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De nouvelles pistes pour le traitement de la puberté précoce

Groupe de jeunes filles. Abdelkader ft / Unsplash, CC BY-SA

La survie des espèces est régie par deux grands mécanismes physiologiques : la nutrition, et la reproduction. Ces deux mécanismes sont intimement liés et leur contrôle réside dans la même région du cerveau : l’hypothalamus. En effet, l’obésité morbide et l’anorexie, deux troubles de la prise alimentaire liés à un mauvais fonctionnement du cerveau sont associés à une infertilité chez l’humain comme chez l’animal. Toutefois, malgré leur importance, la façon dont ces deux systèmes sont interconnectés reste peu comprise.

La croissance corporelle et le poids sont depuis longtemps considérés comme « permissifs » pour l’acquisition de la fertilité, qu’on appelle puberté. Autrement dit, on pense qu’il faut atteindre un poids requis pour pouvoir être fertile, et qu’un poids insuffisant ou qu’un surpoids altère le timing normal de la puberté.

Notre équipe Inserm à Lille vient de démontrer, dans un article paru dans la revue scientifique EMBO Journal, que contrairement aux idées reçues, c’est plutôt l’axe reproducteur qui impacte la prise de poids avant la puberté et avec elle, peut influencer le développement de l’attirance sexuelle.

En plus d’élucider les mécanismes impliqués dans la survenue de la puberté chez l’Homme, ces travaux mettent en perspective de nouvelles cibles dans la compréhension des risques d’attirance sexuelle précoce et d’agression sexuelle chez l’Homme.

De fines régulations dans l’hypothalamus

La survie des espèces repose sur deux mécanismes naturels intimement liés : la prise alimentaire et le système reproductif. Ces deux grandes fonctions physiologiques sont finement régulées par l’hypothalamus, qui est capable d’intégrer l’environnement hormonal et nutritionnel du corps et de répondre à ses besoins en faisant intervenir des neurones.

Les neurones de l’hypothalamus qui sécrètent la gonadolibérine, ou GnRH pour son nom anglais Gonadotropin-Releasing Hormone, sont les neurones qui contrôlent la fonction de reproduction. En effet, la sécrétion de la neurohormone GnRH par ces neurones est nécessaire à l’arrivée de la puberté, la production de gamètes par les ovaires et des testicules, à l’ovulation chez la femelle ainsi que l’attirance sexuelle. La survenue de la puberté, pour laquelle une activité mature des neurones à GnRH est nécessaire, a depuis longtemps été considérée comme étant déclenchée par une accélération de la croissance juste avant la puberté chez l’enfant.

Générés dans le nez lors du développement, les neurones à GnRH migrent vers leur destination dans l’hypothalamus pendant la vie fœtale. Ils sont guidés dans leur périple par des signaux moléculaires de guidance, dont la protéine Semaphorine-3A, et expriment son récepteur, la Neuropiline-1.

Notre équipe a montré qu’en éliminant de manière génétique le récepteur Neuropiline-1 dans ces neurones chez la souris, la migration des neurones à GnRH se trouve perturbée. On retrouve après la naissance un surplus de neurones à GnRH dans l’hypothalamus, mais aussi dans une région où, en temps normal, ils ne s’aventurent pas : les bulbes olfactifs accessoires.

Cette région du cerveau est impliquée dans la perception des odeurs et phéromones sexuelles et influence la fonction de reproduction. Cette nouvelle organisation des neurones à GnRH dans le cerveau a des conséquences sur la physiologie de la reproduction : les souris mutantes présentent une puberté précoce, qui serait due à une maturation précoce des neurones à GnRH après la naissance.

Cette nouvelle organisation des neurones à GnRH se répercute également sur la croissance pondérale des animaux. Les souris mutantes pèsent plus lourd que leurs congénères, contrôlent bien avant la puberté et ce phénotype se poursuit à l’âge adulte.

Enfin, cette réorganisation est associée à une attirance précoce des jeunes femelles pour le sexe opposé, évènement qui, en temps normal, ne se produit qu’au moment de la puberté, quand les souris deviennent sexuellement matures, c’est-à-dire lorsque les paramètres hormonaux et comportementaux s’accordent pour répondre efficacement aux demandes physiologiques.

L’attirance sexuelle chez la souris est mesurée par l’intérêt que les juvéniles portent aux odeurs corporelles femelles vs. mâles (c’est-à-dire le temps passé par la souris à sentir l’odeur femelle ou mâle déposée sur un coton dans la cage ; sachant que les juvéniles mâles et femelles sont connus pour préférer les odeurs de femelles adultes, leur rappelant l’odeur de leur mère,aux odeurs de mâles adultes)

Ainsi, ce travail montre qu’à l’encontre du dogme actuel, une maturation précoce de l’activité des neurones à GnRH dans le cerveau de souris infantiles est associée à une augmentation de la prise de poids chez la femelle après le sevrage, une attirance précoce pour des odeurs du sexe opposé, et enfin le déclenchement d’une puberté précoce.

Vers une meilleure compréhension de l’attirance sexuelle chez l’humain ?

Plus intéressants encore, ces résultats pourraient ouvrir de nouvelles voies dans l’étude de défauts de comportements sexuels chez l’homme. Il est connu que des jeunes filles ayant eu une puberté précoce, c’est-à-dire avant 8 ans, ont en moyenne des rapports sexuels à un plus jeune âge et une plus grande probabilité d’être victimes de viol.

Chez la souris, et vraisemblablement, selon nos hypothèses, aussi chez l’homme, les larmes des petits prépubères contiennent des molécules chimiques qui découragent les comportements sexuels, et une étude récente montre que l’inhibition les signaux GnRH chez des hommes pédophiles réduit leurs pulsions sexuelles.

L’ensemble de ces résultats suggère que les neurones à GnRH eux-mêmes jouent un rôle de chef d’orchestre lors du déroulé de la puberté, y compris en régulant la croissance pondérale nécessaire pour la reproduction ainsi que le déclenchement des signaux de maturité ou d’attirance sexuelles et leur perception. En bref, cette étude élargit nos connaissances sur le déclenchement de la puberté et ouvre la voie à de nouvelles thérapies pour la prise en charge de la puberté précoce chez l’enfant : la ralentir pour permettre la bonne croissance de l’individu et empêcher une maturation précoce de l’organisme (par exemple la puberté ralentit fortement la croissance osseuse et donc empêche d’atteindre la taille cible).

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