Menu Close
des fantômes transparents de mammouths dans un paysage de prairie.
Le matériel génétique trouvé dans les sédiments du pergélisol du Yukon contient des informations précieuses sur d’anciens écosystèmes. (Julius Csotonyi/Gouvernement du Yukon), Fourni par l'auteur

De l’ADN ancien révèle que les mammouths laineux vivaient sur Terre plus récemment qu’on ne le croyait

En 2010, une équipe de l’Université de l’Alberta a prélevé de petites carottes de sédiments du pergélisol dans des mines d’or de la région du Klondike, au centre du Yukon. Elles étaient restées en chambre froide jusqu’à ce que des paléogénéticiens du McMaster Ancient DNA Centre aient recours à de nouvelles techniques de génomique pour mieux comprendre l’extinction mondiale de la mégafaune qui a atteint son apogée il y a environ 12 700 ans en Amérique du Nord.

Ces minuscules échantillons de sédiments contiennent une grande quantité d’ADN environnemental (matériel génétique relâché par les organismes dans leur environnement via leurs excréments, écailles, urine, salive, peau, poils, plumes, etc.) provenant de plantes et d’animaux qui ont vécu dans ces milieux pendant des millénaires. Ces microfossiles génétiques proviennent de toutes les composantes d’un écosystème – comme les bactéries, les champignons, les plantes et les animaux – et servent de capsule temporelle d’écosystèmes anciens, tels que la steppe à mammouths, qui a disparu il y a environ 13 000 ans.

Le débat scientifique sur la façon dont ces écosystèmes se sont restructurés aussi radicalement et sur les raisons pour lesquelles les grands animaux semblent avoir été les plus touchés par ce changement dure depuis le XVIIIᵉ siècle.

Nous pouvons désormais utiliser l’ADN environnemental pour tenter de combler les informations qui manquent.

ADN ancien, technologies nouvelles

L’ADN bactérien, fongique et non identifiable constitue plus de 99,99 % d’un échantillon environnemental. Dans notre cas, nous voulions récupérer la fraction beaucoup plus petite d’ADN animal et végétal ancien qui nous aiderait à mieux comprendre l’effondrement de l’écosystème de la steppe à mammouths.

Dans le cadre de mes recherches doctorales, j’ai fait partie d’une équipe qui a mis au point une nouvelle technique pour extraire, isoler, séquencer et identifier de minuscules fragments d’ADN ancien à partir de sédiments.

Nous avons analysé ces fragments d’ADN pour suivre la répartition des plantes et des animaux qui vivaient dans le centre du Yukon au cours des 30 000 dernières années. Nous avons découvert des preuves de la survie tardive de mammouths laineux et de chevaux dans la région du Klondike, quelque 3 000 ans plus tard que ce à quoi nous nous attendions.

Nous avons ensuite étendu notre analyse à 21 carottes de pergélisol prélevées auparavant sur quatre sites de la région du Klondike et qui datent de 4 000 à 30 000 ans.

Avec les technologies actuelles, nous avons non seulement pu identifier de quels organismes provenaient certains microfossiles génétiques, mais aussi réassembler les fragments en génomes pour étudier leur histoire évolutive, et ce, uniquement à partir de sédiments.

Synthèse des preuves génétiques et fossiles
Synthèse d’ossements datés, d’ADN environnemental ancien et de sites archéologiques au Yukon et en Alaska. (Tyler J. Murchie)

Changements environnementaux spectaculaires

La transition Pléistocène-Holocène, qui s’est produite il y a environ 11 700 ans, a été une période d’immenses changements à la grandeur de la planète. En Béringie orientale (l’ancien pont terrestre eurasien et les régions non glaciaires du Yukon et de l’Alaska), cette période a vu le biome mammouth-steppe s’effondrer et la forêt boréale comme nous la connaissons aujourd’hui le remplacer progressivement.

Cela a entraîné la disparition de mégaherbivores de l’ère glaciaire, tels que le mammouth laineux, le cheval du Yukon et le bison des steppes, ainsi que de prédateurs tels que le machairodonte d’Amérique et le lion de la Béringie.

Nous avons trouvé de l’ADN environnemental ancien provenant d’un large éventail d’animaux de cette époque, notamment de mammouths laineux, de chevaux, de bisons des steppes, de caribous, de rongeurs, d’oiseaux et de nombreux autres animaux.

Nous avons également pu observer comment les écosystèmes se sont modifiés avec l’apparition des arbustes ligneux il y a environ 13 500 ans, et comment cela a été corrélé avec le déclin de l’ADN des mammouths laineux, des chevaux et des bisons des steppes. Avec cet ensemble de données particulièrement riche, nous avons effectué quatre importantes constatations.

