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Une ligne de soldats en tenue de combat se trouve le long d'une crête qui domine une communauté.
Des soldats israéliens se trouvent près de la frontière de la bande de Gaza, dans le sud d’Israël, le 11 décembre 2023. (AP Photo/Ohad Zwigenberg)

Devrait-on envisager une administration transitoire pour Gaza ?

Le massacre perpétré contre Israël par le Hamas le 7 octobre dernier constitue un nouveau chapitre de la tragédie qu’est le conflit israélo-palestinien.

Depuis plus de 75 ans, on a vu trop d’occasions de parvenir à une paix durable être gâchées, que ce soit par l’intransigeance des uns, les excès extrémistes des autres, l’engagement asymétrique d’une tierce partie ou même le désintérêt mondial pour le conflit.

Le 12 décembre, 153 membres de l’Assemblée générale des Nations unies, dont le Canada, ont voté en faveur d’une résolution pour un cessez-le-feu. Dix membres ont voté contre la résolution, dont Israël et les États-Unis. Vendredi,les États-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies réclamant un cessez-le-feu.

Pourtant, le président américain Joe Biden a exprimé récemment son intention de résoudre le conflit :

otre objectif ne doit pas être simplement d’arrêter la guerre en cours, mais d’y mettre un terme définitif.

Ces développements, qui comprennent la détermination apparente des États-Unis à reprendre leurs efforts pour instaurer une paix durable entre Israéliens et Palestiniens pendant que des milliers de personnes meurent dans le conflit, nécessitent une réflexion sur ce que serait la ligne de conduite la plus efficace.

La moins mauvaise solution

Il est évident que les chances de succès peuvent sembler faibles. Mais y a-t-il d’autres options  ? Un retour au statu quo d’avant le 7 octobre consisterait à accepter la répétition à plus ou moins long terme d’un nouveau cycle de violence effroyable.

L’élimination de la menace posée par le Hamas ne peut se faire par une nouvelle occupation de la bande de Gaza par Israël, et encore moins par la disparition de tous les Palestiniens de l’enclave, comme le suggèrent les éléments les plus radicaux de la scène politique israélienne.

Le retour d’une autorité palestinienne inefficace et moribonde à la suite des opérations militaires des Forces de défense israéliennes à Gaza n’est pas crédible et est voué à l’échec.

Les pays arabes de la région ne veulent pas prendre en charge la sécurité et l’administration de Gaza, et l’ingérence d’une seule grande puissance étrangère comme les États-Unis constituerait une forme d’impérialisme.

Devant ces options inenvisageables, la meilleure solution – ou la moins mauvaise – semble être de mettre en place une administration transitoire à Gaza avec trois objectifs : assurer la sécurité, œuvrer à la reconstruction et jeter les bases d’une stabilité politique et d’un développement économique.

Ce modèle a fait ses preuves lors de la mission de pacification et de reconstruction au Timor oriental en 1999 et au Kosovo la même année. Les Nations unies pourraient même envisager de réactiver leur Conseil de tutelle, inactif depuis 1994.

Des soldats en tenue de combat dans une tranchée descendent d’un bateau sur une plage
Des Marines américains débarquent d’un véhicule amphibie sur une plage grecque en juin 1999, en vue d’une mission de maintien de la paix au Kosovo. (AP Photo/Andrew Medichini)

Conditions nécessaires

Pour garantir sa légitimité et disposer d’un mandat, une telle administration devrait reposer sur deux piliers impliquant le Conseil de sécurité des Nations unies : un accord régional en vertu du chapitre VIII de la Charte des Nations unies et la mise en œuvre d’une force d’imposition de la paix en vertu du chapitre VII afin de rétablir l’ordre et d’assurer la sécurité.

Une telle approche multinationale donnerait de l’espoir aux Gazaouis et rassurerait le gouvernement israélien sur le fait que le Hamas et d’autres groupes extrémistes ne pourront revenir.

À long terme, elle pourrait même favoriser l’émergence d’une administration du territoire pleine et fonctionnelle, offrant la perspective concrète d’une solution politique à ce vieux conflit avec la création d’un État palestinien (qui commencerait par Gaza et s’étendrait à la Cisjordanie).

