Menu Close
Le management interculturel, un art difficile. Shutterstock

De la difficulté à se défaire d’une certaine « arrogance à la française » dans les relations interculturelles

« Ils voyaient bien que j’étais là pour les faire croître », « Je n’arrive pas à faire travailler les Japonais »… Ce type de propos tenus dans la communauté française expatriée par des managers d’entreprises incite à s’interroger sérieusement sur la manière dont les managers français envisagent la relation avec leurs collaborateurs étrangers.

Y a-t-il un prisme français ?

Dans un article paru dans Gérer & Comprendre, nous nous intéressons à la relation interculturelle telle qu’elle se joue entre les managers français et leurs collaborateurs étrangers travaillant pour des filiales ou pour des entreprises partenaires. Il ressort de cette recherche que les Français se retrouvent souvent autour d’une approche commune de la relation que nous résumons ici en trois attitudes qui les distinguent clairement de leurs collaborateurs étrangers interviewés.

1. Une approche très intellectualisée de la relation

« Comprendre les cultures, c’est subtil, on décrypte, on réfléchit. »

Les Français s’inscrivent à des séminaires interculturels ou se documentent par eux-mêmes sur les cultures auxquelles ils sont exposés. Ils se passionnent pour les questions de culture et ressentent souvent le besoin « de comprendre comment les autres fonctionnent » avant d’aborder la relation. Ils cherchent à comprendre les fondements de la culture, souvent en s’intéressant à l’histoire ou à la religion du pays.

Cette analyse théorique conforte certains dans l’idée qu’ils ont compris les ressorts culturels et qu’ils peuvent anticiper les comportements. Ainsi, les managers français donnent souvent plus l’impression de s’adapter à un comportement culturel qu’ils pensent avoir identifié au préalable que d’ajuster leur comportement à celui d’un interlocuteur dans une situation donnée. L’un cherche à montrer moins d’empathie envers les Sud américains pour compenser le fait qu’ils sont « très dans l’affect », un autre explique que « du fait de leur passé », les Russes sont constamment « dans le bras de fer et il faut parler aussi fort qu’eux », un dernier a « compris que les Thaïs sont si fiers qu’ils ne peuvent pas démissionner, alors on peut les pousser assez loin… ».

La démarche intellectuelle prime sur l’observation sur le terrain et celui qui a su « décoder » s’octroie un avantage sur l’interlocuteur qui, lui, n’a pas la même maîtrise des différences culturelles.

Par contraste, chez les managers étrangers, peu de grandes théories ou de généralisation sur les différences culturelles mais plutôt des constats pragmatiques sur les habitudes de travail des partenaires. Ils indiquent que certains collaborateurs répondent de façon moins détaillée que d’autres, que d’autres n’acceptent pas de travailler tard le soir ou de se rendre au bureau en transport en commun…

Pour eux, s’y adapter permet de gagner du temps dans la relation alors que, du côté français, c’est l’analyse préalable des fonctionnements culturels qui est présentée comme l’un des éléments clés de la réussite de la relation : « Il faut marier cette compréhension de la culture avec la flexibilité, l’humilité et l’empathie pour assurer à l’entreprise une activité dans les meilleures conditions »..

La question de l’adaptation à l’autre dans l’interaction est presque secondaire. L’expérience interculturelle semble souvent désincarnée, les interlocuteurs sont rarement décrits ou nommés, les interactions décrites peu précisément, et les discours donnent l’impression que les managers français sont aussi passionnés par l’analyse que par ce qu’elle implique en termes d’adaptation sur le terrain.

En fait, pour la plupart des Français, les différences culturelles sont stimulantes car elles obligent à comprendre une nouvelle logique, à inventer de nouveaux modèles.

2. Le compromis, un demi-échec

« Il faut parfois faire des compromis, enfin, je n’aime pas ce mot. »

Deuxième élément distinctif dans le discours des Français, la référence au compromis ressort peu spontanément. Lorsqu’ils y font référence, les Français le décrivent souvent comme une contrainte, un exercice imposé quand on travaille avec certaines cultures qui « l’ont dans leur ADN » telles que les cultures d’Europe du Nord.

