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Pile de pièces de monnaies
Les institutions financières non bancaires détiennent aujourd’hui près de la moitié des actifs financiers mondiaux. Pxhere, CC BY-SA

Derrière les faillites bancaires, la main invisible du « shadow banking »

Au lendemain de la crise financière de 2007-2008, les régulateurs de la plupart des pays avaient accepté de réformer la réglementation bancaire et avaient augmenté de manière significative le capital que les banques doivent maintenir afin d’empêcher qu’une autre crise financière ne fasse à nouveau dérailler l’économie mondiale. Il semble toutefois que ces efforts de réglementation ne soient finalement pas entièrement couronnés de succès. En effet, la chute de la Silicon Valley Bank et le rachat du Credit Suisse par UBS font planer depuis le début du mois de mars le spectre d’une nouvelle crise financière.

La question que tout le monde se pose est la suivante : pourquoi les vastes réformes bancaires mises en œuvre après 2008 semblent-elles avoir échoué ? La réponse pourrait se trouver dans ce que l’on appelle le « shadow banking ». Ce terme désigne les « banques parallèles », c’est-à-dire des institutions qui peuvent mener des opérations similaires à celles des banques traditionnelles (banques d'affaires, fonds de spéculation, fonds de pension ou d'assurance-vie, entreprises de capital-investissement, etc.), mais qui ne sont pas officiellement reconnues comme telles. N’étant pas assimilées à des banques, celles-ci ne sont pas soumises à la plupart des réglementations bancaires. Par conséquent, la série de réformes mises en œuvre après 2008 pour éviter une nouvelle crise financière ne les concerne pas.

Contraintes de liquidité

Le système bancaire parallèle des entités ad hoc ou SPV (special purpose vehicles), qui avait permis de transformer de manière innovante les prêts hypothécaires et autres prêts à long terme des banques en titres financiers sur le marché des capitaux (processus de titrisation), a précipité la crise financière de 2007-2008. Après les réformes bancaires ciblant la titrisation, les SPV ont presque disparu. Cependant, d’autres banques parallèles ont été épargnées par les réformes bancaires, notamment les fonds et les compagnies d’assurance qui détiennent souvent plus de liquidités et d’actifs financiers que les banques.

Comme le montre le graphique ci-dessous, en 2021, les institutions financières non bancaires, avec 239 900 milliards de dollars, détiennent une part de 49,2 % du total des actifs financiers mondiaux, en croissance de 8,9 % sur la période de 12 mois après une augmentation annuelle moyenne de 6,6 % entre 2016 et 2020.

La liquidité est la clé de la survie des banques. Lorsqu’un client effectue un retrait, la banque doit s’assurer qu’elle dispose de suffisamment d’argent liquide (liquidités). Lorsqu’une banque se retrouve à court de liquidités, la contrainte de liquidité peut conduire à la faillite bancaire. Et lorsqu’une banque importante, comme la Silicon Valley Bank (SVB) ou le Credit Suisse, souffre d’importantes contraintes de liquidité, la confiance du marché envers les autres banques est ébranlée, ce qui provoque une crise bancaire à l’échelle du marché.

Les autorités financières américaines et suisses ont promptement réagi pour préserver la confiance des marchés financiers dans le contexte de la chute de SVB et du Credit Suisse. Dans les 48 heures qui ont suivi la faillite de la SVB, les autorités américaines sont intervenues pour garantir tous les dépôts de SVB et ont mis à disposition des fonds d’urgence pour toutes les autres banques. Pendant le week-end qui a suivi l’annonce des problèmes du Credit Suisse, les autorités helvètes ont forcé UBS à prendre le contrôle de cette dernière, car on s’attendait à ce qu’elle fasse faillite le lundi.

