.

Plus particulièrement, il ressort que la prédation perçue, mesurée par le « ratio proie-prédateur » qui indique notre vulnérabilité, ne doit excéder ni une limite haute ni une limite basse pour que les relations soient viables et possiblement durables. Au-delà de ces limites, les conflits deviennent ingérables.

Même tendance avec le ratio inverse, « prédateur-proie », qui indique notre désir de maintenir un certain contrôle sur notre vie : mes mesures montrent une constante de 1,3. (J’épargne au lecteur le calcul mathématique permettant de trouver ce chiffre). En dessous de 1,1 et au-delà de 1,8, les dyades deviennent dysfonctionnelles : il y a dans le premier cas un sentiment de victimisation insoutenable, et dans le second, une tendance sociopathe, qui se traduit par un manque d’empathie et des comportements calculateurs, sournois et froids.

De manière surprenante, j’ai retrouvé cette constance dans une analyse du marché américain visant à établir un indice de prédation économique historique. La courbe ainsi générée sur une cinquantaine d’années a montré un pic important durant la période des subprimes (ou prêts hypothécaires dits prédateurs) de 2007-2009.

Des conséquences sur la prise de décision

Afin de solidifier mon argument, j’ai mené une étude dans un laboratoire en réalité virtuelle. Là, j’ai créé un scénario d’un financier qui promet des gains aux participants d’un voyage dans un monde virtuel où ils peuvent gagner ou perdre de l’argent.


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Pour simuler le danger de prédation, un monstre conçu et dessiné de mon cru apparaissait de manière aléatoire durant le voyage du participant. Sur une trentaine de volontaires, j’ai pu noter ceci : la plupart des hommes se sont mis à rire. Les femmes, elles, ont souvent sursauté et se sont parfois égarées de manière modérée.

Une femme dans la vingtaine a été tellement affectée qu’elle s’est complètement égarée dans le monde virtuel présenté et n’a jamais pu compléter l’exercice, même après quinze minutes d’efforts, là où les autres avaient pris environ cinq minutes. La prédation perçue a donc eu un effet sur le comportement et la prise de décision de certains participants.

Enfin, j’ai procédé à une étude en image de résonance magnétique fonctionne (f MRI) impliquant vingt volontaires (un nombre suffisant pour ce genre d’études) (il faut mettre un lien sur mes articles). Les participants, couchés sur une table où leur cerveau était scanné, devaient parcourir un labyrinthe dans lequel ils pouvaient gagner de l’argent ou en perdre selon leur capacité à échapper à leur poursuivant d’allure relativement inoffensive.

Imagerie cérébrale lorsque l’individu se sent en sécurité. Fourni par l'auteur
Imagerie cérébrale lorsque l’individu se sent en danger (apparition de l’image d’un serpent). Fourni par l'auteur

Cependant, de manière qui leur semblait sporadique et pour une fraction de seconde, l’image d’un serpent apparaissait sans crier gare (les participants avaient été testés au préalable sur l’échelle de phobie des serpents). Le cerveau montrait des zones d’activation différentes selon que le participant était davantage prédateur que proie, et plus il se sentait proie (notamment face à l’effet surprise de l’image du serpent), plus les zones cérébrales concernées étaient activées et plus il faisait d’erreurs (il se trompait dans le chemin du labyrinthe).

Ces études mettent en évidence notre nature profondément ancrée dans le règne animal, en soulignant les similitudes comportementales que nous partageons avec d’autres espèces. Elles mettent en lumière notre capacité à adapter notre comportement en fonction des circonstances et des interactions sociales.

Nous avons en nous toutes les composantes neurobiologiques, psychologiques et sociales qui nous font agir comme prédateur ou proie, à tout moment, à l’intérieur d’une fourchette de tolérance et avec un niveau fonctionnel (j’ose m’aventurer), remarquablement universel (à un ratio de 1,3, lequel signifie que nous voulons avoir 30 % de plus de forces que de faiblesses dans nos interactions sociales).


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