Ils ne se retrouvent pas vraiment dans ce concept et préfèrent parler d’un « équilibre entre des contraintes, un équilibre juste et honnête » qui, par opposition au compromis, ne serait pas une solution dégradée par rapport à celle qu’ils ont envisagée avant la discussion avec le partenaire.

Il semble difficile d’accepter que dans la collaboration le résultat ne soit pas le même que si on travaillait seul. Dans ce sens, le compromis est perçu comme un semi-échec.

3. Un rôle d’éducateur

« Après il y a des choses, la structure hiérarchique, la discipline, mais on arrive à les pervertir, à les faire évoluer ! »

De nombreux managers français ont tendance à se positionner dans un rôle d’éducateur face à leurs partenaires même dans des cas où ils ne peuvent se prévaloir d’aucune supériorité hiérarchique, de statut ou d’expertise, par exemple dans des situations de recherche de partenariats ou de réalisation de projets en commun.

Quel que ce soit le contexte organisationnel dans lequel la relation se joue, l’interlocuteur aurait quelque chose à apprendre d’eux, notamment au niveau technique : « Je devais parfois les éduquer en quelque sorte ».

La légitimité des managers français repose plus largement sur l’expertise métier qu’ils mettent au service des autres pour « les faire croître » que sur leurs capacités managériales (d’Iribarne, chapitre VI, 1998). Or l’expertise étant une chose à laquelle ces managers attachent beaucoup de valeur, il est important pour eux qu’elle soit pleinement reconnue par leur interlocuteur.

Ainsi, ils ne cherchent pas à lui imposer leur expertise par leur autorité mais plutôt à obtenir qu’il se range volontairement à leur avis après lui avoir démontré que c’était la meilleure option. Ce positionnement ne peut fonctionner que si leurs interlocuteurs acceptent la position « d’apprenants » que leur assignent les Français.

De leur côté, les propos des managers internationaux n’évoquent rien de plus que la mission de tous les managers : améliorer l’efficacité des équipes, motiver, être exemplaire. Même lorsqu’ils sont dans une relation de supériorité face à leur interlocuteur, rien n’indique que ces managers soient animés par une volonté « de les faire grandir ».

Il ressort donc nettement, et quelque soit l’âge des managers, qu’il existe une représentation très française de la relation interculturelle dont découle un « positionnement haut » partagé par la plupart les managers français, à des degrés différents. En revanche, et c’est en cela que ce positionnement est remarquable et distinctif, il n’y en a pas trace chez les managers étrangers.

Les Français, moins efficaces que d’autres en contexte interculturel ?

Oui et non.

Non, car si l’intérêt que les managers français trouvent à travailler en collaboration en contexte interculturel se manifeste différemment, il n’en reste pas moins que leur motivation pour ce type de contexte est tout aussi forte chez que chez les managers d’autres nationalités et qu’ils font preuve du même engagement dans la relation.

Oui, car il semble parfois y avoir une déconnexion entre théorie et pratique qui nuit à la relation. Certains distinguent l’intérêt pour les cultures et les impératifs des affaires. D’autres peinent à faire le lien entre ce qu’ils savent des ressorts culturels et ce qu’ils vivent sur le terrain et ils sont nombreux à expliquer l’expérience vécue à travers les stéréotypes véhiculés par des analyses trop rapides.

Il est donc possible que les compétences interculturelles mises en œuvre par les managers français reposent largement sur la dimension cognitive, c’est-à-dire sur l’acquisition de connaissances, au détriment des dimensions affective et comportementale (telles que définies par Barmeyer).

Cela ne représente pas en soi un handicap. Des études menées sur des managers d’origine culturelles différentes révéleraient sans doute, chez eux, d’autres forces et faiblesses.

En revanche, prendre conscience de l’impact des biais culturels français sur les compétences mises en œuvre en contexte interculturel permettrait de mieux préparer les managers exposés à ces situations.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 191,500 academics and researchers from 5,064 institutions.

Register now