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La Guadeloupe vue de l'ISS en 2005. Wikipédia

Débat : Comment décoloniser le lexique sur l’« outre-mer » ?

Les termes que nous employons pour désigner les réalités liées à l’outre-mer en tant que territoire sont piégés. En effet, ils ont pour toile de fond la colonisation et les utiliser encore fait resurgir la domination qu’elle implique. Le vocabulaire concernant les derniers vestiges de l’empire colonial français en porte les stigmates, comme le faisait remarquer en 1966 Charles Laroche, conservateur en chef des futures Archives nationales d’outre-mer :

« L’appellation de France d’Outre-Mer […] nous est devenue si familière que nous ne mesurons pas tout ce qu’elle contient de philosophie politique, en dehors de sa valeur sentimentale. »

La locution adverbiale « outre-mer » a incontestablement de quoi séduire, renvoyant à la marine à voile, longtemps unique moyen de gagner ces contrées et toujours présente dans le lexique des langues créoles.

Des colonies en filigrane

Dans son sens le plus courant, « outre-mer » désigne un territoire de l’autre côté de la mer. Dans cette acception, la terre entière est outre-mer, puisque nous sommes tous l’outre-mer de quelque part ou de quelqu’un. Ce n’est pas ce sens qui l’emporte aujourd’hui, car, dans la seconde moitié du XIXe siècle, il va désigner les pays sous domination coloniale européenne.

À partir des années 1930, il va être réduit à ceux soumis à l’autorité de la France. Ainsi, en 1934, l’École coloniale est rebaptisée École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM). L’année suivante, le Musée des colonies, construit pour l’Exposition coloniale de 1931, devient le Musée de la France d’outre-mer. En 1946, un « ministère de l’outre-mer » se substitue au « ministère des Colonies ». En 1957, l’Académie des sciences coloniales devient l’Académie des sciences d’outre-mer.

Les « tam-tams » des DOM-TOM

« Outre-mer » s’est maintenue grâce aux DOM-TOM, les départements et territoires d’outre-mer, créés en 1946 et qui après la décolonisation de l’Afrique se sont retrouvés être les seuls à porter ce nom, comme dernières « possessions » françaises hors d’Europe : de nombreux toponymes le rappellent (Fort-de-France, Polynésie française, Guyane française, La Réunion…).

Et quand bien même, depuis la révision constitutionnelle de 2003, les DOM-TOM n’existent plus avec la transformation des TOM en collectivités d’outre-mer (COM) et du statut à nul autre pareil de la Nouvelle-Calédonie depuis 1998, on continue d’utiliser cet acronyme, désormais substantivé, pour parler de la France d’outre-mer (FOM).

La pérennité de « domtoms » est possiblement due à sa sonorité, rappelant les tam-tams africains et des ambiances tropicales. « outre-mer » est donc perçu à travers le filtre de l’exotisme dans l’imaginaire de ceux qui habitent la mère patrie.

Un pluriel singulier

Eu égard à la diversité de l’outre-mer, ne faudrait-il pas mettre la locution au pluriel ? C’est ce qu’a fait le Parlement en 2009 avec le « Projet de loi pour le développement économique des outre-mer ». Ce pluriel sans s a été prolongé par la nouvelle appellation du ministère de l’outre-mer, en 2012, devenu « ministère des outre-mer ». La généralisation de l’usage du pluriel avec ou sans s, semble traduire une mauvaise conscience vis-à-vis du passé et tente d’expier les ombres de la colonisation en donnant l’impression de prendre en compte la variété des populations. Le singulier, par opposition, devient le reflet d’un regard surplombant depuis Paris, donc un écho de la colonisation.

Si « outre-mer » est un toponyme, la FOM est un lieu étrange, éparpillé à travers le monde et dessinant un réseau radial dont le centre est la « Métropole ». Pour un Martiniquais ou un Tahitien, la FOM est abstraite. L’Outre-mer est une « définition exogène », étrangère à ceux qui en sont originaires. En fait, l’outre-mer est à la France ce que la province est à Paris. On est Basque, Provençal, Breton ou Alsacien, mais c’est par un séjour à Paris et/ou en adoptant le regard du centre qu’on est un Provincial. D’ailleurs la péjoration de « province », de plus en plus remplacé par « en région », démontre la gêne vis-à-vis de ce terme, trop évocateur de la domination de Paris.

Se dire « Ultramarin » participe du même processus de centrage et si la Métropole permet à l’outre-mer de prendre conscience de lui-même, elle crée également une identité chimérique que certains rejettent, tel Patrick Chamoiseau.

