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Dans le Cotentin, comment agriculture et zones humides font bon ménage

Le Marais du Rivage à Auvers, en début d'été 2020. Servane Lemauviel-Lavenant, CC BY-NC-ND

Au cours du XXe siècle, les zones humides ont fortement régressé en France métropolitaine. Sur la base d’une étude de 87 zones humides qualifiées d’importance majeure, il est estimé que 50 % des surfaces ont disparu entre 1960 et 1990 par drainage, assèchement, remblaiement, urbanisation et développement d’infrastructures notamment.

Un suivi, étendu à 152 zones, montre l’infléchissement de ce déclin, mais révèle un mauvais état global de conservation. En 2009, selon un inventaire basé sur les différentes données cartographiques disponibles, les zones humides occuperaient environ 22 000 km2.

Par « zones humides », le code de l’environnement français désigne des « terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année ».

À l’échelle mondiale, pour les mêmes raisons évoquées plus haut, plus de 64 % des zones humides ont disparu depuis 1900.

Localisation des principaux milieux à composante humide en France métropolitaine. CGDD/SoeS -- MNHN (mai 2009)

Des milieux riches et essentiels

Une très grande majorité des zones humides françaises et européennes a été modelée par les activités agropastorales. Les bas marais et haut marais tourbeux dominent les secteurs aux sols constamment engorgés, relayés par des prairies humides dans ceux soumis à un assèchement saisonnier. Le pâturage et la fauche contrent la dynamique spontanée de boisement, permettant ainsi le maintien de milieux ouverts.

À l’échelle nationale, près de la moitié des espèces d’oiseaux et 30 % des espèces végétales remarquables et menacées (des plantes carnivores comme les rossolis, des orchidées comme le liparis de Loisel) dépendent de ces milieux et des écosystèmes adjacents (mares, fossés…).

Flore des prairies humides : potentille des marais (G) et lysimaque commune (D).

Les prairies de marais rendent enfin de nombreux « services écosystémiques », correspondant aux bénéfices que les êtres humains retirent des écosystèmes : elles accueillent une flore et une faune patrimoniale (« service de support ») ; permettent la régulation des crues et l’épuration de l’eau, le stockage du carbone dans les sols (« services de régulation ») ; sont à l’origine de la production de fourrage (« service de fourniture ») et constituent un paysage ouvert, accueillant de nombreuses activités de loisir (« services culturels »).

Zones humides et agriculture

En raison de leur difficulté d’exploitation, liée aux périodes variables d’inondation et à la faible portance des sols, les zones humides sont soumises à deux menaces opposées : une intensification de leur exploitation souvent basée sur le drainage et la fertilisation voire la conversion en culture ; un abandon conduisant à la fermeture des marais.

Or, préserver les prairies de marais, leurs flore, faune et les services qu’elles rendent aux sociétés humaines, est indissociable du maintien d’une activité agricole extensive sur ces espaces ; un système de production agricole est dit « extensif » lorsqu’il consomme moins de facteurs de production par unité de surface.

Google Maps

Sur le territoire du Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin, un partenariat s’est établi depuis une dizaine d’années entre l’Université de Caen, le Parc et le monde agricole pour étudier ces services ; cette initiative a abouti, en association avec la Chambre d’agriculture de la Manche, à l’élaboration d’un outil d’autoévaluation des services rendus par les prairies de marais au bénéfice des agriculteurs.

L’évaluation de ces services apparaît comme un moyen de reconnaître le travail des éleveurs, qui gèrent les prairies de manière extensive ; elle constitue d’autre part une première étape dans la conservation de ces espaces grâce à des outils comme les « paiements pour services écosystémiques » (PSE).

Dix années de projets successifs ont associé notre équipe de recherche, le Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin, puis la Chambre d’agriculture de la Manche.

Au cœur du Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin. (Fédération des Parcs naturels régionaux de France/Youtube, 2019).

Fourrage et séquestration carbone

Le territoire du Parc naturel régional englobe 30 000 hectares de marais classés Natura 2000. Outre leur intérêt floristique et faunistique bien connu, les projets de recherche conduits dans ces espaces ont mis en évidence leur intérêt agronomique, en matière de production de fourrage et de séquestration carbone notamment.

Séché en conditions optimales, le fourrage récolté sur une large gamme de prairies humides se caractérise en effet par une bonne valeur fourragère, équivalente voire supérieure aux références régionales hors marais, et renforcée par la richesse du fourrage en micronutriments, apportés notamment par les plantes à fleurs bien représentées dans ces prairies extensives.

Juin 2020.

Grâce à un relai efficace des espèces comme les agrostides, les houlques et différentes laîches au cours du temps, une fauche tardive altère peu cette qualité. Une approche par basée sur les caractéristiques des feuilles des différentes espèces (écologie fonctionnelle), a permis de relier la qualité de la production agricole au fonctionnement des espèces et des communautés végétales des prairies de marais.

À l’heure de la lutte contre les dérèglements climatiques, la séquestration du carbone dans les sols des prairies représente une stratégie d’atténuation de l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. Elle correspond au bilan des entrées de carbone par la fixation du CO2 par les plantes au cours de la photosynthèse et des sorties de carbone par la respiration des plantes et des micro-organismes du sol au cours de la minéralisation de la matière organique.

Dans les sols des milieux humides, la matière organique (et donc le carbone), s’accumule du fait d’une faible activité de la microflore bactérienne soumise à la contrainte d’anoxie (manque d’oxygène). Si cette accumulation de carbone représente un réel enjeu, il est néanmoins primordial de conserver les stocks de carbone déjà existants.

Certains sols des prairies de marais étudiées sont en effet caractérisés par des teneurs en matière organique supérieures à 80 %. Pour une partie des marais, ces stocks importants semblent stables dans les horizons supérieurs du sol, tandis que des teneurs plus importantes de carbone labile (la fraction de la matière organique du sol la plus facilement minéralisable) indiquent un risque de perte de carbone (par respiration et donc retour de CO2 vers l’atmosphère) dans les marais aux durées d’inondation les plus courtes.

Prairies inondées (février 2020).

Un outil pour les agriculteurs

Pour évaluer tous ces différents services écosystémiques fournis par les prairies de marais à l’échelle des parcelles, un livret d’évaluation a été élaboré dans le cadre du projet AgriZH avec des agriculteurs, des professionnels de la filière laitière, des élus et des acteurs de la protection de la nature et de l’environnement.

Sylvain Diquélou, CC BY-NC-ND

Mis au point grâce aux résultats des études menées dans le Parc naturel régional, il associe quantification des services rendus et évaluation des difficultés d’exploitation, et donc la fragilité de leur maintien. Dans ce dispositif, une note par service est obtenue après compilation de différents indicateurs ; un diagramme (voir ci-contre) permet de synthétiser les atouts et points faibles de chaque parcelle.

De vastes secteurs de marais sont depuis ce printemps 2020 évalués grâce à ce livret afin d’aboutir à une cartographie des services rendus au cours de l’année 2021.

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