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Donald Trump aux commandes, ou la stratégie du flou

Prestation de serment, le 20 janvier 2017, à Washington. Mandel Ngan / AFP

« This is real life, this is really happening, You cannot switch to another channel… » (« Il s’agit bien de la réalité, c’est vraiment en train de se passer, vous n’avez pas la possibilité de changer de chaîne… »)

Donald Trump a été investi, le 20 janvier, 45e Président des États-Unis. Non sans ironie pour l’Histoire, il a prêté serment sur la bible de Lincoln, premier Président issu du Parti républicain. Rien de commun, cependant, entre ces deux hommes. « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance », disait Lincoln.

Celui qui est aujourd’hui pour quatre ans, si tout va bien pour lui, aux manettes de la première puissance économique mondiale ne connaît aucun sujet sociétal, géopolitique, économique de fond. Envisage-t-il de combler ses lacunes pour suivre les dossiers de près avec ses collaborateurs, ses ministres et le Congrès ? Rien ne l’indique.

Un claquement de doigts et deux tweets

On peut faire l’hypothèse que la technicité des sujets de l’agenda, et surtout des règles institutionnelles à respecter pour les traiter l’ennuie profondément. Pense-t-il réellement qu’en un claquement de doigts et deux tweets il peut contraindre la Chambre des représentants et le Sénat à supprimer et remplacer en quelques semaines l’Obamacare ? Sans doute que non. Mais cet exemple est emblématique de la gouvernance et de la communication – jusqu’ici – incantatoires de Trump.

Autant les congressistes sont majoritairement – mais pas tous – en faveur du repeal (suppression) de l’Affordable Care Act, autant les mêmes s’inquiètent de la transition. Il faudra, en effet, éviter que des dizaines de millions d’Américains ne soient plus couverts par aucune assurance le temps qu’une autre loi soit éventuellement votée et appliquée, sinon ce sera une régression immense, conduisant à une situation pire qu’avant l’Obamacare.

Les représentants comme les sénateurs concernés par une remise en jeu de leur mandat en novembre 2018, pour les midterms, n’ont aucune envie de s’aliéner leur électorat. En tout état de cause, les juristes estiment à des mois et sans doute des années le remplacement de la réforme emblématique de Barack Obama, si tant est que ce remplacement ait lieu. 60 voix au Sénat seront nécessaires pour substituer aux principaux articles de nouveaux dispositifs, et les Républicains n’y ont aujourd’hui que 52 sièges sur 100.

Quelle gouvernance ?

Outre les règles du temps politique, Trump devra accepter de ne pas gouverner seul et ce ne sera pas chose aisée. On ne connaît toujours pas précisément les contours de son (éventuel) programme ; seulement quelques grandes lignes, souvent contradictoires. On le voit tout de même plus en soutien du big business que de l’ouvrier blanc peu diplômé. Comment mettre en place un grand chantier d’infrastructures financé sur fonds publics (fédéraux ?) tout en baissant les impôts ? Quel(s) autre(s) budget(s) risque(nt) d’être amputé(s) ? Comment à la fois opérer un rapprochement géopolitique et économique avec la Russie sans fragiliser la sécurité des États-Unis et tout remettant en cause l’accord sur le nucléaire iranien ? Comment concilier des dérégulations massives dans l’économie et un protectionnisme agressif ? Tout est flou chez Trump, rien n’est pensé ni anticipé en détail. On ne sait pas ce qui va arriver. Ce flou entretenu participe d’une stratégie. Mystification ou incompétence ? Sans doute les deux.

Peut-être a-t-il en tête une nouvelle gouvernance : donner des directives que doivent exécuter ses ministres et les parlementaires, comme il donnait jusqu’ici des ordres à ses employés… Il a réussi à remporter l’élection par un bouleversement des codes, du style et des usages. Sans doute pense-t-il que cela continuera au moins un temps, maintenant qu’il est au pouvoir.

Mais le risque est grand, pour lui, d’être mis en difficulté, et même contredit par le Congrès qui, contrairement à lui, connaît le jeu politique sur le bout des doigts. Quant à la possibilité qu’il devienne la marionnette du Parti républicain, du gouvernement, et même d’une puissance étrangère, la Russie de Poutine, elle est importante elle aussi.

La société civile, principal opposant

Ce 20 janvier 2017, à Washington, dans son inaugural address, Donald Trump a lu un discours de campagne. Il a aussi envoyé un timide message d’unité à l’Amérique. Le service minimum. Cette promesse est en tous points contradictoire avec ses déclarations – anciennes et nouvelles – qui incitent au clivage, à la division, à la haine. Or l’unité de se décrète pas. Trump devra montrer par les actes qu’il croit en ce qu’il dit, « qu’on soit noir, blanc ou brun, nous avons tous en nos veines le sang des patriotes » (extrait de son discours d’investiture).

Sa salve la plus récente visait John Lewis, l’ancien militant des droits civiques, qui a dit publiquement qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture. Trump, qui ne supporte d’être contredit, critiqué, et même boudé, a accusé Lewis de n’avoir jamais rien fait de concret dans sa carrière… Ce qui a suscité un vaste mouvement d’indignation.

Activistes anti-racistes, défenseurs de l’environnement, opposants au libre port d’armes, militants LGBT et féministes se mobilisent. Pour l’heure, Trump affiche – simple apparence ? – son mépris à leur égard mais il devra rapidement les observer de près, les prendre au sérieux car c’est de la société civile que viendra l’opposition la plus farouche à son action. Surtout à court terme.

Pour son discours d’investiture, Trump s’est également mis en scène, une fois de plus, dans le style viriliste, vulgaire et mégalomane qu’il affectionne. Sans nuance aucune, il n’a cessé de rappeler, ces dernières semaines, qu’il compte liquider l’héritage d’Obama. Attendons de voir ce que cela signifie concrètement, au-delà des formules, qui finiront par lasser ses plus ardents supporters.

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