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Des avions qui volent à vide pour conserver les créneaux aéroportuaires : retour sur la polémique

Les compagnies aériennes préfèrent assurer un « vol fantôme » plutôt que de perdre le créneaux horaire qui leur est attribué. Tratong / Shutterstock

Le 6 mars dernier, le journal britannique The Sunday Times révélait que des avions volaient à vide ou presque dans le ciel européen, déclenchant une vive polémique. Ces vols « fantômes », qui gaspillent des tonnes de kérosène, ont été maintenus par certaines compagnies aériennes soucieuses de conserver leurs créneaux aéroportuaires. En effet, pour éviter de perdre ces « slots », la réglementation européenne les contraints à les utiliser à hauteur d’au moins 80 % au risque d’être redistribués à des concurrents.

Face à l’absurdité de la situation, à la pression exercée par les compagnies et un certain nombre d’eurodéputés, la Commission européenne a accepté le mardi 10 mars d’engager la suspension de cette règle.

Le « slot », un bien si précieux

Comment en est-on arrivé à ces quelques jours de vols à vide ? Si les compagnies ont opté pour cette décision en apparence illogique, c’est par la crainte, largement infondée, de perdre une ressource précieuse.

Le Règlement (CEE) n°95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, pose en effet le principe « droits acquis ». Selon ce principe, un transporteur aérien qui a exploité une série de créneaux horaires pendant au moins 80 % du temps au cours de la période de planification horaire d’été/hiver a droit à la même série lors de la période de planification équivalente l’année suivante.

Article 10 alinéa 2 de la directive européenne. Union européenne/europa.eu

Dès lors, les créneaux horaires insuffisamment utilisés par les transporteurs aériens sont réattribués selon la règle du « créneau utilisé ou perdu ». Il faudrait donc comprendre la décision de faire voler à vide certains avions comme une sureté prise par les compagnies aériennes : assurer un « vol fantôme » plutôt que de perdre cette ressource.

Leur argument principal, le risque de perte de ces créneaux aériens, se double d’une certaine volonté de limiter autant que possible l’entrée de nouvelles compagnies concurrentes par le biais de ces créneaux perdus. En effet, cette redistribution repose sur un « pool » de créneaux horaires regroupant principalement ceux nouvellement créés, ou inutilisés, car abandonnés par un transporteur.

Les créneaux horaires rendus disponibles sont répartis entre les transporteurs ayant introduit une demande. La moitié de ces créneaux abandonnés ou nouvellement créés sont réservés à de nouveaux arrivants pour assurer une possibilité constante de contester les répartitions de marché encore marquées par les anciens monopoles d’exploitation.

Ces éléments qui structurent ce « marché » des créneaux aéroportuaires donnent une valeur marchande à ceux-ci mais ne peuvent justifier que ceux-ci soient utilisés en contradiction totale avec les efforts de protection du climat.

coronavirus : Des vols fantômes maintenus et des aéroports déserts (Euronews, 10 mars 2020).

La réglementation va-t-elle évoluer ?

La réaction immédiate et conciliante du Parlement européen, le 13 mars, à la suite des propositions de la Commission, marque l’intérêt des Institutions pour lutter ainsi contre ces comportements aberrants.

Six semaines après les premières mesures en date du 10 mars visant à restreindre le trafic aérien, Ursula van der Leyen, annonçait qu’elle envisageait un assouplissement dans l’application du règlement, puis de proposer trois jours plus tard, la suspension temporaire de la réglementation, comme cela a pu se réaliser dans le passé.

On peut citer la dernière en date qui prenait en compte, le 18 juin 2009, la crise économique et financière mondiale affectant gravement l’activité des transporteurs aériens et proclamait l’urgence « Pour que la non-utilisation des créneaux horaires attribués pour la période de planification horaire d’été 2009 ne fasse pas perdre aux transporteurs aériens leur droit à ces créneaux horaires, il est nécessaire d’indiquer clairement et sans ambiguïté que cette période de planification horaire est affectée par la crise économique ».

Une mère et sa fille se promènent dans le hall de départ vide de l’aéroport international d’Athènes le 13 février 2008. Aris Messinis/AFP

La crise des avions fantômes est donc révélatrice de certaines frictions entre les impératifs relevant pour une part de la bonne gestion d’un bien commun, d’intérêts concurrentiels d’autre part et enfin du jeu institutionnel qui doit trouver à s’accorder avec un monde de plus en plus changeant.

Il est assez symptomatique d’envisager que cette crise survient alors que les institutions européennes n’ont toujours pas trouvé de compromis pour la refonte de la règlementation de l’attribution des créneaux aéroportuaires. En effet, comme dans toute application d’une réglementation européenne, la Commission avait envisagé, en 2011, une adaptation de celle-ci qui voulait durcir ces « droits acquis » en prévoyant que le seuil soit porté à 85 %… Quelle aurait été la réaction des compagnies aériennes si ce seuil avait été en vigueur ?

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