Un rapport centre/périphérie

Le terme « Métropole » est de plus en plus remis en question. Il exprime l’idée de domination, celle d’un État sur ses territoires « extérieurs ». Il souligne le vieux fonds colonial et l’emploi d’« hexagone » à sa place chercherge à dissimuler cette réalité. En 2018, les députés du groupe Nouvelle Gauche, dont Serge Letchimy (Martinique), Ericka Bareigts (La Réunion), Hélène Vainqueur-Christophe (Guadeloupe), Josette Manin (Martinique) et George Pau-Langevin (Guadeloupe), ont déposé un amendement pour que le terme « métropole » soit remplacé par « France hexagonale » dans l’article 74-1 de la Constitution, amendement qui a été rejeté en 2021. Il faut toutefois remarquer que si « Métropole » reflète une domination qu’on veut masquer, celle-ci est toujours bien réelle dans des sociétés façonnées par l’État et où la relation à celui-ci reste capitale sur de nombreux plans.

Pour le moment il n’existe pas, à notre connaissance, de demande de suppression du mot « Métropolitain », car en FOM, le centre et son pouvoir ont une incarnation.

On l’appelle « Métro » ou « Zoreil’ » généralement, mais aussi « Mzungu » à Mayotte, « Farani » ou « Popa’a » en Polynésie française, « Papalagi » à Wallis. Cet « expatrié » cristallise les rancœurs par sa morgue. On est exaspéré par son assurance. On lui reproche de bloquer la promotion sociale de l’autochtone. Il est accusé de prendre les postes de direction qui devraient leur revenir. Il focalise les moqueries sur sa naïveté, tombant souvent dans le piège de l’exotisme.

Les Ultras de l’OM

L’outre-mer a désormais son gentilé : « Ultramarin ». Si « ultramarin » est de longue date un adjectif, comme le démontre l’alexandrin de Rimbaud « Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs » (« Le Bateau Ivre », 1871), son usage comme substantif ne s’est diffusé que récemment, comme l’atteste son entrée dans le Larousse illustré en 2009 et dans le Petit Robert en 2012. On peut attribuer cette évolution à la création, en 2007, de la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’outre-mer ou à l’arrivée de la Guadeloupéenne Marie-Luce Penchard à la tête du ministère de l’outre-mer.

L’« Année des outre-mer », en 2011, a renforcé sa généralisation. Mais l’émergence dans les années 1990 de l’adjectif « ultramarin », pour évoquer ce qui est en relation avec l’outre-mer, est en lien avec la notion d’ultrapériphéricité, terme de la novlangue bruxelloise, mentionnée dans le traité de Maastricht (1992), alors que le traité d’Amsterdam (1997) introduit les régions ultrapériphériques (RUP) dans le corps des traités européens.

Ce gentilé fédère-t-il les originaires de l’outre-mer dans l’Hexagone quand « Domien » semble reculer et que « Tomien » est rare quoique figurant encore dans Le Petit Larousse, presque vingt ans après la disparition des TOM ! Quelque technocratique et artificiel que soit « Ultramarin », se définir comme tel permet d’être reconnu par les pouvoirs publics, un label investi par les associations des originaires d’outre-mer vivant dans l’Hexagone. Son dénigrement permet à ceux restés sur place de revendiquer leur identité locale.


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Au paradis des contrefaçons

Le métropocentrisme s’insinue jusque dans la botanique, avec la multiplication des « fausses plantes », introduites ou endémiques.

En Nouvelle-Calédonie, on peut trouver des faux-mimosas (Leucaena glauca), des faux-poivriers (Schinus terebinthifolius), des fausses-aubergines (Solanum torvum), des faux-ébène (Cordia subcordata), etc. Le préfixe « faux » renvoie donc à ce qui est indigène et qui ressemble à une espèce métropolitaine ou qui y est connue. On voit ici la prégnance du modèle central avec ce système de comparaisons dépréciatives.

La norme dominante est donc métropolitaine et les plantes locales ne semblent être que des reproductions défectueuses.

Comment faire ?

Comment dépasser ce jeu de miroir entre centre et périphéries ? Comment nommer l’outre-mer sans un point de vue métropocentré ? « France du lointain » est poétique mais n’est pas satisfaisante car cette notion d’éloignement fait également référence à la Métropole.

Quant à « France exotique », il est encore moins recevable, cantonnant ouvertement l’outre-mer à une altérité folklorique et ses habitants à des populations primitives ou idéales. Il est en conséquence bien difficile de nommer cette France éparse. Au XVIIe siècle, on avait eu recours à l’astronomie pour la colonisation de la Guyane, qualifiée de « France équinoxiale » parce qu’à ces latitudes équatoriales la durée du jour et de la nuit est équivalente tout au long de l’année. Faut-il abandonner « outre-mer » et « Métropole » ? Que mettre en face de « France hexagonale » ? Pourquoi pas la « France exogonale » pour évoquer cette France à l’extérieur de l’hexagone ?


Pour les éléments de botanique, je m’appuie sur un texte non publié aimablement communiqué par l’auteure Christine Pauleau, sociolinguiste d’origine calédonienne à l’université Paris-Nanterre.

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