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Dopage : pourquoi plutôt raisonner à partir du concept de « fake perfs » ?

Changer de vision… Fielmann AG

Les pratiques dopantes existent depuis la nuit des temps et aujourd’hui le mot dopage fait plus que jamais partie de notre paysage quotidien. Une simple recherche de ce vocable via Google permet d’obtenir environ 7 millions d’occurrences en français et environ 53 millions d’occurrences en anglais. À première vue, son omniprésence dans la réalité traditionnelle et virtuelle représente un signe de bon augure pour avoir pleinement conscience dudit phénomène. Malheureusement, le statu quo règne en maître lorsque l’on s’intéresse assidûment au dopage et à la lutte antidopage dans le sport. L’objet de l’article consiste précisément à traiter ce paradoxe. Formulée en surface, la problématique associée ambitionne de contribuer à la transformation positive du milieu sportif en profondeur : Le mot dopage ne matérialise-t-il pas le premier frein à l’éradication du fléau qu’il sous-entend ?

Une sensibilisation au dopage tardive et vite épuisée

Très longtemps gardé comme un secret de Polichinelle, deux événements tragiques en particulier ont contraint les autorités politiques et sportives à prêter attention au dopage. Le premier d’ordre individuel concerne la mort subite médiatisée de Thomas Simpson, durant le Tour de France 1967, en raison des amphétamines ingurgitées entre autres. Le second d’ordre collectif concerne le dopage massif en République démocratique allemande, notamment entre 1970 et 1990, provoquant des effets désastreux chez de nombreux sportifs impliqués et leur descendance.

Comme si cela ne suffisait pas encore, il a fallu attendre l’affaire docteur Eric Ryckaert (affaire Festina) survenue en 1998 pour déclencher la création en 1999 de la première institution en charge de lutter contre le dopage, dénommée l’Agence mondiale antidopage. Dès lors, au lieu de faiblir, le dopage a bizarrement redoublé d’intensité ce qui a scellé le sort de sa sensibilisation qui fut en réalité quasiment mort-née.

Une désensibilisation au dopage perpétuelle et forcenée

Le dopage n’a jamais été pris au sérieux excepté à l’occasion de quelques épisodes sombres de l’histoire du sport. Après mûre réflexion, force est de reconnaître que la grande majorité d’entre nous est désensibilisée au dopage ou sur le point de l’être. Trois principaux facteurs explicatifs permettent de saisir ce qui conduit à cet état.

Premièrement, le fait qu’un être humain soit régulièrement exposé dans la durée à des affaires de dopage le rend de moins en moins réceptif au dopage voire plus du tout. Pour preuve, il ne se passe pas un jour sans que ce sujet soit évoqué dans l’actualité internationale.

Deuxièmement, les plus hautes personnalités du domaine, parmi lesquelles figurent le président de l’AMA Craig Reedie et le président du CIO Thomas Bach, nous rappellent inlassablement leur complaisance à l’unisson vis-à-vis du dopage. Devant une telle légèreté uniformisée, il devient délicat de ne pas faire le deuil de cette noble cause puisque les premiers intéressés ont abdiqué.

Troisièmement, le mot dopage ainsi que sa définition : « Action de doper (une personne, un animal), de se doper afin de fournir un effort, d’augmenter un rendement », apparaissent si anodins qu’il ne convient pas d’y attacher de l’importance et de s’en méfier.

Une resensibilisation au dopage urgente et salutaire

Parmi les facteurs précédemment cités, le troisième possède de loin le potentiel d’impact le plus rapide et le plus élevé. Cette partie explicite donc le traitement administré au mot dopage en vue de nous resensibiliser. En préambule, le problème réside dans le décalage béant entre la façade de ces six lettres et les coulisses de ce fléau. En d’autres termes, ce mot n’est pas du tout aligné sur la réalité qu’il désigne et entrave ainsi la perception du phénomène à notre grand détriment. Depuis toujours, on raisonne uniquement selon le mot dopage alors qu’il n’est qu’un moyen et on passe sous silence l’essentiel, c’est-à-dire le résultat qu’il génère.

En se référant exclusivement à ce moyen, on adoucit, minimise, néglige, et perd de vue la réalité jusqu’ici indicible qu’il permet. Cela nous immunise à tort contre les violations des règles antidopage avérées et les performances sportives qui n’auraient pas dû exister car réalisées artificiellement et illicitement. Par conséquent, il faut renommer ce fléau pour atteindre un alignement juste entre le mot et la chose. La réponse à la question qui suit correspond au nom du nouveau concept proposé.

Quel est le résultat obtenu par les sportifs qui trichent au moyen du dopage ? Des « fake perfs ». Ce sont des performances, réalisées par des sportifs, apparemment valides mais en réalité acquises en trichant par le biais de substances et/ou de méthodes dopantes. Il est préférable d’employer fake perfs au pluriel mais il peut être aussi utilisé au singulier comme ceci : « fake perf. ». L’histoire du sport regorge de fake perfs entérinées comme des performances légitimes étant donné que leur caractère artificiel et illicite n’a pas été suffisamment démontré ou n’a pas été décelé à temps. Nommer d’emblée le concept en anglais s’impose pour deux raisons :

  • La lutte antidopage opère à l’échelle mondiale.

  • Il faut le rendre rapidement compréhensible par le maximum de personnes.

Ne surtout pas associer fake perfs avec fake news

En découvrant fake perfs, vous avez peut-être fait le rapprochement avec fake news. Cette association est tentante du fait de leur perversité commune via l’adjectif fake mais il faut y résister parce qu’ils se situent à deux niveaux différents dans leur domaine respectif. Le tableau ci-dessous offre une comparaison entre les deux et met en évidence un nouvel impensé, symbolisé par un point d’interrogation. Bien que les fake news ne soient pas le cœur du sujet, il ressort de cette comparaison un point critique que je ne peux me résoudre à évacuer sur-le-champ. De manière succincte, je prédis donc un triste destin au mot fake news car il subira vraisemblablement le même sort que le mot dopage vu que les deux ne véhiculent qu’un moyen. Selon moi, la seule façon de conjurer son sort est de procéder au même exercice effectué ici en répondant à cette nouvelle question : quel est le résultat obtenu par les gens qui trompent au moyen de fake news ? La réponse devrait apporter un concept précieux pour éclairer sainement les citoyens en proie au doute.

Une nouvelle grille de lecture pour une vision nette

Aux sempiternels discours fallacieux des partisans affichés et non affichés des pratiques dopantes dans le sport, j’objecte que nous sommes en 2019 et que la lutte antidopage dispose de nombreuses ressources et capacités au niveau mondial pour combattre d’arrache-pied les fake perfs. Ce texte s’inscrit dans cette voie pour renforcer une noble cause malmenée et en souffrance depuis son origine.

En référence à la photo d’illustration, nous pourrions ainsi évoluer du stade de l’amétropie (vision floue) à celui de l’emmétropie (vision nette) grâce à cette nouvelle grille de lecture (paire de lunettes). En clair, l’adoption de fake perfs dans nos esprits marquerait une avancée significative vers une acculturation au sport propre et plus globalement à la performance éthique car le milieu sportif et la société s’inspirent et s’alimentent mutuellement.

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