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Le fait que les politiciens brésiliens se soient mis à revendiquer leurs racines noires éveille le scepticisme des électeurs afro-brésiliens. Dimitrii_Guzhanin/Getty

Des milliers de Brésiliens élus en tant que Noirs en 2020 se sont déjà présentés aux élections en tant que Blancs

Le Brésil vit une étrange heure de vérité après les révélations fracassantes selon lesquelles des milliers de politiciens d’expérience ont changé de race entre les élections de 2016 et celles de 2020.

Les Afro-Brésiliens — une catégorie qui comprend les Noirs et les Métis — constituent 56 % de la population brésilienne, mais seulement 43 % des élus. Ainsi, lorsque près de 29 000 candidats afro-brésiliens sont entrés en fonction dans les conseils municipaux ou les mairies le 1er janvier après avoir remporté l’élection de novembre dernier, les personnes de couleur ont célébré la hausse de leur représentation politique.

Toutefois, le paysage politique brésilien n’est peut-être pas aussi diversifié que les statistiques officielles ne le laissent croire.

Plus de 42 000 politiciens expérimentés qui se sont portés candidats aux élections de 2020 ont changé leur déclaration de race depuis leur dernière campagne, possiblement pour avoir accès à de nouveaux financements de campagne destinés aux candidats noirs.

Sur les 28 764 élus qui se sont déclarés afro-brésiliens l’an dernier, 16 % — soit 4 580 personnes — avaient affirmé appartenir à une autre race lorsqu’ils s’étaient présentés aux élections de 2016, d’après les données du Tribunal supérieur électoral du Brésil. Presque tous s’étaient auparavant enregistrés comme Blancs, selon mon analyse des changements de race chez les politiciens brésiliens. Les données analysées n’incluent pas les candidats qui se présentaient pour la première fois, dont l’identification raciale n’avait pas été enregistrée avant.

Les Brésiliens ont été scandalisés d’apprendre que tant de politiciens d’expérience avaient décidé de se porter candidats en tant que Noirs. Les électeurs noirs se demandent si les législateurs comprennent réellement leur expérience en tant que majorité marginalisée et s’ils défendent leurs besoins dans les coulisses du pouvoir.

Des habitants de Rio de Janeiro font la queue pour voter pour le conseil municipal et la mairie le 29 novembre. Bruna Prado/Getty Images

Politique et inégalité raciale

Comme aux États-Unis et dans bien des pays occidentaux, les non-Blancs ont plus de risques d’être tués par des policiers et de mourir de la Covid-19 que les Blancs au Brésil. Ils ont également un résultat plus faible que les Blancs pour pratiquement tous les indicateurs objectifs de bien-être, du niveau d’éducation au revenu.

Les militants afro-brésiliens ont exigé des élus qu’ils s’attaquent à ces inégalités raciales persistantes, avec un succès limité. Le pays dispose de quelques programmes fédéraux de discrimination positive et de justice raciale.

Mais le président du pays, Jair Bolsonaro, s’est engagé à éliminer ces quelques actions en faveur de l’égalité. Son administration affirme que le Brésil est une « démocratie raciale », une société sans racisme ni discrimination.

Dans le cadre de mes recherches sur la représentation politique des Afro-Brésiliens, j’ai découvert que beaucoup de gens considéraient que la vie des communautés de couleur s’améliorerait si davantage d’Afro-Brésiliens étaient au pouvoir.

J’ai interviewé des militants, des politiciens et des électeurs brésiliens en 2016 et en 2018. Beaucoup ont déclaré que les législateurs afro-brésiliens défendaient les intérêts des non-Blancs et donnaient la priorité à leurs besoins. Ils ont souligné les actions de politiciens comme Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro, qui a critiqué ouvertement la violence policière et a été assassinée en mars 2018.