Le succès d’une telle approche, comme ce fut le cas par le passé en Bosnie et au Kosovo (avec la participation de l’OTAN et de l’Union européenne), repose sur l’instauration d’une force de maintien de la paix dotée d’un mandat fort du Conseil de sécurité de l’ONU.

Cette force devrait être suffisamment importante pour assurer la sécurité et, si nécessaire, imposer la paix – ce qui signifie au moins 50 000 soldats de l’ONU bien armés, bien coordonnés, avec des règles d’engagement claires, fournis par les pays participants (sans la Russie, pour des raisons évidentes) et placés sous un commandement unique désigné par le Conseil, comme cela a été le cas pendant la guerre de Corée.

Cette dernière exigence est primordiale pour empêcher que ne se reproduise le scénario catastrophique de l’intervention ratée en Somalie en 1993. La création d’une telle structure militaire bien intégrée et bien organisée est absolument essentielle pour éviter toute paralysie décisionnelle.

Une photo en noir et blanc montre des soldats lourdement armés regardant dans un bâtiment blanc et surveillant une route
Sur cette photo de février 1993, des Marines américains avancent à la recherche d’un homme armé qui leur a tiré dessus à Mogadiscio, en Somalie. (AP Photo/Tannen Maury, File)

Perspectives économiques

Reconstruire Gaza et offrir des perspectives économiques à ses habitants nécessitera évidemment des ressources financières considérables.

Une administration transitoire, ou même un Conseil de tutelle remanié, devraient amasser des sommes importantes et rendre compte régulièrement de l’utilisation de ces fonds (ainsi que de l’évolution de la sécurité dans la région).

Les fonds pourraient être fournis par les puissances occidentales habituelles, mais aussi les riches pays du Golfe, qui seraient peut-être disposés à aider financièrement les Palestiniens sans avoir à s’impliquer outre mesure sur le plan politique, afin de ne pas nuire à l’amélioration de leurs relations avec Israël.

Des institutions internationales telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement devraient également participer – une tâche plus facile si elle s’inscrit dans un cadre et une mission sous l’égide des Nations unies.

Le retour du Canada  ?

Les plus cyniques ou les plus pessimistes diront que la mise en place d’une telle initiative est trop complexe et vouée à l’échec.

Nous suggérons au premier ministre Justin Trudeau qu’il se porte à la défense d’une telle administration transitoire, qu’il parcoure le monde pour en vanter les mérites, s’engage à ce que le Canada participe activement à la création d’une force internationale de maintien de la paix et propose au Conseil de sécurité la relance du Conseil de tutelle pour Gaza.

Il devrait solliciter le soutien de notre puissant voisin et convaincre les États-Unis d’investir dans l’infrastructure de commandement de cette nouvelle mission, ce qui contribuerait probablement à rassurer Israël sur le sérieux d’une telle approche.

A se tient devant un drapeau canadien et un drapeau israélien et derrière un podium portant une bannière
Le premier ministre Justin Trudeau dénonce l’antisémitisme lors d’une conférence à Ottawa, en octobre 2023. La Presse canadienne/Justin Tang

M. Trudeau pourrait obtenir l’appui de l’Europe et tenter de rallier les dirigeants des pays du Sud, notamment le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et le premier ministre indien Narendra Modi (ce qui pourrait aussi servir à apaiser les tensions entre le Canada et l’Inde).

Georges Clemenceau, chef du gouvernement français à la fin de la Première Guerre mondiale, a affirmé qu’il était plus facile de faire la guerre que la paix. La durée du conflit israélo-palestinien en témoigne.

Mais compte tenu de l’ampleur de la violence qui a enflammé la région à partir du 7 octobre, il est urgent que le monde trouve un moyen d’instaurer une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.

Les pertes horribles et incessantes de vies humaines nous obligent à faire preuve d’ambition. La sécurité de l’ensemble du Moyen-Orient est en jeu, et le fait de passer à l’action pourrait contribuer à apaiser les tensions au sein des sociétés occidentales, de plus en plus divisées par le conflit.

C’est aussi l’occasion pour le Canada de faire un véritable « retour » sur la scène internationale. Participer à la résolution du conflit correspond parfaitement aux valeurs canadiennes.

This article was originally published in English

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