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Du « Jour du Seigneur » aux croisades morales de CNews

Le Jour du Seigneur vient de fêter ses 75 ans. Émission emblématique du service public par sa longévité, elle s’inscrit dans un processus ancien d’influence de l’Église au sein des médias. Si les émissions religieuses font désormais partie du « patrimoine » de la télévision publique, elles ne manquent pas d’interroger le principe de laïcité.

Des causeries religieuses aux radio-sermons

Les émissions religieuses illustrent la rapidité avec laquelle l’Église catholique a su s’adapter à l’évolution des médias pour étendre son influence. Ce sont essentiellement les dominicains, appartenant à l’Ordre prêcheur (OP), congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui vont être les fers de lance du mouvement d’influence.

À partir de 1927, la station Radio-Paris retransmet les conférences de Notre-Dame et diffuse chaque dimanche 20 minutes de prédication catholique, appelée la « causerie religieuse ». Au 1er janvier 1934, suite à la décision du gouvernement français de racheter Radio-Paris afin d’en faire une radio nationale publique, les émissions religieuses sont supprimées au nom de la neutralité de l’État malgré les critiques rejetant un « laïcisme outrancier".

C’était sans compter l’influence des dominicains : elles sont rétablies à Pâques la même année… À partir de cette date, les prédications « radio-sermons », sorte de discours simples, directs, familiers, à la portée de tous, fleurissent sur les radios d’État ou privées.

L’introduction de la messe est plus tardive. En 1935, une campagne est menée par des auditeurs et des personnalités de confession catholique auprès du ministre des PTT pour la diffusion d’une messe hebdomadaire. Mais la radio d’État résiste au motif que l’expression religieuse à la radio doit être soumise aux principes de laïcité et de neutralité. Les dominicains orchestrent alors une campagne de communication et obtiennent ainsi à la Pentecôte 1938 que Radio-37, nouvelle radio privée en quête d’audience, diffuse en direct la messe.

Après la libération, la radiodiffusion française (RTF) devient monopole d’État. Néanmoins, dès octobre 1944, la messe est diffusée sur les antennes et des programmes spéciaux ont lieu pour les événements catholiques.

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L’introduction des émissions religieuses à la télévision

Dans les années 1950, dans une télévision française naissante, les premiers programmes de télévision accordent sans tarder une place et une attention particulières aux émissions à caractère religieux.

Cette présence du religieux est essentiellement due à l’action conjointe du père Pichard, dominicain, et celle de Jean d’Arcy, alors chargé de mission au cabinet de François Mitterrand, secrétaire d’État chargé de l’information auprès du président du Conseil. Si Jean d’Arcy défend le choix des 819 lignes, technique de qualité qui rendrait la France compétitive, le père Pichard entend prioritairement mettre la technique au service de l’unité chrétienne. Ancien résistant, Jean d’Arcy considère aussi ce nouveau média comme instrument de lien et de communication entre les peuples, susceptible de répondre aux besoins spirituels du public :

« Grâce à la Télévision, qui apporte un spectacle complet, maintenant, à domicile, nous pouvons apporter la satisfaction de ces besoins intellectuels et spirituels, qui ne sont plus réservés ainsi aux classes riches, aux classes aisées, comme c’était le cas jusqu’à maintenant. C’est en cela que nous sommes un service, et un service public. » (stage international des réalisateurs, 21/10/1957. Fonds J. d’Arcy)

La première messe télévisée

En 1948 est diffusé le premier direct extérieur de la télévision française : il s’agit la messe de Noël en direct de la cathédrale Notre-Dame, la première messe télévisée au monde. Quant au premier discours à la télévision française, c’est celui du Pape Pie XII, diffusé le 17 avril 1949.

À partir du 9 octobre 1949, la télévision française émet 17 heures de programme par semaine. Parmi celles-ci : une heure et demie de programmes religieux catholiques, soit 9 % du temps d’antenne. Le père Pichard, engagé par contrat « en qualité de collaborateur artistique » est rémunéré pour exercer des fonctions de conseiller ecclésiastique à la télévision, ce qui constitue un certain nombre d’entorses au principe de laïcité.

Jean d’Arcy, devenu directeur des programmes de la RTF (radiodiffusion-télévision française) en 1952, continue de s’intéresser au développement de la télévision catholique en même temps qu’à celui de l’Eurovision, toutes deux destinées à créer « une communauté spirituelle entre les peuples » selon lui. Ses discours attestent ainsi de la place des courants d’inspiration chrétienne dans la construction de la première télévision.