Il existe des preuves pour étayer cette croyance. Mes recherches montrent que les législateurs afro-brésiliens se comportent effectivement différemment de leurs collègues blancs. Au Congrès, ils sont plus susceptibles de présenter des lois qui célèbrent l’identité noire, comme l’instauration d’une journée nationale de la conscience noire, et de proposer des projets de loi qui visent à lutter contre les disparités et la discrimination raciales.

Group of mostly Black senators listen to a speaker
Des sénateurs brésiliens commémorent la Journée de la conscience noire le 20 novembre 2016 ; elle est devenue une fête nationale en 2011. Lula Marques/Agência PT

« Je connais la position des Noirs dans ce pays », a déclaré Benedita da Silva, première femme noire membre du Congrès brésilien, dans une entrevue accordée au New York Times en 1987 à la suite de sa victoire électorale. « J’ai la responsabilité de m’exprimer sur les sujets que je connais — contre la discrimination raciale. »

Les 4 580 nouveaux législateurs afro-brésiliens qui sont entrés en fonction le 1er janvier après des années ou une vie complète vécue en tant que Blancs n’ont peut-être pas la même compréhension de l’identité noire ou ne ressentent pas la même responsabilité envers les communautés afro-brésiliennes.

Race, possibilités et authenticité

Paradoxalement, c’est sans doute une initiative en faveur de l’égalité des races qui a contribué au scandale politique du changement de race au Brésil.

João Ferreira Neto s’est présenté à la mairie de São João de Meriti en 2020 en tant que Métis. En 2016, il s’était déclaré Blanc. Camara deputados do Brasil

En septembre 2020, la plus haute cour électorale du Brésil a décidé que chaque parti politique devait répartir les ressources de campagne qu’il reçoit du gouvernement proportionnellement entre ses candidats blancs et non blancs, ce qui constitue une victoire majeure pour le mouvement de la conscience noire du pays. On présume que beaucoup de politiciens qui ont changé de race ont adopté des identités non blanches de manière opportuniste, pour obtenir ces ressources.

Certains politiciens qui s’identifient désormais comme afro-brésiliens rejettent cette idée, prétendant qu’ils embrassent enfin leur appartenance noire. Dans un pays où le fait d’être noir est un élément de stigmatisation, on sait que de nombreux Brésiliens ont affirmé être membres de catégories raciales qui subissent moins de préjudices lorsque cela leur était possible.

Ainsi, Moema Gramacho, mairesse de la ville de Lauro de Freitas dans le nord-est du pays, a indiqué vouloir « retrouver son identité » en changeant sa déclaration de 2016 où elle se disait Métisse pour inscrire Noire en 2020. « C’était une question d’affirmation de soi », a-t-elle confié au journal Folha de São Paulo.

Moema Gramacho, du Parti des travailleurs, qui se situe à gauche, s’est déclarée Noire lorsqu’elle s’est présentée à la mairie en 2020, mais s’était déclarée Métisse quand elle s’était portée candidate au Congrès du Brésil. Senado Federal/Comissão de Direitos Humanos e Legislação Participativa, CC BY

Les données du recensement montrent que de plus en plus de Brésiliens passent du blanc au noir, une tendance attribuée à l’augmentation du niveau d’éducation et de conscience raciale au cours des dernières décennies.

Mais de nombreux Brésiliens considèrent comme suspect le fait que tous ces politiciens redécouvrent leur appartenance raciale maintenant.

« Jusqu’à tout récemment, personne ne voulait être noir », a affirmé Lívia Zaruty, une personnalité noire des médias sociaux, dans une vidéo YouTube très regardée, en faisant référence à Gramacho. Maintenant qu’il y a un avantage financier, les gens pensent « Ah, je vais retrouver mes racines. »

Sur le papier, la fonction publique brésilienne compte aujourd’hui plus de gens qui déclarent être afro-brésiliens que jamais. Dans les faits, cette nation majoritairement noire se demande si elle a réellement fait un pas vers l’égalité raciale.

This article was originally published in English

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