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Une jeune femme assise sur une chaise, genoux repliés, l'air songeuse
Le Canada s'est dotée d'une charte afin de protéger les victimes d'actes criminels. Mais sa portée et ses pouvoirs sont insuffisants. (Shutterstock)

Droits des victimes : l’Ombudsman fédéral est une institution nécessaire, mais insuffisante

Les droits des victimes sont-ils bien protégés au pays ?

La Loi visant la reconnaissance des droits des victimes, encore appelée Charte canadienne des droits des victimes, avait fait naître, lors de son adoption en 2015, des attentes et suscité beaucoup d’espoir chez les victimes d’actes criminels et chez les organisations qui ont milité en faveur de son adoption.

Parmi celles-ci, l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, qui vient tout juste de prendre sa retraite du sénat et qui a été l’un des instigateurs de cette Charte.

Toutefois, malgré son statut de loi quasi constitutionnelle, c’est-à-dire ayant un rang semblable à celui d’une constitution, la Charte ne fait qu’énumérer une série de directives que doivent prendre en compte, selon leur bon vouloir, les acteurs du système de justice pénale, sans qu’il soit possible de les y contraindre.

Or, sans une autorité spécialement dédiée à assurer que la Charte soit mise en œuvre, les victimes doivent s’en remettre au Bureau de l’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC).

Mes travaux à l’École de criminologie de l’Université de Montréal sur les droits des victimes d’actes criminels me portent à m’intéresser au mandat et à l’efficacité du BOFVAC dans la réalisation des droits des victimes, enchâssés par la Charte.

Le mandat du BOFVAC

Le BOFVAC a initialement vu le jour pour accompagner le système de justice pénale dans la mise en œuvre du cadre canadien des droits des victimes.

Son mandat s’étend désormais à la Charte.

Celle-ci défend les victimes d’actes criminels en leur consacrant quatre droits importants dans le cadre de la justice criminelle, à savoir le droit à l’information, à la protection, à la participation et au dédommagement.

La victime et fondatrice de La Maison Guerrières Martine Jeanson, à gauche, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu et la victime de violence conjugale Diane Tremblay, lors d’une conférence de presse à Ottawa, le 30 mars 2021. Boisvenu a consacré l’essentiel de sa carrière politique à militer en faveur des droits des victimes. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Elle ne fait pas spécifiquement mention au BOFVAC comme d’une institution dédiée à sa mise en œuvre. C’est par interprétation des dispositions de la Charte et du décret qui le crée que cet organisme intervient en faveur des droits des victimes.

Ainsi, en cas de négation ou de violation de ses droits garantis par la Charte, la victime doit d’abord s’en référer au mécanisme d’examen des plaintes applicable à l’entité fédérale à laquelle elle reproche cette négation ou cette violation.

Le rôle du BOFVAC est donc d’assurer l’harmonisation et la cohérence de l’application de la Charte au sein de l’appareil fédéral en jetant un regard indépendant sur le traitement de la plainte de la victime. Il peut formuler des recommandations correctives et en informer la victime.

Les plaintes traitées de manière insatisfaisante par la GRC font exception, pouvant être renvoyées au processus plus contraignant de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, un organisme indépendant établi par le Parlement du Canada en 1988.

Hormis le traitement de plaintes des victimes, le BOFVAC fait la promotion auprès des victimes de l’accès aux programmes et services que les entités fédérales leur destinent. Il facilite leur accès à ces services en leur fournissant l’information et le soutien dont elles peuvent avoir besoin.

À l’intervention directe auprès des victimes d’actes criminels, s’ajoute le rôle stratégique de faire connaître les préoccupations et besoins généraux des victimes aux décideurs politiques. Le BOFVAC peut entreprendre des recherches, ainsi que mener des enquêtes et des actions sur des enjeux et problèmes systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d’actes criminels. Il peut se prononcer sur des questions d’actualité aussi brûlantes que celle survenue à l’automne 2023 concernant le transfert des délinquants fédéraux.

Ses rapports systémiques et spéciaux permettent d’attirer l’attention des législateurs sur des dimensions négligées des droits des victimes d’actes criminels.

Les limites de l’institution

En dépit du rôle crucial qu’il joue dans la mise en œuvre des droits des victimes d’actes criminels, le BOFVAC ne suffit pas à faire de ces droits une réalité dans leur quotidien. Voici les trois principales insuffisances de l’organisme :

1. Des recommandations seulement

L’insuffisance la plus importante résulte dans les limites de son pouvoir. Qu’il agisse en réponse à une plainte ou qu’il intervienne de manière stratégique, l’Ombudsman ne peut émettre que des recommandations. La victime informée de la prise de ces recommandations n’a pas d’autres recours que d’espérer qu’elles soient mises en œuvre.

L’Ombudsman possède pour seul moyen de pression le pouvoir de rendre public un rapport lorsque l’entité fédérale ne donne pas favorablement suite à ses recommandations de prendre des mesures correctives. L’absence de force des recommandations du BOFVAC pourrait expliquer que les victimes se soient peu prévalues des mécanismes de plainte.

2. Au Canada… mais pas dans les provinces

Le BOFVAC a la compétence de mettre en œuvre la Charte des droits des victimes mais aux seules entités fédérales. Or, en tant que Loi du Parlement, on s’attendrait à une application uniforme de la Charte à l’ensemble du Canada.

À l’échelle fédérale, bien qu’intervenant ou susceptible d’intervenir en matière de justice pénale, des organismes fédéraux ne se rapportent pas au BOFVAC. Il en est du Conseil canadien de la magistrature, du Service des poursuites pénales du Canada et de la GRC. L’Ombudsman ne peut non plus intervenir à l’égard d’entités provinciales en charge de l’administration de la justice pénale, ce qui a pour conséquence une disparité de traitement des victimes selon le pallier de gouvernement qui méconnaît ou viole leurs droits.

3. Une apparence de manque d’indépendance

Enfin, l’une des plus importantes insuffisances du BOFVAC découle de son institution au sein du ministère de la Justice. Cela affecte son indépendance d’un point de vue administratif, mais surtout financier.

L’Ombudsman rend compte de ses activités au même ministre de la Justice dont il est censé juger de la conformité des actions au regard des normes de traitement des victimes d’actes criminels. Si les personnes qui ont jusqu’ici occupé ce poste jouissent d’une grande intégrité morale et professionnelle, il n’en demeure pas moins que l’apparence de manque d’indépendance affecte leur crédibilité auprès du public. En étant surtout une institution du ministère de la Justice, l’Ombudsman ne jouit pas d’un budget autonome. Il est donc tributaire des choix stratégiques de son ministère.

En attendant de consacrer des droits véritablement effectifs que les victimes peuvent mettre en œuvre elles-mêmes devant les tribunaux, le législateur pourrait commencer par faire du BOFVAC un organe indépendant relevant du Parlement canadien, qui soit en mesure de défendre son propre budget et de l’administrer de manière autonome.

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