Le débat autour de la compatibilité des émissions religieuses avec le principe de laïcité reprendra de la vigueur après que la RTF, le 5 décembre 1954, décide de diffuser tous les dimanches à la télévision Le Jour du Seigneur, un magazine et une messe catholiques en direct. En l’absence de cadre légal, au nom du principe de neutralité du service public mais aussi pour faire taire les critiques, les responsables proposent au président de la Fédération protestante de France une émission « Présence protestante » dès 1955 dans la grille des programmes. D’autres religions et courants spirituels suivront : La Source de vie (judaïsme, 1962), Orthodoxie (1963), Foi et traditions des chrétiens orientaux (1965), rejoints par l’Islam (1983) et le Bouddhisme (1996).

Émissions religieuses : une entorse au principe de laïcité ?

Il faut attendre la loi du 7 août 1974 pour que soit consacré un « égal accès à l’expression des principales tendances de pensée et des grands courants de l’opinion ». Plus tard, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit et encadre juridiquement la programmation des émissions religieuses (article 56). Cette loi impose à France Télévisions de programmer et de participer financièrement à la réalisation d’émissions religieuses consacrées aux principaux cultes.

La diffusion de programmes religieux est donc rendue possible en droit français par une interprétation du principe de neutralité du service public audiovisuel : l’idée est que le pluralisme dans le contenu de l’audiovisuel public est une garantie de cette neutralité. Il en résulte que c’est bien la loi qui prévoit les émissions religieuses, sur la base de la Constitution, et cela sans que puisse être opposée la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Selon le législateur, les programmes à caractère religieux à la télévision publique participent à la formation des divers courants d’opinions des citoyens, et revêtent ainsi le caractère d’une mission de service public.

Si la neutralité du service public audiovisuel suppose la représentation de tous les courants de pensée, c’est le juge qui doit délimiter les contours de cette notion en cas de conflits. En 1980, Le Conseil d’État a rejeté une demande tendant à bénéficier d’un même espace d’expression au bénéfice des athées, en jugeant que le principe d’égalité de traitement des grands courants d’opinion « ne fait pas obstacle à ce que des émissions particulières soient consacrées à l’expression de certaines formes de pensée et de croyance ».

Dans la pratique, les émissions religieuses sont diffusées le dimanche matin entre 8 h 30 et 12 h, et réunissent en moyenne 8,5 % de part d’audience. Le Jour du Seigneur, émission co-produite avec le comité français de radio-télévision (CFRT), association dominicaine en charge du programme, bénéfice d’une heure trente tous les dimanches avec une audience de 600 000 personnes soit 11,4 % de parts d’audience, en baisse depuis plusieurs années. Cela est peu au regard des 1,8 M d’abonnés du compte du Pape François sur X (ex Twitter)

Un monopole du sens ?

Comme le rappelle Regis Debray, on ne saurait reconnaître aux religions un quelconque monopole du sens. Pour ce qui relie l’individu au temps, au cosmos et à ses congénères, les religions instituées n’ont ni exclusivité ni supériorité a priori. Les réponses profanes aux questions que posent la fin de vie, l’interruption volontaire de grossesse, le mariage pour tous, l’origine et la finalité de l’univers, contribuent pleinement à la formation du sens. Il faut ainsi faire le partage entre le religieux comme objet de culture (entrant dans le cahier des charges de la télévision publique qui a pour mission de permettre de comprendre l’apport des différentes religions à l’institution symbolique de l’humanité) et le religieux comme objet de culte (pratique personnelle dans le cadre d’associations privées). On peut légitimement s’interroger sur la place de retransmissions de prières collectives à la télévision de service public.

CNews et croisade morale

Enfin, si les émissions religieuses du service public sont bien encadrées par la loi, quoiqu’en porte-à-faux avec la représentation d’une République incarnant l’émancipation du service public à l’égard du religieux, la présence de journalistes d’opinion au sein de chaînes privées interroge peut-être plus encore la laïcité.

Avec l’émission « En quête d’esprit » animée par Aymeric Pourbaix, journaliste du magazine France Catholique, diffusée chaque dimanche, CNews entend « aborder l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique » et plus précisément défend une ligne éditoriale chrétienne affirmée. À titre d’exemple, le 12 mars 2023, à l’occasion du projet d’inscription dans la Constitution de la loi « Veil » relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), l’animateur qualifie l’IVG de « dogme » et défend « la place du pardon et de la miséricorde divine ». Une attaque au droit fondamental de la femme à disposer de son corps.

Faut-il rappeler que la laïcité est la garantie de la liberté de conscience, indépassable outil au service de l’émancipation des hommes et des femmes, ciment de la citoyenneté et de l’égalité de tous vis-à-vis de tous ? L’esprit critique est alors indispensable pour décrypter au sein des médias et sur les réseaux sociaux les discours dogmatiques et manœuvres d’influence, offrant un terrain fertile aux attaques à la laïcité et à la désinformation active dans le domaine.

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