Les banques parallèles peuvent affecter de manière significative la liquidité des banques traditionnelles. Par exemple, les accords de mise en pension (repurchase agreement ou « repo ») conclus avec les banques parallèles sont une source clé de liquidité pour les banques traditionnelles.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la position nette des autres institutions financières (AIF) en matière de mise en pension a augmenté de manière significative en 2021. En revanche, la position nette des banques en matière de mise en pension a diminué de manière significative en 2021. Ce graphique indique que les banques ont considérablement augmenté leur dépendance à l’égard des AIF pour les emprunts « repo » afin de couvrir leur manque de liquidité après 2020.

Les opérations de mise en pension sont en fait des emprunts à court terme. Les banques traditionnelles qui ont besoin de plus de liquidités vendent leurs titres (obligations d’État et actions) à des banques parallèles disposant de liquidités abondantes en échange d’espèces, puis rachètent ces titres aux banques parallèles lorsque leurs contraintes de liquidité sont allégées. Ces opérations de mise en pension ne figurent pas dans les bilans et sont donc invisibles pour le grand public.

Une détérioration rapide de la solvabilité

Lorsque les taux d’intérêt augmentent rapidement, comme cela a été le cas récemment, les banques parallèles peuvent décider d’augmenter les taux d’emprunt appliqués aux opérations de mise en pension ou même de cesser de prêter aux banques traditionnelles en détournant les fonds vers des produits offrant des taux d’intérêt plus élevés. Avec l’assèchement des liquidités vitales, les banques traditionnelles ayant des contraintes de liquidité plus importantes peuvent ainsi rapidement se retrouver en grave difficulté financière.

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Par exemple, SVB détenait des milliards de dollars d'obligations du Trésor américain et de titres adossés à des créances hypothécaires notés AAA. Ces deux types de titres sont garantis par le Trésor américain. Si SVB avait pu mettre ces titres en pension au lieu de les vendre, entraînant ainsi des pertes énormes en raison de la hausse des taux d’intérêt, elle ne se serait peut-être pas effondrée. Le Credit Suisse a connu une expérience similaire. Bien que cette banque détienne de grandes quantités d’actifs liquides et que la valeur de ses actifs soit largement supérieure à celle de ses passifs, elle n’a pas été en mesure de les mettre en pension pour acquérir davantage de liquidités, ce qui a entraîné une détérioration rapide de sa solvabilité.

La faillite d’une banque d’importance systémique provoque alors une panique générale sur les marchés. Étant donné que ces opérations de mise en pension ne sont souvent pas divulguées, une telle crise bancaire prend les investisseurs et les régulateurs au dépourvu.

L’audit spécialisé peut-il aider ?

La nouvelle crise bancaire en 2023 liée aux problèmes de liquidité et aux banques parallèles pourrait placer les banques parallèles dans l’orbite de la réglementation bancaire. Cela représenterait un défi de taille car les banques parallèles sont des institutions complexes qui échappent souvent aux contrôles gouvernementaux plus stricts. Un autre outil pourrait être la mise en œuvre d’un audit spécialisé sur les contraintes de liquidité bancaires en matière de transactions hors bilan. En effet, le modèle d’audit traditionnel ne couvre que les éléments du bilan des banques, et la liquidité n’est traitée que comme un élément de routine du processus d’audit normal.

Après les scandales d’Enron et de WorldCom au début des années 2000, les régulateurs avaient mis en œuvre un modèle d’audit spécialisé pour les contrôles internes des entreprises, qui a généralement été un succès. Serait-il possible de concevoir et de mettre en place un audit spécialisé sur les contraintes de liquidité des banques, en particulier en ce qui concerne les transactions hors bilan liées aux banques parallèles ? Mes recherches (article disponible sur demande) ont montré que les auditeurs sont conscients de ces transactions hors bilan et sont en mesure d’ajuster leurs réponses en fonction des contraintes de liquidité des banques.

La question de savoir si un audit spécialisé axé sur les contraintes de liquidité des banques peut accroître la transparence et contribuer à prévenir une future crise bancaire mérite d’être approfondie et discutée par les praticiens et les décideurs politiques.

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