  1. Les données sont étonnamment cohérentes entre les sites, ce qui suggère qu’elles sont représentatives des tendances écologiques de la région.

  2. Le déclin de l’ADN du mammouth laineux avant le réchauffement de Bølling-Allerød, une période chaude à la fin de la dernière période glaciaire, semble indiquer que la disparition de la mégafaune a pu s’échelonner.

  3. Les phorbes (plantes herbacées à fleurs) constituent une composante importante de l’écosystème des steppes à mammouths, au même titre que les graminées.

  4. Il existe des données cohérentes de la persistance du mammouth laineux et du cheval du Yukon pendant l’Holocène, jusqu’à 7 000 ans après leur disparition des archives fossiles.

Comparaison des génomes d’équidés reconstitués à partir de sédiments et d’ossements
Arbre phylogénétique montrant l’emplacement des chevaux et leur filiation avec des espèces parentes grâce à des génomes reconstruits à partir d’os et de sédiments. (Tyler J.Murchie), Author provided

Nos reconstitutions génétiques, associées à d’autres données, suggèrent que la transition à la fin de la dernière période glaciaire a pu être plus étalée que ne le laissent supposer les ossements datés.

Les mammouths, par exemple, ont peut-être connu un déclin de leur population locale des milliers d’années plus tôt que d’autres espèces de la mégafaune, ce qui pourrait être corrélé avec les premières données controversées sur la présence humaine dans la région. En outre, les herbivores des prairies ont pu continuer de vivre pendant des milliers d’années dans des zones refuges (habitats qui permettent l’existence d’une population isolée), malgré les changements environnementaux.

Les mammouths laineux aux côtés des humains

Nos données montrent que les chevaux et les mammouths laineux ont pu vivre dans le Klondike jusqu’à il y a environ 9 000 ans et peut-être même jusqu’à il y a 5 700 ans, ce qui dépasse de 7 000 ans leur disparition supposée selon les relevés fossiles. Cependant, il est possible que l’ADN environnemental ancien résiste à l’érosion et à la resédimentation, ce qui pourrait mélanger les informations génétiques de différentes périodes et entraîner une certaine prudence dans les interprétations.

Jusqu’à récemment, il n’y avait aucune preuve que les mammouths ont survécu jusqu’au milieu de l’Holocène. Mais des études ont démontré la présence de mammouths jusqu’à il y a 5 500 et 4 000 ans dans l’archipel de l’Arctique.

Les chercheurs du Centre de géogénétique de Copenhague ont trouvé des preuves de la survie tardive de chevaux et de mammouths en Alaska jusqu’à il y a 7 900 ans. Ils ont aussi décelé des signes de la présence de mammouths il y a 3 900 ans en Sibérie, ainsi que de rhinocéros laineux jusqu’à il y a au moins 9 800 ans.

On a découvert que le bison des steppes, dont on pensait qu’il avait disparu et avait été remplacé par le bison d’Amérique au cours du Pléistocène, avait également vécu plus longtemps, peut-être même jusqu’à il y a 400 ans. Nous avons pu observer la présence de lignées génétiques distinctes de mammouths laineux et de bisons des steppes dans les mêmes échantillons de sédiments, ce qui suggère que des populations distinctes de ces animaux se trouvaient probablement dans la même région.

De plus en plus de preuves attestent que de nombreuses espèces de la mégafaune de l’ère glaciaire auraient survécu jusque dans l’histoire de l’humanité et vivaient dans le nord pendant l’âge du bronze et pendant que les bâtisseurs érigeaient les pyramides d’Égypte.

illustration de rhinocéros laineux
Des chercheurs danois ont découvert des preuves de la présence de rhinocéros laineux en Sibérie il y a environ 9 800 ans. (Shutterstock)

Les archives génétiques de notre passé écologique

Le perfectionnement croissant des méthodes d’analyse de l’ADN environnemental pour étudier les microfossiles génétiques met en évidence la quantité d’informations enfouies dans les sédiments.

Le pergélisol est idéal pour la préservation de l’ADN ancien, mais à mesure que ce sol gelé en permanence dégèle et se dégrade avec le réchauffement de l’Arctique, il en va de même pour le matériel génétique qui y est conservé et les mystères de l’évolution qu’il contient.

Les progrès de la paléogénétique continuent de repousser les limites de ce qui était autrefois relégué à la science-fiction. Qui sait quelles informations évolutives inconnues sont encore gelées dans les sédiments, cachées dans des microfossiles d’ADN ancien ?

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,500 academics and researchers from 4,943 institutions.

Register now