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Écoles et Covid-19 : l’État se défausse-t-il sur les collectivités territoriales ?

La lutte contre l'épidémie de Covid-19 impose de nouvelles contraintes matérielles du côté des élèves comme des écoles. Shutterstock

En matière d’affaires scolaires, l’État essaierait-il d’échapper à ses responsabilités pour les faire peser sur les régions, villes et départements ? La question se pose face aux mesures matérielles envisagées pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Le 22 avril dernier, les collectivités territoriales ont été « encouragées » par le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer à équiper les établissements scolaires en capteurs de CO2 et purificateurs d’air, lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre et ses homologues de la Santé et de l’Intérieur.

Un capteur de CO2 vaut entre 80 euros et 300 euros, et il en faudrait un par salle de classe. Il y a un certain nombre de salles dans chacun des 61510 établissements de France, sans compter les réfectoires, les halls, les bibliothèques qu’il faudrait aussi logiquement équiper.

On voit l’ampleur du problème à résoudre non seulement pour ce qui concerne la production industrielle à mettre en place, mais aussi quant à sa dimension financière qui s’ajouterait aux efforts de plus en plus conséquents consentis de fait par les collectivités territoriales.

Loi de décentralisation

En 1980, à la veille de la loi de « décentralisation », la part des collectivités territoriales dans les dépenses intérieures d’éducation était de 14 %. Elle atteint actuellement 24 % selon les statistiques ministérielles.

Covid-19 : Amiens installe des capteurs de CO₂ dans une cantine scolaire (AFP, mai 2021).

On aurait pu croire que les principes de base de ce qui a été appelé « la décentralisation » avaient été dûment et solidement établis dans le cadre de la réforme institutionnelle mise en œuvre à partir de la loi du 2 mars 1982, initiée notamment par le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy, Gaston Defferre. Une nouvelle collectivité territoriale est alors créée : la région.

Il y a transfert à l’ensemble des collectivités (régions, départements et communes) de plus grandes responsabilités exercées plus librement : les procédures du contrôle a priori sont supprimées et les décisions prises sont immédiatement exécutoires. Les régions ont en charge les lycées ; les conseils généraux (appelés maintenant conseils départementaux), les collèges ; les communes, les écoles.

Chaque niveau de collectivités reçoit un même bloc de compétences : construction, reconstruction, extension, fonctionnement des établissements scolaires. Et une plus grande participation des collectivités territoriales aux décisions est instituée au sein des établissements scolaires et dans les conseils situés au niveau départemental ou académique.

L’État se réserve un certain nombre de compétences (et des pouvoirs importants) :

  • les programmes et les horaires d’enseignement ;

  • les conditions d’obtention des diplômes et l’organisation des examens du second degré ;

  • le contrôle des enseignements scolaires par plusieurs corps d’inspection ;

  • la gestion et la rémunération des personnels enseignants et de certains personnels non enseignants notamment.

La règle la plus générale est finalement celle des compétences partagées, dans la mesure où l’État conserve la responsabilité du service public d’enseignement (qui est inscrite dans le préambule de la Constitution : « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir d’État »).

En principe, les compétences respectives de l’État et des collectivités territoriales sont clairement délimitées, l’État faisant de la fixation des programmes et de la gestion pédagogique son domaine réservé. Mais des interférences sont possibles. Et aussi des extensions assez inattendues du rôle effectif des collectivités territoriales.

Développement de l’enseignement supérieur

Cette extension du rôle des collectivités commence très tôt et très fort avec le rôle qu’elles vont finalement assumer dans l’accélération du développement des enseignements supérieurs alors que ceux-ci ne faisaient pas du tout partie de leurs attributions définies par la loi de « décentralisation »…

Dès le mois de mai 1990, le gouvernement annonce son intention d’engager 16 milliards de francs entre 1991 et 1995 pour développer l’enseignement supérieur, construire 1,5 million de mètres carrés de locaux supplémentaires, des milliers de places de bibliothèque universitaires, des locaux de recherche, des logements et restaurants universitaires. Et il sollicite une aide complémentaire des collectivités locales de l’ordre de 7 milliards de francs.

Au terme de longues négociations, menées de l’été 1990 au mois de janvier 1992, région par région, et entérinées par trois comités interministériels d’aménagement du territoire, ce sont finalement 16 milliards de francs (autant que l’État) que les régions, les départements et les villes (à part à peu près égales) apportent, portant l’enveloppe à 32 milliards de francs, un chiffre vraiment considérable.

Les collectivités territoriales y ont gagné la délégation de maîtrise d’ouvrage sur des équipements souvent prestigieux dont elles pourront se prévaloir. Elles ont pu peser de tout leur poids sur la future carte universitaire, en implantant des formations d’enseignement supérieur dans les villes moyennes (IUT, sections de techniciens supérieurs, antennes voire embryons d’universités).

Enfin, elles ont de fait été associées à la définition des filières et des formations nouvelles, en particulier en ce qui concerne les filières technologiques les mieux à même de servir de point d’appui au développement économique local.

On le voit, rien n’est simple dans la répartition effective des rôles de collectivités territoriales d’une part et de l’État d’autre part. Leurs intérêts peuvent diverger, même s’ils peuvent parfois se conjuguer. C’est le cas lorsque les efforts consentis par les collectivités territoriales peuvent les valoriser ainsi que leurs dirigeants, notamment lorsqu’il s’agit d’implanter de nouveaux établissements et d’innover. Mais c’est moins évident – tant s’en faut – lorsqu’il s’agit du strict fonctionnement ordinaire et/ou nécessaire.

On entre dans les campagnes électorales en vue du renouvellement des conseils départementaux et des conseils régionaux. On va voir si ce volet matériel de précaution va être ou non pris en compte, par qui, et de quelle manière.

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